Les Pardaillan – Livre VII – Le Fils De Pardaillan – Volume I
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Nous sommes ? Paris en 1609. Henri IV r?gne, sous la menace permanente des attentats. Le chevalier de Pardaillan, qui n'a pas retrouv? son fils, rencontre un jeune truand, Jehan-le-Brave, en qui il ne tarde pas ? reconna?tre l'enfant de Fausta. Or, Jehan-le-Brave, qui ignore tout de ses origines, est amoureux de Bertille de Saugis, fille naturelle d'Henri IV. Pour prot?ger sa bien-aim?e et le p?re de celle-ci, c'est-?-dire le roi, il entre en conflit avec tous ceux qui complotent sa mort: Concini et son ?pouse, L?onora Galiga?, Aquaviva, le sup?rieur des j?suites qui a recrut? un agent pour ses intentions criminelles, le pauvre Ravaillac. Le chevalier de Pardaillan s'engage dans la lutte aux c?t?s de son fils, aussi bien pour l'observer que pour prot?ger le roi. Or, Fausta jadis avait cach? ? Montmartre un fabuleux tr?sor que tout le monde convoite, les j?suites, les Concini, et m?me le ministre du roi Sully. Seule Bertille conna?t par hasard le secret de cette cachette, ainsi que le chevalier de Pardaillan…
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– C’est vrai, ventre de veau! mon père m’attend! Un bon fils ne doit pas laisser son père dans l’inquiétude.
Et il partit d’un pas rude, violent, furieux, laissant Pardaillan plus rêveur que jamais. Les trois braves, un peu pâles, effarés, pliant instinctivement les épaules, le suivirent de loin, comme des chiens qui craignent la raclée, et ils se disaient:
– Le temps est à l’orage!… Gare à la peau de l’imprudent qui heurtera messire Jehan!
Dès qu’il fut entré dans sa mansarde, Jehan battit le briquet et alluma la lampe. Après quoi, il se campa devant Saêtta et le regarda fixement, sans dire mot.
Saêtta ne parut pas remarquer ce qu’il y avait de menaçant dans cette attitude. Il était ému et ne songeait pas à cacher cette émotion. Il paraissait rayonnant, du reste. Manifestement, il était heureux. Jehan ne put en douter. Il lui sembla même démêler au fond de ces yeux de braise une expression de rude tendresse qu’il n’y avait peut-être jamais vue. Il en fut tout déconcerté, tout étourdi. Évidemment, il ne s’attendait pas à cela.
Le résultat fut qu’il modifia son attitude.
Saêtta ne remarqua pas ce changement. Il prit la main du jeune homme et la serra vigoureusement.
C’était la deuxième ou troisième fois de sa vie qu’il accomplissait un geste pareil. La surprise de Jehan s’accrut. Mais l’incompréhensible accès de colère qu’il avait eu en apprenant que l’homme soupçonné par Pardaillan n’était autre que Saêtta qui l’attendait chez lui, cet accès était tombé. Maintenant, il était maître de lui et, comme il avait son idée de derrière la tête, il ne laissait rien voir de ses sentiments intimes.
Saêtta le conduisit jusqu’au fauteuil et, avec une douceur que Jehan ne lui connaissait pas:
– Assieds-toi, mon fils… Tu dois être fatigué. Je te vois bien pâle. Enfin, te voilà, sain et sauf, c’est l’essentiel et je suis content… bien content.
Ceci était prodigieux. Jamais Saêtta n’en avait fait ni dit autant. L’étonnement de Jehan se haussait jusqu’à la stupeur.
Pourtant, ces marques d’amitié anormales ne le touchaient pas. Au contraire, elles faisaient se lever en lui une vague inquiétude. Et il faut croire qu’il était bien changé, car, au lieu de s’indigner de cette insensibilité, comme il n’eût pas manqué de le faire quelques jours plus tôt, elle lui parut naturelle. Au lieu de s’abandonner avec sa franchise ordinaire, il se tint sur la réserve. Mieux: sur ses gardes, comme s’il eût été devant un ennemi.
Ceci nécessite quelques explications que nous donnerons le plus brièvement possible.
Du peu de mots que Pardaillan avait dits en chargeant Escargasse de veiller devant la maison de Concini, Jehan avait compris ceci: «L’homme qui viendra ici, envoyé par la Galigaï, cet homme qui se dit mon ami, est un ennemi dont je dois me défier et que je dois surveiller.»
Brusquement, il avait appris que cet homme, c’était Saêtta. Quelques jours plus tôt – c’est-à-dire avant son entretien avec Bertille, cet entretien auquel se rattachait le changement rapide et radical qui s’opérait en lui – il se serait dit qu’il y avait là quelque malentendu. D’autant que Pardaillan, en qui il avait une confiance aveugle, s’était empressé de battre en retraite et s’était presque excusé, lorsqu’il avait appris que cet homme était le propre père de Jehan.
Depuis longtemps, il avait de vagues soupçons sur le compte de Saêtta. On se souvient peut-être que, dès les commencements de ce récit, il l’avait déclaré très nettement. Depuis son entretien avec Bertille, il avait réfléchi. Le bandeau qu’il avait sur les yeux était tombé et il avait regardé les choses et les êtres en les voyant nettement tels qu’ils étaient. De lui-même, cette manière d’enquête morale à laquelle il se livrait avait remonté à ses proches, et Saêtta était un des premiers qu’il avait eus à juger.
Il s’était montré impitoyable pour lui-même. Il se montra sévère, mais juste, envers l’homme qui l’avait élevé. Et de déduction en déduction, il en était arrivé à se poser cette question grosse de conséquences: «Pourquoi Saêtta s’est-il acharné à faire de moi le misérable que j’ai été sans m’en douter durant des années?»
Le soupçon, comme on voit, s’était changé en certitude. Le mobile seul lui échappait. Et c’est ce mobile qu’il avait résolu de connaître.
Là-dessus était venue l’affaire de sa délivrance. Pardaillan, brave et loyal gentilhomme, avait reculé avec horreur à la pensée d’accuser un père de comploter contre son fils. Il l’avait très bien compris et n’avait pas insisté. Mais lui, qui savait ce que valait Saêtta et qu’il n’était pas son père, lui avait été vivement frappé de ce fait venant s’ajouter à tant d’autres.
Et il était parti résolu à avoir une explication violente, mais décisive. L’attitude de Saêtta l’avait déconcerté. Il s’était dit: «Ce n’est pas une comédie qu’il joue là. Quel but tortueux poursuit-il donc? Il faut que je sache à tout prix. Mais ce n’est pas de la violence qu’il faut ici, ni de la franchise: c’est de la ruse. Soit, je ruserai donc.»
Et son attitude s’était modifiée. Et maintenant il se préparait à cet entretien qu’il sentait inévitable comme il se serait préparé pour une lutte d’où il lui fallait sortir vainqueur coûte que coûte.
Saêtta, à mille lieues de soupçonner la tempête déchaînée sous ce front pâle, mais calme en apparence, Saêtta, en un récit fantaisiste, préparé d’avance, raconta comment il était allé rue des Rats dans l’intention de l’arracher aux griffes de Concini. Le récit qu’il fit était invraisemblable. Jehan eut l’air de l’accepter pour véridique et remercia comme il convenait.
Quand les explications eurent été fournies de part et d’autre, Saêtta entreprit de décider Jehan à s’emparer du trésor de Fausta. Il n’indiquait que vaguement l’endroit où on le trouverait: dans les environs de la chapelle du Martyr. Il n’était venu que dans cette intention.
Quels arguments convaincants il trouva? Peu importe. Disons seulement que lorsqu’il quitta la mansarde, il emportait la conviction que Jehan était fermement résolu à s’approprier le trésor. Quand il se trouva enfin seul, Jehan réfléchit:
– Voilà où il voulait en venir! À me proposer un vol. Il y a longtemps qu’il cherche à faire de moi un voleur!… Pourquoi cette obstination? Pourquoi?
Et, avec un sourire qui eût inquiété l’ancien maître d’armes, s’il l’avait pu voir, il ajouta:
– Eh bien, soit! Je me ferai voleur… puisque je n’ai que ce moyen de percer le but secret poursuivi avec tant d’opiniâtreté par Saêtta.
Cependant, cette lutte qu’il venait de soutenir avait été un grand bien pour lui en ce sens qu’elle lui avait fait oublier momentanément Bertille et l’avait arraché au morne désespoir dans lequel il s’enlisait, en réveillant en lui l’homme d’action.
Maintenant sa pensée revenait à sa fiancée. Mais ce n’était plus pour s’abandonner au découragement, c’était pour s’exciter à la lutte. Il allait et venait dans la petite mansarde, comme un fauve dans sa cage, ne semblant pas se souvenir qu’il venait de passer deux journées d’angoisses mortelles, enseveli dans une sorte de tombe. Deux journées qui eussent brisé de fatigue le tempérament le plus robuste. Il finit pas se dire:
– Je fouillerai Paris maison par maison et il faudra bien que je la retrouve… Et si je ne la trouve pas?… si elle est morte?… C’est bien simple: comme la vie ne m’est plus rien sans elle, j’en finirai d’un bon coup de dague. Mais encore faut-il que j’aie épuisé toutes les recherches. Dès demain, j’entre en campagne. J’aurai besoin de toutes mes forces. Donc, il faut que je me repose. Couchons-nous et dormons… c’est nécessaire.
Et il fit comme il avait décidé: il se coucha. Et, soit que la fatigue l’eût terrassé enfin, soit effet de sa volonté, quelques instants plus tard il dormait profondément.
Il faut convenir qu’il n’avait vraiment pas volé les quelques heures de repos qu’il s’accordait.