Les Pardaillan – Livre VII – Le Fils De Pardaillan – Volume I
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Nous sommes ? Paris en 1609. Henri IV r?gne, sous la menace permanente des attentats. Le chevalier de Pardaillan, qui n'a pas retrouv? son fils, rencontre un jeune truand, Jehan-le-Brave, en qui il ne tarde pas ? reconna?tre l'enfant de Fausta. Or, Jehan-le-Brave, qui ignore tout de ses origines, est amoureux de Bertille de Saugis, fille naturelle d'Henri IV. Pour prot?ger sa bien-aim?e et le p?re de celle-ci, c'est-?-dire le roi, il entre en conflit avec tous ceux qui complotent sa mort: Concini et son ?pouse, L?onora Galiga?, Aquaviva, le sup?rieur des j?suites qui a recrut? un agent pour ses intentions criminelles, le pauvre Ravaillac. Le chevalier de Pardaillan s'engage dans la lutte aux c?t?s de son fils, aussi bien pour l'observer que pour prot?ger le roi. Or, Fausta jadis avait cach? ? Montmartre un fabuleux tr?sor que tout le monde convoite, les j?suites, les Concini, et m?me le ministre du roi Sully. Seule Bertille conna?t par hasard le secret de cette cachette, ainsi que le chevalier de Pardaillan…
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Les granges, les celliers, les greniers et les caves regorgeaient de provisions.
Les vaches laitières, les moutons et les porcs, s’entassaient dans les étables et les porcheries. Des nuées de pigeons s’abattaient autour des colombiers. Des centaines et des centaines de volailles de toutes sortes encombraient les basses-cours.
Encore quelques années d’effort et l’abbaye aurait retrouvé le lustre et la splendeur d’antan. Et ceci était l’œuvre de la jeune abbesse, Marie de Beauvilliers, qui avait su se concilier de puissants protecteurs en tête desquels figurait le père Coton, jésuite notoire, confesseur de S. M. Henri IV.
Tout en haut de la butte, ou de la montagne, comme on disait alors, aux alentours de la chapelle Saint-Pierre, se trouvaient les communs, dont une partie dans l’enceinte même et l’autre partie hors de l’enceinte.
Ce qui était à l’intérieur était occupé par des religieuses converses. Plus quelques laïques, femmes non mariées, pauvres paysannes à la dévotion naïve et sincère que la vie du cloître attirait invinciblement et qui, ne pouvant endosser l’habit, se trouvaient néanmoins heureuses et honorées d’être en contact permanent avec les Dames, et vivant la vie commune, de se donner l’illusion de se croire religieuses elles-mêmes. Honneur qu’elles payaient du reste par l’accomplissement des plus basses besognes.
Ce qui était à l’extérieur était occupé par des ménages de paysans au service de l’abbaye.
Ce fut vers les communs que la mère Marie-Ange conduisit Bertille. Au milieu d’un petit jardin entouré d’une haie, se dressait un petit pavillon, d’apparence engageante, enfoui qu’il était au milieu des fleurs et de la verdure. Un perron de trois marches précédait la porte. Marie-Ange l’ouvrit toute grande et s’effaça pour laisser passer la jeune fille, qui entra sans défiance.
La vieille tira vivement la porte à elle. La clé était sur la serrure. Elle donna deux tours, mit la clé dans sa poche et s’en fut tranquillement. En entendant la porte se fermer, Bertille comprit qu’elle était tombée dans un traquenard. Elle se jeta à corps perdu sur cette porte. Trop tard. La clé grinçait dans la serrure. Elle vit une fenêtre. Elle y courut et l’ouvrit. Elle était garnie d’épais barreaux. Elle cria, appela de toutes ses forces. Nul ne répondit à ses appels. C’était une fille de tête. Elle comprit qu’au milieu de cette enceinte, elle ne pouvait être entendue que par des religieuses, lesquelles ayant des instructions en conséquence, se garderaient bien de lui répondre. Et elle se tut.
L’homme avait suivi les deux femmes jusqu’à l’entrée de l’abbaye. Longtemps il resta devant la porte, espérant voir reparaître celle qu’il avait suivie. La nuit vint et la jeune fille ne sortit pas. L’homme se décida à rentrer dans Paris. En s’éloignant, il grommelait:
– Puisqu’elle ne sort pas, c’est que, sans doute, elle a cherché un refuge dans ce couvent. C’est une brave et honnête fille, elle s’est sentie menacée: elle se met hors d’atteinte. Elle a bien fait!… (Il soupira.) Je ne la verrai plus! Qu’importe, après tout!… L’essentiel est qu’elle échappe à la poursuite du loup couronné!… C’est Jehan le Brave qui va être malheureux!… Bah! il fera comme moi, il se résignera.
Il marchait à grandes enjambées. La nuit tombait lentement. On voyait au bas de la montagne, là-bas, aux maisons de la ville, les fenêtres s’éclairer une à une, semblable à des yeux lumineux ouverts sur la nuit.
Il était revenu au carrefour. La croix, dans l’ombre croissante, dressa devant lui ses longs bras de fer, comme pour lui barrer le passage.
Une force mystérieuse l’arrêta. Il leva les yeux et la contempla un moment d’un air illuminé. Puis ses traits prirent une expression de désespoir farouche, un sanglot déchira ses lèvres et brusquement, lourdement, il tomba sur les genoux. Il se frappa la poitrine à grands coups qui résonnaient sourdement. On eût dit qu’il voulait se briser le cœur. Et il râla:
– Jean-François! Jean-François! pourquoi te réjouis-tu du malheur de l’homme qui a eu pitié de toi?… De l’homme qui t’a tendu une main secourable, qui t’a nourri quand tu mourais de faim, qui t’a parlé doucement et t’a réconforté!… Pourquoi te réjouis-tu, Ravaillac?… C’est parce que tu sais que celui-là est aimé… et toi, tu ne le seras jamais!… Tu te disais, tu te criais bien haut: «Tu ne peux être aimé, Jean-François, tu sais bien que tes jours sont comptés… le bourreau a déjà la main sur toi.» Hypocrisie! Ravaillac, hypocrisie!… Au fond, tu espérais que ce miracle s’accomplirait: que tu serais aimé d’elle, toi, le damné, le maudit!… Tu disais: «Lui seul est digne d’être aimé, parce qu’il est bon, brave et généreux. Devant lui, je puis, je dois m’effacer… puisque je suis condamné, moi!» Hypocrisie!… Ravaillac, tu es un hypocrite, un fourbe, un menteur comme l’autre, l’hérétique, le loup couronné!… Tu es jaloux, Jean-François, jaloux de ton bienfaiteur, ton cœur déborde de fiel… Et tu oses t’ériger en justicier!…
Il se meurtrit le front sur la pierre et implora:
– Seigneur! Seigneur! ayez pitié de moi!… Inspirez-moi! Secourez-moi!… Chassez le démon qui me tourmente.
Il demeura longtemps prosterné, priant de toute son âme, sanglotant, hurlant sa peine et sa folie. Peu à peu, le calme descendit en lui, il se redressa, partit d’un pas chancelant, se perdit dans les ténèbres, ombre tragique que la fatalité conduisait par la main.