Les Pardaillan – Livre VII – Le Fils De Pardaillan – Volume I
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Nous sommes ? Paris en 1609. Henri IV r?gne, sous la menace permanente des attentats. Le chevalier de Pardaillan, qui n'a pas retrouv? son fils, rencontre un jeune truand, Jehan-le-Brave, en qui il ne tarde pas ? reconna?tre l'enfant de Fausta. Or, Jehan-le-Brave, qui ignore tout de ses origines, est amoureux de Bertille de Saugis, fille naturelle d'Henri IV. Pour prot?ger sa bien-aim?e et le p?re de celle-ci, c'est-?-dire le roi, il entre en conflit avec tous ceux qui complotent sa mort: Concini et son ?pouse, L?onora Galiga?, Aquaviva, le sup?rieur des j?suites qui a recrut? un agent pour ses intentions criminelles, le pauvre Ravaillac. Le chevalier de Pardaillan s'engage dans la lutte aux c?t?s de son fils, aussi bien pour l'observer que pour prot?ger le roi. Or, Fausta jadis avait cach? ? Montmartre un fabuleux tr?sor que tout le monde convoite, les j?suites, les Concini, et m?me le ministre du roi Sully. Seule Bertille conna?t par hasard le secret de cette cachette, ainsi que le chevalier de Pardaillan…
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XXX
L’hôtellerie du Grand-Passe-Partout était située rue Saint-Denis, à l’angle de la rue de la Ferronnerie, entre les Saints-Innocents et l’église Sainte-Opportune.
Le quartier était des plus animés, l’auberge, bien achalandée, passait pour une des meilleures. Son enseigne, chef-d’œuvre de ferronnerie portait, au milieu de l’écusson, peinte en un jaune vif et rutilant, une énorme pièce d’or: c’était le Grand-Passe-Partout. Nos pères affectionnaient ces sortes de jeux de mots.
Ce fut là, dans ce petit cabinet où deux jours avant Bertille avait été conduite, ce fut là que Pardaillan conduisit son fils et ses compagnons, à l’exception d’Escargasse qui était resté dissimulé devant la maison de la rue des Rats, avec mission de surveiller l’arrivée de cet ami de Jehan que Léonora enverrait pour le délivrer.
C’était une idée de Pardaillan qui avait pensé qu’il pouvait être utile au jeune homme de connaître le nom de cet ami possesseur de la confiance de la Galigaï. Disons tout de suite que l’ombre qui s’était mise à suivre Saêtta n’était autre qu’Escargasse qui, connaissant très bien Saêtta, n’avait pas eu de peine à le reconnaître, mais qui voulait savoir où allait le bravo.
Pardaillan avait commandé à Dame Nicole, l’accorte patronne de céans, un de ces menus formidables, comme il savait les composer. Il savait que Jehan était à jeun depuis deux jours et qu’il aurait bientôt besoin de toutes ses forces.
Pendant que le dîner se préparait, Jehan avait demandé à Pardaillan, comme un service très important, de vouloir bien se charger de la cassette, précieuse à ses yeux, parce qu’elle contenait les papiers de famille de sa fiancée. Et il n’avait pas manqué de dire à qui appartenait cette cassette et comment elle se trouvait entre ses mains.
Pardaillan avait pris la cassette et, sur un ton étrange:
– Ainsi, dit-il, ces papiers appartiennent à la demoiselle de Saugis?
– Oui, monsieur.
Pardaillan demeura rêveur. Inquiet, Jehan s’informa:
– Est-ce que cela vous ennuie, monsieur, de garder ces papiers? Pardaillan tressaillit, comme s’il revenait de loin, et:
– Pas du tout, mon enfant, dit-il avec douceur. Je vais ranger précieusement le dépôt que vous me confiez et à mon retour, c’est-à-dire dans deux minutes, nous nous mettrons à table.
Rassuré sur une chose à laquelle il attachait grande importance, Jehan dit en riant d’un rire clair et sonore:
– Faites vite, monsieur, s’il vous plaît. Je meurs de faim. J’étrangle de soif… malgré les deux grands verres d’eau que j’ai bus.
Pardaillan ne prit même pas les deux minutes qu’il avait demandées. On se mit à table et, en attendant l’omelette, on attaqua les hors-d’œuvre.
Pendant le repas, Pardaillan expliqua comment il était intervenu dans la délivrance de Jehan.
– C’est extrêmement simple, dit-il d’un air détaché. J’ai eu une explication, le fer à la main, avec le Concini. Je lui ai prouvé qu’il n’était pas de force en le désarmant. Il a voulu s’entêter – c’est incroyable comme ces Italiens sont tenaces – je crois que je lui ai quelque peu froissé les côtes en le serrant de trop près. Il a compris qu’il lui fallait filer doux. En sorte que, lorsque je lui ai demandé de quitter la place et de me laisser maître chez lui une couple d’heures, il ne s’est pas trop fait tirer l’oreille. Et voilà.
On remarquera que Pardaillan ne disait pas un mot de l’entretien qu’il avait surpris entre les deux époux Concini.
Pardaillan avait des idées à lui, qui n’étaient pas les idées de tout le monde. Il avait surpris un entretien. De ce qu’il avait entendu, il faisait son profit, et c’était d’autant plus naturel qu’il se trouvait lui-même clairement désigné et directement menacé. Mais, quant à répéter quoi que ce fût, à qui que ce fût, de ce qu’il avait entendu, il se fût cru déshonoré à ses propres yeux en le faisant.
D’autre part, il n’entrait pas dans ses habitudes de se vanter de ce qu’il avait fait. De tout ceci, il résultait que, fait par lui, le récit de l’entretien qu’il avait eu avec Concini, entretien qui avait été assez mouvementé comme on l’a vu, se trouvait réduit à sa plus simple expression.
Quant à dire que ses auditeurs le crurent sur parole et admirent que Concini avait cédé aussi facilement et aussi simplement que le prétendait Pardaillan, ceci c’est une autre affaire. Il n’y eut guère que Carcagne qui accepta de confiance les choses comme on les lui donnait. Jehan ni Gringaille ne furent dupes. Et Jehan traduisit sa pensée en disant avec un hochement de tête:
– Je crois, monsieur, que les choses n’ont pas dû se passer aussi simplement que vous voulez bien le dire. Quoi qu’il en soit, c’est encore un service que vous me rendez, et non des moindres, puisque vous me sauvez la vie. Mais je n’en suis plus à les compter maintenant et…
– Aussi ne comptez pas, interrompit rondement Pardaillan, et goûtez un peu de ce flan mordoré. Dame Nicole qui les fabrique de ses blanches mains les réussit assez bien.
Pourtant, sans en avoir l’air, Pardaillan activait le dîner.
Bien qu’il n’en eût pas parlé, il n’oubliait pas, lui, la partie de la conversation de la Galigaï et Concini, ayant trait à Bertille de Saugis. La Galigaï avait été on ne peut plus affirmative. Selon elle, la jeune fille, à l’heure qu’il était, était enfermée dans une tombe et mieux eût valu qu’elle fût morte.
Or, Pardaillan sans en rien dire, s’était rendu, dans la matinée, à la maison des Taureaux. À ce moment on lui avait assuré que la jeune fille était dans sa chambre. Il ne s’était pas présenté devant elle, mais il n’avait pas de raison de suspecter les serviteurs de son ami le duc d’Andilly.
Il s’était contenté de recommander de redoubler de vigilance pendant l’absence des maîtres de la maison. Lui-même, il n’avait pas négligé d’explorer les environs de la maison, et n’ayant rien remarqué d’anormal, il s’était éloigné tranquille.
Maintenant, il avait hâte de savoir à quoi s’en tenir. Au fond, il n’avait guère d’espoir. Il avait jugé la Galigaï. Elle ne lui avait pas paru femme à se vanter à la légère. Ce qu’elle affirmait si positivement devait être vrai. S’il n’avait pas entraîné plus tôt le jeune homme rue du Four, c’est qu’il avait vu qu’il avait besoin de refaire ses forces épuisées.
Grâce aux vins généreux qui n’avaient pas été épargnés, grâce à l’engloutissement d’une innombrable quantité de victuailles, Jehan était maintenant remis. En conséquence, laissant Gringaille et Carcagne, inutiles, digérer en paix le mirifique destin qu’il leur avait offert, Pardaillan entraîna Jehan, qui, comme bien on pense, ne se fit pas prier.
En route, Pardaillan, qui avait des délicatesses de femme, prépara habilement, sans lui rien dire de précis, son jeune compagnon à la déconvenue qu’il redoutait.
À l’hôtel du duc d’Andilly, ils apprirent que Bertille était sortie dans la matinée. Et comme Pardaillan regardait d’une façon significative le majordome qui lui donnait des renseignements, le brave homme se hâta d’ajouter:
– Monseigneur et vous-même, monsieur le chevalier, vous nous aviez ordonné de veiller sur cette demoiselle. Vous ne nous aviez pas dit cependant de la garder prisonnière ici, malgré elle.
– Est-ce à dire que la jeune fille s’en est allée de son plein gré?
– Oui, monsieur le chevalier. Et si nous ne nous sommes pas inquiétés, c’est que, à l’observation très respectueuse que je me suis permis de faire, elle-même m’a répondu qu’elle avait besoin de s’absenter. Un devoir impérieux – ce sont ses propres expressions – l’y contraignait. Au surplus, son absence ne durerait que quelques heures et nous n’avions pas à nous inquiéter. N’ayant pas d’instructions à ce sujet, j’ai cru devoir m’incliner devant une volonté aussi nettement exprimée.
Laissons Pardaillan et Jehan interroger les gens du duc dont la bonne foi ne pouvait être mise en doute et expliquons ce qui s’était passé.
Ce matin-là, à peu près vers le moment où l’évêque de Luçon se rendait chez Concini, une vieille femme s’était présentée à la maison des Taureaux et avait demandé à parler à la demoiselle de Saugis.
Le majordome, à qui elle s’adressait, avait répondu qu’il ne connaissait pas la demoiselle dont on lui parlait et, un peu brusquement, il avait voulu éconduire la vieille, tenace.
La fatalité avait voulu que Bertille, de sa chambre, entendît ce nom de Saugis que la vieille criait à tue-tête comme si elle avait escompté ce qui allait se produire. Son nom de Saugis – elle le croyait, du moins – n’était connu que de cinq personnes: le roi, Jehan, Pardaillan (qu’elle ne connaissait encore que sous le nom de comte de Margency), enfin le duc et la duchesse d’Andilly.
Or, de ces cinq personnes, pas une, à l’heure actuelle, ne se trouvait à l’hôtel. Bertille pensa, forcément, que la vieille femme lui était envoyée par une de ces cinq personnes. Le roi la croyait sans doute encore à son logis de la rue de l’Arbre-Sec. Ce n’était évidemment pas lui qui envoyait. D’ailleurs, le roi eût envoyé un gentilhomme, un de ses officiers. Ce n’étaient pas non plus le duc et la duchesse, partis la veille à Andilly, et qui devaient rentrer le lendemain. Donc, ce ne pouvait être que Jehan ou le comte de Margency.