Les Pardaillan – Livre IV – Fausta Vaincue
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Fausta vaincue est la suite de La Fausta, la subdivision en deux tomes ayant ?t? faite lors de la publication en volume, en 1908. Nous sommes donc toujours en 1588, sous le r?gne d'Henri III, en lutte contre le duc de Guise et la Sainte ligue, le premier soutenu par Pardaillan, et le second par Fausta… Sans vous d?voiler les p?rip?ties multiples et passionnantes de cette histoire, nous pouvons vous dire que le duc de Guise et Henri III mourront tous deux (Z?vaco, malgr? son imagination, ne peut changer l'Histoire…), et que Pardaillan vaincra Fausta…
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Il faut rendre cette justice aux trois jeunes écervelés qu’ils se rallièrent instantanément à ce plan si limpide.
– Par où entre-t-on? reprit le comte de Loignes.
– Il faut faire le tour, dit Chalabre qui toute la journée avait guetté pas à pas Bussi-Leclerc. Suivez-moi, messieurs!
Chalabre enfila aussitôt un sentier, et à vingt pas de la route sauta lestement par-dessus une porte à claire-voie. Les autres le suivirent. Ils se trouvaient alors dans une cour dont le sol disparaissait sous le fumier. Derrière eux, ils avaient une grange où, sur la paille, dormaient les deux inconnus que nous avons signalés tout à l’heure. Sur leur droite, au fond, c’étaient des étables et un poulailler. Devant eux, la maison, ou plutôt la chaumière, divisée en deux parties: à droite, le logis assez vaste des maîtres de céans, et à gauche une chambre isolée, avec sa porte particulière; c’était là, dans cette pièce qui était comme la salle d’honneur de cette pauvre maison de paysans, c’était là, donc, que de tout son cœur dormait Bussi-Leclerc. Chalabre désigna la porte du doigt.
– Il est bien capable de se sauver par la fenêtre! gronda Loignes.
– Il n’y a pas de fenêtre, dit Chalabre.
C’était vrai. Les fenêtres étaient alors un luxe. Dans la plupart des chaumières, la porte, divisée en deux parties, servait à éclairer et aérer les pièces enfumées; il n’y avait pour cela qu’à laisser ouverte la partie supérieure.
– Admirable! dit Loignes. Attention!
Tous les quatre dégainèrent leurs dagues; Sainte-Maline et Montsery se placèrent à gauche de la porte, le long du mur, prêts à bondir sur Bussi-Leclerc dès qu’il apparaîtrait. Chalabre se plaça à droite. Puis Loignes, ayant jeté un coup d’œil satisfait sur ce dispositif d’attaque, heurta rudement à la porte du pommeau de son épée. La lune, bien qu’en son dernier quartier, éclairait suffisamment ce tableau.
– Holà! holà! messire de Bussi-Leclerc! vociféra le comte de Loignes.
– Qui va là? dit une voix de l’intérieur.
– Vite! éveillez-vous et courez à monseigneur qui vous mande à l’instant!
– Au diable monseigneur! grommela Bussi-Leclerc. Attendez-moi, monsieur, je m’habille…
– Non, non! Je cours réveiller M. de Maineville que le duc mande également. Hâtez-vous donc!…
Là-dessus, Loignes s’effaça contre le mur, près de Chalabre. Leclerc, habitué à ces alertes continuelles, ne pouvait avoir aucune défiance. Les quatre, ramassés sur eux-mêmes, la dague à la main, attendaient. Tout à coup, ils entendirent le bruit que faisait Bussi-Leclerc en commençant à ouvrir la porte.
– Bonsoir, messieurs! dit à ce moment une voix très calme et sans nulle raillerie apparente. Il paraît que vous voulez meurtrir ce bon M. de Bussi-Leclerc, gouverneur de la Bastille?…
– Ouais! gronda Leclerc, qui à l’intérieur s’arrêta d’ouvrir, que veut dire cela?
– Trahison! Trahison! hurla le comte de Loignes.
– À mort! crièrent les trois autres en s’élançant le poignard levé sur l’homme qui venait de parler, et qui sortant de la grange, s’avança en saluant poliment et répétait:
– Bonsoir monsieur de Chalabre; bonsoir, monsieur de Sainte-Maline; bonsoir, monsieur de Montsery.
Les poignards levés s’abaissèrent; les trois jeunes gens s’arrêtèrent, reculèrent et saluèrent très bas. Un rayon de lune se jouait sur le fin visage audacieux et paisible de celui qui venait d’intervenir, et ce visage, ils venaient de le reconnaître…
Loignes, ne comprenant rien à cette scène imprévue, aussi rapide qu’un éclair, Loignes, ivre de fureur, fit un bond pour s’élancer sur ce défenseur de Bussi-Leclerc. Mais en même temps, il se sentit saisi à bras le corps et solidement contenu par ses trois amis.
– C’est notre sauveur! dit Chalabre…
– C’est celui qui nous a tirés de la Bastille! dit Montsery.
– C’est le chevalier de Pardaillan! dit Sainte-Maline.
Loignes recula d’un pas, se découvrit et dit:
– Eussiez-vous été le pape en personne que vous eussiez tâté de mon fer pour le mal que vous faites ici; mais vous êtes M. de Pardaillan, et je n’ai rien à dire. Retirez-vous donc, chevalier, et laissez-nous accomplir notre besogne.
– Si je vous laisse faire, maintenant! cria la voix narquoise de Bussi-Leclerc, derrière la porte.
– Bon, bon! patiente un peu, et tu verras comme on défonce une porte et une poitrine! répondit Loignes. Monsieur, ajouta-t-il en s’adressant à Pardaillan, c’est Bussi-Leclerc qui est là; c’est votre ennemi autant que le nôtre; je pense que si vous ne voulez pas nous aider, vous nous laisserez du moins occire en paix ce sacripant.
– Messieurs, dit Pardaillan en s’adressant aux trois jeunes gens, lorsque j’eus le bonheur de vous tirer des mains du digne gouverneur de la Bastille, vous m’avez promis, en échange des vôtres, trois vies et trois libertés…
– C’est vrai! firent d’une seule voix Chalabre, Montsery et Sainte-Maline.
– J’ai donc l’honneur de vous prier de payer cette nuit le tiers de votre dette: je vous demande la vie et la liberté de M. de Bussi-Leclerc.
Les trois spadassins, d’un seul mouvement, s’inclinèrent. Loignes lui-même rengaina aussitôt sa dague et son épée qu’il avait tirée: c’étaient des gens d’honneur. Et si ce mot vous choque, lecteur, mettez-en un autre à la place.
– Je n’ai rien à dire! grogna Loignes, mais j’enrage.
– Monsieur, dit Sainte-Maline en saluant galamment, nous vous cédons Bussi-Leclerc.
– Reste à deux, observa tranquillement le chevalier.
– Très juste, dit Montsery, et nous tiendrons parole jusqu’au bout. Cependant, un bon conseil: réservez pour vous-même une des deux vies qui nous restent à payer; car c’est un mauvais tour que vous jouez ce soir à Sa Majesté, et elle pourrait bien nous donner l’ordre de vous tuer ce que nous serions désolés de faire si nous ne vous devions plus rien.
– Vous êtes trop bon, monsieur, dit Pardaillan qui salua de son geste le plus gracieux; mais quittez tout souci en ce qui me regarde, et puisque vous êtes si bons payeurs, messieurs, veuillez me laisser le champ libre.
Les quatre hommes saluèrent et se retirèrent sans répondre à Bussi-Leclerc, qui derrière sa porte criait:
– Au revoir, messieurs! Je vais vous faire préparer un cabanon digne de vous, à la Bastille!
Mais Sainte-Maline revint brusquement sur ses pas:
– Monsieur le chevalier, fit-il, y aurait-il de l’indiscrétion à vous demander pourquoi vous sauvez ce damné Leclerc, qui, somme toute, vous veut autant de mal qu’à nous?…
– Aucune, monsieur, répondit Pardaillan. Je suis aussi bon payeur que vous, voilà tout le secret de ma conduite. J’ai formellement promis sa revanche à M. de Bussi-Leclerc. Or, comment aurais-je tenu ma promesse, si je l’avais laissé tuer ce soir?
Sainte-Maline regarda avec étonnement le chevalier qui souriait, salua, et se hâta de rattraper ses compagnons.
– Maintenant, il s’agit de fuir, dit Loignes. Dans quelques minutes, Leclerc va ameuter toute la damnée procession.
Loignes était furieux contre Pardaillan, contre ses trois amis, contre lui-même; mais comme la fureur ne pouvait remédier à rien, il la ravalait… c’était un homme pratique.
– Eh bien! fit Chalabre, prenons à pied le chemin de Chartres.
Loignes se mit à ricaner et conduisit ses trois compagnons à un champ où les chevaux de Guise et de son escorte étaient attachés au piquet par le bridon. Chacun d’eux se glissa vers un cheval, le détacha, et sans le seller sauta dessus. Quelques instants plus tard, au milieu des vociférations, des cris de: «Arrête! Arrête!», les quatre spadassins s’élançaient ventre à terre sur la route de Chartres, et disparaissaient dans la nuit.
Pendant ce temps, Pardaillan s’était approché de la porte derrière laquelle se trouvait Bussi-Leclerc et avait frappé du poing en criant:
– Monsieur! hé! monsieur de Bussi-Leclerc!
– Que désirez-vous, sire de Pardaillan? demanda Leclerc, goguenard.
– Moi? Rien. Je veux simplement vous dire que maintenant je suis seul, très seul.
– Et alors?
– Alors, s’il vous convient d’essayer de prendre cette revanche après laquelle vous courez depuis si longtemps, eh bien! je suis votre homme.
– Bon! je préfère attendre…
– Comme il vous plaira, monsieur.
– Soyez tranquille, vous n’y perdrez rien.
– Ce n’est pas bien sûr, monsieur le gouverneur, dit Pardaillan.
– Bah! fit Leclerc toujours narquois, vous croyez donc que je n’oserai pas affronter votre rapière?