Les Enfants Du Capitaine Grant
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Lord et Lady Glenarvan, ainsi que le g?ographe Paganel, aident Mary et Robert Grant ? retrouver leur p?re qui a fait naufrage sur une ?le dont on ne connait que la latitude, ce qui les am?ne ? traverser l'Am?rique du sud, puis l'Australie o? un bagnard ?vad?, Ayrton, tente de s'emparer du yacht de Glenarvan, et enfin l'Oc?anie o?, apr?s avoir ?chapp? aux anthropophages, il retrouveront enfin la trace de leur p?re…
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Ils n’ont tenu compte ni des versants orographiques, ni du cours des rivières, ni des variétés de climats, ni des différences de races. Ces colonies confinent rectangulairement l’une à l’autre et s’emboîtent comme les pièces d’une marqueterie. À cette disposition de lignes droites, d’angles droits, on reconnaît l’œuvre du géomètre, non l’œuvre du géographe. Seules, les côtes, avec leurs sinuosités variées, leurs fiords, leurs baies, leurs caps, leurs estuaires, protestent au nom de la nature par leur irrégularité charmante.
Cet aspect d’échiquier excitait toujours, et à bon droit, la verve de Jacques Paganel. Si l’Australie eût été française, très certainement les géographes français n’auraient pas poussé jusqu’à ce point la passion de l’équerre et du tire-ligne.
Les colonies de la grande île océanienne sont actuellement au nombre de six: la Nouvelle Galles du sud, capitale Sydney; le Queensland, capitale Brisbane; la province de Victoria, capitale Melbourne; l’Australie méridionale, capitale Adélaïde; l’Australie occidentale, capitale Perth; et enfin l’Australie septentrionale, encore sans capitale. Les côtes seules sont peuplées par les colons. C’est à peine si quelque ville importante s’est hasardée à deux cents milles dans les terres.
Quant à l’intérieur du continent, c’est-à-dire sur une surface égale aux deux tiers de l’Europe, il est à peu près inconnu.
Fort heureusement, le trente-septième parallèle ne traverse pas ces immenses solitudes, ces inaccessibles contrées, qui ont déjà coûté de nombreuses victimes à la science. Glenarvan n’aurait pu les affronter.
Il n’avait affaire qu’à la partie méridionale de l’Australie, qui se décomposait ainsi: une étroite portion de la province d’Adélaïde, la province de Victoria dans toute sa largeur, et enfin le sommet du triangle renversé que forme la Nouvelle Galles du sud.
Or, du cap Bernouilli à la frontière de Victoria, on mesure soixante-deux milles à peine. C’était deux jours de marche, pas plus, et Ayrton comptait coucher le lendemain soir à Aspley, la ville la plus occidentale de la province de Victoria.
Les débuts d’un voyage sont toujours marqués par l’entrain des cavaliers et des chevaux. À l’animation des premiers, rien à dire, mais il parut convenable de modérer l’allure des seconds. Qui veut aller loin doit ménager sa monture. Il fut donc décidé que chaque journée ne comporterait pas plus de vingt-cinq à trente milles en moyenne.
D’ailleurs, le pas des chevaux devait se régler sur le pas plus lent des bœufs, véritables engins mécaniques qui perdent en temps ce qu’ils gagnent en force. Le chariot, avec ses passagers, ses approvisionnements, c’était le noyau de la caravane, la forteresse ambulante. Les cavaliers pouvaient battre l’estrade sur ses flancs, mais ils ne devaient jamais s’en éloigner.
Ainsi donc, aucun ordre de marche n’étant spécialement adopté, chacun fut libre de faire à sa guise dans une certaine limite, les chasseurs de courir la plaine, les gens aimables de converser avec les habitantes du chariot, les philosophes de philosopher ensemble. Paganel, qui possédait toutes ces qualités diverses, devait être partout à la fois.
La traversée de la province d’Adélaïde n’offrit rien d’intéressant. Une suite de coteaux peu élevés, mais riches en poussière, une longue étendue de terrains vagues dont l’ensemble constitue ce qu’on appelle le «bush» dans le pays, quelques prairies, couvertes par touffes d’un arbuste salé aux feuilles anguleuses dont la gent ovine se montre fort friande, se succédèrent pendant plusieurs milles. Çà et là se voyaient quelques «pig’s-faces», moutons à tête de porc d’une espèce particulière à la Nouvelle Hollande, qui paissaient entre les poteaux de la ligne télégraphique récemment établie d’Adélaïde à la côte.
Jusqu’alors ces plaines rappelaient singulièrement les monotones étendues de la Pampasie argentine.
Même sol herbeux et uni. Même horizon nettement tranché sur le ciel. Mac Nabbs soutenait que l’on n’avait pas changé de pays; mais Paganel affirma que la contrée se modifierait bientôt. Sur sa garantie, on s’attendit à de merveilleuses choses.
Vers trois heures, le chariot traversa un large espace dépourvu d’arbres, connu sous le nom de «mosquitos plains.» Le savant eut la satisfaction géographique de constater qu’il méritait son nom. Les voyageurs et leurs montures souffrirent beaucoup des morsures réitérées de ces importuns diptères; les éviter était impossible; les calmer fut plus facile, grâce aux flacons d’ammoniaque de la pharmacie portative.
Paganel ne put s’empêcher de donner à tous les diables ces moustiques acharnés qui lardèrent sa longue personne de leurs agaçantes piqûres.
Vers le soir, quelques haies vives d’acacias égayèrent la plaine; çà et là, des bouquets de gommiers blancs; plus loin, une ornière fraîchement creusée; puis, des arbres d’origine européenne, oliviers, citronniers et chênes verts, enfin des palissades bien entretenues. À huit heures, les bœufs, pressant leur marche sous l’aiguillon d’Ayrton, arrivèrent à la station de Red-Gum.
Ce mot «station «s’applique aux établissements de l’intérieur où se fait l’élève du bétail, cette principale richesse de l’Australie. Les éleveurs, ce sont les «squatters», c’est-à-dire les gens qui s’assoient sur le sol. En effet, c’est la première position que prend tout colon fatigué de ses pérégrinations à travers ces contrées immenses.
Red-Gum-Station était un établissement de peu d’importance. Mais Glenarvan y trouva la plus franche hospitalité. La table est invariablement servie pour le voyageur sous le toit de ces habitations solitaires, et dans un colon australien on rencontre toujours un hôte obligeant.
Le lendemain, Ayrton attela ses bœufs dès le point du jour. Il voulait arriver le soir même sur le territoire de Victoria. Le sol se montra peu à peu plus accidenté. Une succession de petites collines ondulait à perte de vue, toutes saupoudrées de sable écarlate. On eût dit un immense drapeau rouge jeté sur la plaine, dont les plis se gonflaient au souffle du vent. Quelques «malleys», sortes de sapins tachetés de blanc, au tronc droit et lisse, étendaient leurs branches et leur feuillage d’un vert foncé sur de grasses prairies où pullulaient des bandes joyeuses de gerboises. Plus tard, ce furent de vastes champs de broussailles et de jeunes gommiers; puis les groupes s’écartèrent, les arbustes isolés se firent arbres, et présentèrent le premier spécimen des forêts de l’Australie.
Cependant, aux approches de la frontière victorienne, l’aspect du pays se modifiait sensiblement. Les voyageurs sentaient qu’ils foulaient du pied une terre nouvelle. Leur imperturbable direction, c’était toujours la ligne droite sans qu’aucun obstacle, lac ou montagne, les obligeât à la changer en ligne courbe ou brisée. Ils mettaient invariablement en pratique le premier théorème de la géométrie, et suivaient, sans se détourner, le plus court chemin d’un point à un autre. De fatigue et de difficultés, ils ne s’en doutaient pas.
Leur marche se conformait à la lente allure des bœufs, et si ces tranquilles animaux n’allaient pas vite, du moins allaient-ils sans jamais s’arrêter.