Vie De Jesus
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CHAPITRE XI. LE ROYAUME DE DIEU CONÇU COMME L'AVÈNEMENT DES PAUVRES.
Ces maximes, bonnes pour un pays où la vie se nourrit d'air et de jour, ce communisme délicat d'une troupe d'enfants de Dieu, vivant en confiance sur le sein de leur père, pouvaient convenir à une secte naïve, persuadée à chaque instant que son utopie allait se réaliser. Mais il est clair qu'elles ne pouvaient rallier l'ensemble de la société. Jésus comprit bien vite, en effet, que le monde officiel de son temps ne se prêterait nullement à son royaume. Il en prit son parti avec une hardiesse extrême. Laissant là tout ce monde au cœur sec et aux étroits préjugés, il se tourna vers les simples. Une vaste substitution de race aura lieu. Le royaume de Dieu est fait: 1° pour les enfants et pour ceux qui leur ressemblent; 2° pour les rebutés de ce monde, victimes de la morgue sociale, qui repousse l'homme bon, mais humble; 3° pour les hérétiques et schismatiques, publicains, samaritains, païens de Tyr et de Sidon. Une parabole énergique expliquait cet appel au peuple et le légitimait [506]: Un roi a préparé un festin de noces et envoie ses serviteurs chercher les invités. Chacun s'excuse; quelques-uns maltraitent les messagers. Le roi alors prend un grand parti. Les gens comme il faut n'ont pas voulu se rendre à son appel; eh bien! ce seront les premiers venus, des gens recueillis sur les places et les carrefours, des pauvres, des mendiants, des boiteux, n'importe; il faut remplir la salle, «et je vous le jure, dit le roi, aucun de ceux qui étaient invités ne goûtera mon festin.»
Le pur ébionisme, c'est-à-dire la doctrine que les pauvres (ébionim) seuls seront sauvés, que le règne des pauvres va venir, fut donc la doctrine de Jésus. «Malheur à vous, riches, disait-il, car vous avez votre consolation! Malheur à vous qui êtes maintenant rassasiés, car vous aurez faim. Malheur à vous qui riez maintenant, car vous gémirez et vous pleurerez [507].» «Quand tu fais un festin, disait-il encore, n'invite pas tes amis, tes parents, tes voisins riches; ils te réinviteraient, et tu aurais ta récompense. Mais quand tu fais un repas, invite les pauvres, les infirmes, les boiteux, les aveugles; et tant mieux pour toi s'ils n'ont rien à te rendre, car le tout te sera rendu dans la résurrection des justes [508].» C'est peut-être dans un sens analogue qu'il répétait souvent: «Soyez de bons banquiers [509],» c'est-à-dire: Faites de bons placements pour le royaume de Dieu, en donnant vos biens aux pauvres, conformément au vieux proverbe: «Donner au pauvre, c'est prêter à Dieu [510].»
Ce n'était pas là, du reste, un fait nouveau. Le mouvement démocratique le plus exalté dont l'humanité ait gardé le souvenir (le seul aussi qui ait réussi, car seul il s'est tenu dans le domaine de l'idée pure), agitait depuis longtemps la race juive. La pensée que Dieu est le vengeur du pauvre et du faible contre le riche et le puissant se retrouve à chaque page des écrits de l'Ancien Testament. L'histoire d'Israël est de toutes les histoires celle où l'esprit populaire a le plus constamment dominé. Les prophètes, vrais tribuns et en un sens les plus hardis tribuns, avaient tonné sans cesse contre les grands et établi une étroite relation d'une part entre les mots de «riche, impie, violent, méchant,» de l'autre entre les mots de «pauvre, doux, humble, pieux [511].» Sous les Séleucides, les aristocrates ayant presque tous apostasié et passé à l'hellénisme, ces associations d'idées ne firent que se fortifier. Le Livre d'Hénoch contient des malédictions plus violentes encore que celles de l'Évangile contre le monde, les riches, les puissants [512]. Le luxe y est présenté comme un crime. Le «Fils de l'homme,» dans cette Apocalypse bizarre, détrône les rois, les arrache à leur vie voluptueuse, les précipite dans l'enfer [513]. L'initiation de la Judée à la vie profane, l'introduction récente d'un élément tout mondain de luxe et de bien-être, provoquaient une furieuse réaction en faveur de la simplicité patriarcale. «Malheur à vous qui méprisez la masure et l'héritage de vos pères! Malheur à vous qui bâtissez vos palais avec la sueur des autres! Chacune des pierres, chacune des briques qui les composent est un péché [514].» Le nom de «pauvre» (ébion) était devenu synonyme de «saint,» d'«ami de Dieu.» C'était le nom que les disciples galiléens de Jésus aimaient à se donner; ce fut longtemps le nom des chrétiens judaïsants de la Batanée et du Hauran (Nazaréens, Hébreux), restés fidèles à la langue comme aux enseignements primitifs de Jésus, et qui se vantaient de posséder parmi eux les descendants de sa famille [515]. A la fin du IIe siècle, ces bons sectaires, demeurés en dehors du grand courant qui avait emporté les autres églises, sont traités d'hérétiques (Ébionîtes), et on invente pour expliquer leur nom un prétendu hérésiarque Ébion [516].
On entrevoit sans peine, en effet, que ce goût exagéré de pauvreté ne pouvait être bien durable. C'était là un de ces éléments d'utopie comme il s'en mêle toujours aux grandes fondations, et dont le temps fait justice. Transporté dans le large milieu de la société humaine, le christianisme devait un jour très-facilement consentir à posséder des riches dans son sein, de même que le bouddhisme, exclusivement monacal à son origine, en vint très-vite, dès que les conversions se multiplièrent, à admettre des laïques. Mais on garde toujours la marque de ses origines. Bien que vite dépassé et oublié, l'ébionisme laissa dans toute l'histoire des institutions chrétiennes un levain qui ne se perdit pas. La collection des Logia ou discours de Jésus se forma dans le milieu ébionite de la Batanée [517]. La «pauvreté» resta un idéal dont la vraie lignée de Jésus ne se détacha plus. Ne rien posséder fut le véritable état évangélique; la mendicité devint une vertu, un état saint. Le grand mouvement ombrien du XIIIe siècle, qui est, entre tous les essais de fondation religieuse, celui qui ressemble le plus au mouvement galiléen, se passa tout entier au nom de la pauvreté. François d'Assise, l'homme du monde qui, par son exquise bonté, sa communion délicate, fine et tendre avec la vie universelle, a le plus ressemblé à Jésus, fut un pauvre. Les ordres mendiants, les innombrables sectes communistes du moyen âge (Pauvres de Lyon, Bégards, Bons-Hommes, Fratricelles, Humiliés, Pauvres évangéliques, etc.), groupés sous la bannière de «l'Évangile Éternel,» prétendirent être et furent en effet les vrais disciples de Jésus. Mais cette fois encore les plus impossibles rêves de la religion nouvelle furent féconds. La mendicité pieuse, qui cause à nos sociétés industrielles et administratives de si fortes impatiences, fut, à son jour et sous le ciel qui lui convenait, pleine de charme. Elle offrit à une foule d'âmes contemplatives et douces le seul état qui leur convienne. Avoir fait de la pauvreté un objet d'amour et de désir, avoir élevé le mendiant sur l'autel et sanctifié l'habit de l'homme du peuple, est un coup de maître dont l'économie politique peut n'être pas fort touchée, mais devant lequel le vrai moraliste ne peut rester indifférent. L'humanité, pour porter son fardeau, a besoin de croire qu'elle n'est pas complètement payée par son salaire. Le plus grand service qu'on puisse lui rendre est de lui répéter souvent qu'elle ne vit pas seulement de pain.
