Les Joyaux de la sorciere
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— Rien ! Pas ça ! fit Anderson en faisant claquer l’ongle de son pouce entre ses dents. On a visité son énorme baraque, le Palazzo Ricci comme il l’appelle, depuis les caves jusqu’aux toits sans détecter la plus petite trace, le moindre indice. Les jardins aussi et le hangar à bateaux. On a fouillé chez les domestiques, on les a passés au gril et, tenez-vous bien : ceux-ci ont vu Maddalena entrer dans la chambre nuptiale, menée par Ricci mais ensuite ils n’ont pas revu la jeune femme.
— Comment cela ?
— Elle n’est jamais ressortie de cette chambre. Du moins à leur connaissance car il a bien fallu qu’elle en sorte pour qu’on la retrouve une semaine plus tard sur les rochers. Ricci, lui, apparemment désolé d’être obligé de s’éloigner s’est fait conduire à New York dans son yacht d’où il a pris le train pour la Floride. Naturellement avant de partir il avait recommandé que l’on veille sur son épouse mais lorsque la femme de chambre est venue réveiller Maddalena avec une tasse de thé il n’y avait personne et la chambre était dans l’état exact où elle l’avait elle-même laissée quand vers la fin de la journée elle était venue l’examiner afin d’être sûre que tout était en ordre. La couverture du lit nuptial était faite, les vêtements intacts, la robe de noces étalée sur un fauteuil. Seuls manquaient les bijoux, la chemise de nuit et le déshabillé assorti en batiste et dentelles blanches ainsi que les mules de velours rouge.
— Autrement dit Maddalena serait partie faire un tour dans cet appareil un peu succinct – au fait, c’était quand ?
— En juillet donc en été et il faisait chaud, une espèce de chaleur orageuse un peu étouffante.
— Qui expliquerait l’envie de faire un tour dans la fraîcheur de la nuit mais après une fête les domestiques se hâtent habituellement de remettre tout en ordre et quelqu’un aurait pu la voir si – et c’est le plus probable – elle était descendue vers la mer.
— Mais personne ne l’a vue et croyez-moi il y avait du monde : rien qu’au Palazzo, ils sont vingt à demeure et il y avait aussi des extra. Cela faisait une cinquantaine de personnes…
— Et elle a disparu comme ça : en chemise et saut-de-lit mais avec les joyaux ? Que s’est-il passé ensuite ?
— On a prévenu le mari par télégramme et il est accouru en donnant tous les signes d’une profonde désolation. Il avait l’air à moitié fou, exigeait que l’on mène une enquête serrée, promettant même une forte récompense à qui ferait prendre l’assassin et je vous prie de croire qu’il y a eu du monde mais, comme d’habitude en pareil cas, toutes ces bonnes volontés n’ont fait que gêner notre action.
— Je veux bien le croire. Et vous dites qu’on l’a retrouvée nue les bijoux envolés bien entendu.
— Eh oui ! On a avancé alors l’hypothèse que la malheureuse était allée rejoindre un amoureux. Par quel chemin on n’en a rien su à moins qu’elle n’ait eu la possibilité d’emprunter le balai des sorcières ou de se faire pousser des ailes…
— Les sorcières ? fit Morosini avec l’ombre d’un sourire. Voilà qui est séduisant ! Savez-vous que j’ai donné le nom de « Joyaux de la Sorcière » à la fameuse parure de Bianca Capello ? Et Salem n’est pas tellement loin de Rhode Island ? Mais vous en étiez à un amoureux possible…
— Pas vraiment surprenant avec une fille aussi belle mariée à un homme beaucoup plus âgé et plutôt quelconque. Sa passion assouvie, l’amant pour éviter les ennuis aurait exécuté sa maîtresse avant de prendre la poudre d’escampette avec les bijoux…
— Possible sans doute…
— Mais hautement improbable car le drame s’est reproduit pratiquement de la même façon deux ans après et presque jour pour jour… Il y a vingt-quatre mois donc, Ricci après avoir mené un deuil impressionnant, a décidé de se remarier. Cette fois, il s’agissait d’une Américaine, une fille de dix-neuf ans qu’il avait rencontrée à Central Park où elle donnait à manger aux oiseaux. Elle s’appelait Anna Langdon et elle était vendeuse chez Woolworth…
— …sans aucune famille, blonde tirant sur le roux avec des beaux yeux sombres.
— Comment le savez-vous ?
— Je ne sais pas : j’imagine. Cela me paraît couler de source.
— Une vraie Cendrillon en effet dont Ricci a fait une éblouissante créature. Et le scénario s’est renouvelé. Le mariage a été annoncé. Il devait avoir lieu comme le premier à six heures du soir et se terminer par un bal.
— En costumes d’époque, j’imagine ?
— Tout à fait. Ricci avait demandé à ses invités de faire ce petit effort en mémoire de sa première épouse si tragiquement disparue.
— Et ils ont marché ?
— Presque tous. La première fête avait été sublime, d’une rare somptuosité. Elle avait laissé de tels souvenirs – même dans un lieu aussi fabuleux que Newport ! – qu’ils ont eu envie de la renouveler. Par pure curiosité j’y suis allé, moi aussi, bien que je n’eusse pas été invité et j’avoue que le coup d’œil était féerique.
— La mariée portait-elle des bijoux ?
— Naturellement, mais ce n’étaient pas ceux de la première fois.
— Tiens donc ? J’aurais cru pourtant…
— Ne laissez pas s’envoler votre imagination : si la parure de Maddalena lui a été volée par celui qui l’a tuée, comment voulez-vous que Ricci puisse l’offrir à sa nouvelle fiancée ? Elle avait sur la gorge un énorme rubis au bout d’une chaîne d’or, des perles et des rubis plus petits, rien aux oreilles, rien aux bras mais à la main droite, il y avait un autre rubis de la même taille.
— Que s’est-il passé ensuite ?
— Pratiquement le même scénario. Ricci est entré avec sa jeune épouse dans la chambre. À dû en ressortir environ une demi-heure après, appelé par un télégramme à La Nouvelle-Orléans. Il en a montré paraît-il une vive contrariété mais l’affaire, une fois encore, était d’importance et il est parti en recommandant à ses serviteurs la plus grande vigilance…
— Il y a quelque chose que je ne comprends pas. La Floride comme la Louisiane sont des territoires plutôt agréables pourquoi donc n’y emmenait-il pas ses compagnes ? Un voyage de noces comme un autre ? Étrange qu’il n’y en ait pas eu au programme ?
— Mais c’était prévu : le couple devait partir pour l’Italie la première fois, pour Paris la seconde au matin suivant la nuit de noces. D’après ce que j’ai pu entendre des domestiques ni l’un ni l’autre ne souhaitait se lancer dans un voyage d’affaires sans grand attrait surtout après une journée si fatigante. Après le départ de l’époux la porte de la chambre s’est refermée sur Anna comme elle s’était refermée sur Maddalena… et plus personne ne l’a revue vivante. Au matin elle avait disparu ne laissant derrière elle que ses atours de mariée et sans que rien ait été dérangé dans la pièce.
— Elle est partie en chemise de nuit comme la première ?
— Et avec les bijoux. Quatre jours plus tard, son corps mutilé de la même façon que l’autre était découvert à la pointe de l’île. Vous imaginez l’effet sur la population. L’affaire a fait un bruit énorme et cette fois, le F. B. I. s’en est mêlé. Le coupable a été retrouvé…
— Ah bon ? Et c’était ?
— Un pêcheur des environs. Un beau type, entre parenthèses, dont on pouvait comprendre qu’une femme puisse s’éprendre, surtout si on le comparait à Ricci mais un solitaire aussi, vivant avec sa mère dans une maisonnette au bord de l’eau, taciturne, un peu demeuré… à ce que l’on disait.
— Bref le coupable idéal ! fit Morosini sarcastique. On a réussi à lui extorquer des aveux ?
— Mieux que ça ! On a retrouvé les joyaux enterrés près de sa bicoque. Il a été jugé… et exécuté !
— Il y a eu un tribunal pour le condamner alors que, selon moi, tout désignait Ricci ?
— Selon moi aussi mais encore une fois il était absent. On n’a pas cherché à savoir comment Peter Bascombe – c’était le nom du pêcheur ! – a pu s’y prendre pour s’emparer des jeunes femmes. On a supposé qu’elles sont allées le rejoindre de leur plein gré…