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La musique dune vie

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La musique dune vie
Название: La musique dune vie
Автор: Makine Andrei
Дата добавления: 16 январь 2020
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La musique dune vie - читать бесплатно онлайн , автор Makine Andrei

«Je m'?veille, j'ai r?v? d'une musique.» – Andre? Makine

«Un tr?s beau roman d'une ?criture ?pur?e qui vise l'?motion et touche au c?ur.» – L'Express

Au c?ur de la temp?te, dans l'immensit? blanche de l'Oural, des voyageurs transis attendent un train qui ne vient pas. Alors que s'?tire cette nuit sans fin, un vieux pianiste remonte le fil de son histoire, des pr?mices d'une grande carri?re au traumatisme de la guerre.

Guid?s par une musique int?rieure, les souvenirs d'Alexe? nous r?v?lent la force indomptable de l'esprit russe.

Une ville, une gare, sur "une plan?te blanche, inhabit?e". Une ville de l'Oural, mais peu importe. Dans le hall de la gare, une masse informe de corps allong?s, moul?s dans la m?me patience depuis des jours, des semaines d'attente. Puis un train, sorti du brouillard, qui s'?branle enfin vers Moscou. Dans le dernier wagon, un pianiste raconte au narrateur la musique de son existence. Exemple parfait, elle aussi, de "l'homo sovieticus", de "sa r?signation, son oubli inn? du confort, son endurance face ? l'absurde". Pour le pianiste s'ajoute ? cela la guerre. La guerre qui joue avec les identit?s des hommes, s'amusent parfois ? les intervertir, les salir aussi, les condamner: ? la solitude, ? l'exil, au silence, la pire des sentences pour un musicien. Mais rien – pas m?me la guerre – ne parvient ? b?illonner tout ? fait les musiques qui composent la vie d'Alexe?, celles qui n'ont cess?, sans qu'il le sache, d'avancer ? travers sa nuit, de "respirer sa transparence fragile faite d'infinies facettes de glace, de feuilles, de vent". Celles qui le conduisent au-del? du mal, de l'angoisse et du remords.

? la suite du Testament fran?ais triplement couronn? en 1995 par les prix Goncourt, M?dicis et Goncourt des lyc?ens, Andre? Makine poursuit le portrait intraitable de sa Russie natale ? travers une langue toujours plus fervente et inspir?e. -Laure Anciel -Ce texte fait r?f?rence ? une ?dition ?puis?e ou non disponible de ce titre.

«L'id?al du roman, c'est qu'on ne puisse rien en dire, seulement y entrer, y demeurer dans la contemplation et s'en trouver transfigur?. Ce n'est pas pour bouger l'air, se d?gourdir le style que les Russes ?crivent» explique Andr?? Makine dans le dernier num?ro de Lire.

Makine ?crit donc pour dire quelque chose, il s'inscrit ainsi dans la grande lign?e des auteurs russes pour lesquels litt?rature et philosophie se conjuguent ? l'unisson. Dans La musique d'une vie, il fait surgir d'une foule endormie au fond d'une gare de Sib?rie, un destin. Celui d'Alexis Berg, jeune pianiste dont la vie se brise un soir de 1941. Contraint de fuir son premier concert en raison des purges staliniennes, Alexis se r?fugie en Ukraine avant de prendre une fausse identit?. Il deviendra plus tard chauffeur d'un haut dignitaire de l'arm?e, contraint de fuir son identit? pour ne pas d?voiler celle qu'il s'est appropri?e. Dans ce roman ? l'?criture lumineuse, Andr?? Makine donne chair aux oubli?s de l'histoire sovi?tique. Ni h?ros de l'arm?e rouge, ni dissidents, ni prisonniers, simplement figures ordinaires du peuple russe. Derri?re ses mots, on sent comme les sanglots raval?s de milliers d'existences d?truites par le r?gime. Des vies dont les promesses n'ont pas ?t? tenues, mais qui ont surv?cu ? tout: aux purges, ? la guerre, ? l'administration d?bilitante du r?gime.

Un roman que Makine portait en lui depuis quinze ans, ?crit dans une langue limpide mais retenue, comme pour mieux sugg?rer des ?motions trop fortes pour ?tre d?crites. 127 pages qui rendent justice ? cet «Homo sovieticus» trop longtemps noy? dans la masse informe du peuple.

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Mais tout restait accidentel, comme cette explosion qui projeta, un jour, leur voiture hors de la route, l'assourdit, l'obligea à porter le général contusionné, à piétiner de longues heures à travers une forêt humide, striée de petits courants d'eau glaciale. Quand le général revint à lui, quand il apprit qu'Alexeï, touché lui-même par un éclat, l'avait porté sur de longs kilomètres, il annonça d'un ton solennel, teinté de larmes: «Bon, Maltsev, considère que désormais tu es pour moi comme un fils.» Alexeï l'écouta, gêné par cette effusion, intrigué seulement par un détail: le nom d'une ville qu'il avait aperçu sur un panneau, en traversant une route, courbé sous le poids du général. Salzbourg… Et sur cette route, malgré la fatigue et la douleur, il avait perçu un rappel lointain, brouillé par le battement du sang dans ses tempes et par les gémissements du général. «Avant la guerre…»

Plus difficile encore à déchiffrer dans ce flot de hasards, heureux ou pénibles, fut la fin de la guerre. Car ni lui ni le général ne l'avaient remarquée. La division que Gavrilov commandait se battait en Autriche, où la guerre se poursuivit deux bonnes semaines après la victoire fêtée à Berlin. La voiture du général sillonnait les routes creusées d'obus, on voyait les soldats qui se jetaient dans des corps à corps, le poste de commandement résonnait de voix enrouées qui hurlaient des ordres dans les combinés chevrotants.

Et puis, un après-midi, ce fut le silence, la victoire déjà lointaine, et la souriante banalité des paroles de ce jeune lieutenant qui interpella Alexeï, la main sur la poignée de la portière: «Ah, Maltsev, je te cherche depuis deux jours! Dis donc, on a l'air important dans sa grosse bagnole. On ne reconnaît plus les vieux amis…» Il continua à plaisanter tandis qu'Alexeï essayait de deviner derrière ces bribes de ricanements le passé qui lui était inconnu: cet ami, ancien camarade d'école, la vie dans leur village natal… «Les tiens ne savaient plus quoi penser. Tout le monde te croyait mort ou disparu. Pourquoi tu n'écrivais pas, fils de chien! Bon, dès qu'on est démobilisés, on rentre et on va fêter ça, d'accord? Et ne t'en fais pas pour la cicatrice, les filles vont aimer, et même encore plus!»

Il vécut dans l'illusion d'un passage immédiat de Vienne à Moscou, comme si les rues des deux villes se prolongeaient les unes dans les autres, sans frontières. La rencontre avec le lieutenant, l'angoisse de cette vie qui le guettait, de la vie volée à un mort avaient compressé ces semaines de rapatriement, confondu les deux villes, jeté sa voiture directement du Graben sur l'Arbat.

Et lorsque, un jour, après avoir déposé le général à son domicile, il gara la voiture sur les boulevards et s'engouffra, à pied, sous leur verdure, cette Moscou lui parut bien plus irréelle que les villes étrangères qu'il avait traversées.

Dans la cour, un enfant zigzaguait sur son vélo autour d'un bac à sable, les roues répétaient le même grincement aigu qu'autrefois. Alexeï crut, un instant, que l'enfant lui-même n'avait pas changé, que c'était toujours ce garçon qui, dans un passé devenu improbable, avait levé les yeux vers un jeune homme caché derrière une fenêtre poussiéreuse. Sur un banc, un joueur d'échecs se penchait sur ses manœuvres. Le même? Un autre? A l'extrémité du banc était assis un homme, jeune encore, unijambiste. Il lisait un journal humoristique et de temps en temps éclatait de rire. On voyait qu'il était déjà habitué à son état et qu'il avait étudié des positions confortables pour son corps mutilé. A chaque esclaffement, le joueur d'échecs sursautait, se redressait, fixait le visage rieur du soldat, sans comprendre.

Alexeï enfonça sa casquette sur son front, monta l'escalier. Une flopée de gamines jaillit d'un palier, se précipita en bas en une cascade pépiante. Il se rendit compte que les années écoulées le masquaient mieux que la visière de sa casquette.

Sur le mur, à côté de la porte de leur appartement, il vit les boutons de trois sonnettes, trois rectangles de papier avec des noms. Un appartement communautaire… Descendu dans la cour, il repéra sur la façade ces deux fenêtres: la cuisine, la chambre de ses parents. Du linge y pendait, abondant et très varié. Cet irrésistible enracinement de la vie lui parut à la fois touchant et inutile.

***

Durant ces premières semaines à Moscou, il entendit souvent parler des prisonniers amnistiés qui, sans avoir le droit de venir dans les grandes villes, pouvaient s'installer dans l'Oural, en Sibérie, en Asie centrale. Il imaginait ses parents dans l'un de ces endroits reculés, se disait qu'avec le temps, en menant des recherches prudentes, il pourrait les retrouver. Et que désormais seule sa fausse identité risquait de compromettre leurs retrouvailles.

Le général monta encore en grade et travaillait à présent au ministère de la Défense. Il avait sans doute oublié sa promesse de traiter son chauffeur comme un fils mais restait toujours bienveillant et même, un jour d'octobre, au moment où ils arrivaient à son domicile, proposa: «Écoute, tu vas venir avec moi. J'ai des paperasses à rassembler, ça va être long… Si, si, tu ne vas pas te geler dans la voiture par un temps pareil…»

Ils montèrent. Une femme de ménage, âgée, silencieuse, installa Alexeï dans une petite pièce à côté de l'entrée, lui apporta un verre de thé. La pièce, mi-vestiaire mi-débarras, avait une étroite fenêtre, derrière laquelle planaient les flocons de la première neige. Il se sentit tout de suite très bien dans ce réduit, comme si ce lieu marquait enfin un retour. Distraitement, il suivait le glissement des flocons qui semblaient voltiger dans une journée très ancienne, sur une ville oubliée. Le thé avait aussi ce goût d'autrefois. Comme le silence du grand appartement dans la chute du jour. Comme la présence invisible de la femme de ménage qu'il entendit soupirer dans la cuisine. Et soudain, assourdies par le couloir, hésitantes, ces quelques notes. Puis toute une phrase sonore. Puis cette musique.

Il quitta la petite pièce, fit quelques pas dans le couloir, ne voulut pas avancer plus. Ce qu'il vit lui suffisait. Cette robe d'un velours bleu foncé, le reflet de cheveux clairs, cette main droite qu'il voyait quand elle glissait vers les aigus, la main gauche dont il devinait la pression sans la voir. Il restait immobile dans le crépuscule de ce couloir, l'épaule contre le mur, conscient que l'univers venait d'atteindre sa perfection. Cette neige derrière la fenêtre, le mystère de ce grand appartement inconnu, cette musique. Surtout l'imperfection de cette musique! Car les mains se heurtaient de temps en temps à un alliage de notes difficiles à dissocier, revenaient en arrière, reprenaient leur élan. Ces errements, il le sentait, étaient nécessaires à la plénitude qui venait de se révéler. Il était impossible d'y ajouter quoi que ce soit. Juste, peut-être, ce coup d'œil de la vieille femme de ménage qui, muette, traversa le couloir et eut pour lui un bref regard qui lui sembla compréhensif et amer. Rien d'autre.

Pourtant, ces minutes qui lui auraient suffi se prolongèrent et donnèrent naissance à de nouvelles attentes dans la petite pièce, puis à la première rencontre («Ah, vous êtes donc… oui, Papa nous a parlé de vous…») et à d'autres rencontres, et à la beauté du visage ouvert et souriant de cette jeune fille de dix-sept ans, à la fragilité de cette main lors de leur premier contact («Stella… C'est Maman qui a voulu ce prénom… Je le trouve horriblement comique avec mon patronyme de Vassilievna, n'est-ce pas?»), à la certitude que la touche bleu foncé du velours était la composante même, à la fois évidente et codée, du bonheur. Et que les autres composantes étaient ces flocons derrière les vitres, ce début de crépuscule, ces notes dont le flottement laissait parfois deviner la faiblesse juvénile des doigts.

Il vivait cet amour au passé, entraîné vers les années de grande peur où il ne rencontrait que les masques au long nez, ces trois années durant sa jeunesse où il aurait dû vivre exactement ce qui arrivait aujourd'hui: cette rencontre avec une jeune fille de son âge, un premier amour. Il avait vingt-sept ans à présent. La jeune fille au piano rendait cette question d'âge sans objet car il se sentait en dehors du flux habituel des jours, dans un temps dédoublé, dans une rêverie qui lui laissait revivre ces trois années passées au milieu des masques.

Parfois, il s'éveillait, observait sa vie comme par-delà la rampe d'un escalier, éprouvait un vertige: tant de vivants et de morts le séparaient de la jeune fille au piano. Il serrait ses poings, ces doigts puissants, marqués de cicatrices, se souvenait que ces mains avaient tué, avaient appris à manier avec assurance la chair féminine – la chair de cette femme aux yeux jaunes de félin qu'il avait rencontrée à l'anniversaire d'un ami, à la fin de l'été, une femme qu'il avait prise à moitié endormie, ivre, en éprouvant presque du dégoût pour ce grand corps indifférent et paresseux… A ce souvenir, il se disait qu'il aurait mieux valu rester dans la voiture, ne pas accepter l'invitation du général… Mais dans la petite pièce où il prenait le thé et que le général, matelot dans sa jeunesse, appelait le «nid-de-pie», il oubliait tout, se confondait avec l'ondoiement de la neige, avec l'écho des notes, avec l'attente des pas dont il connaissait la rapide cadence et de cette voix: «Mais pourquoi vous restez ici, dans l'obscurité? Venez…»

Stella le plaçait à côté d'elle, se mettait à jouer, lui demandait parfois de tourner les pages de la partition: «Je vous ferai un signe, comme ça, avec mon menton.» Il s'exécutait, observait ce visage, faisant semblant de guetter le signe, parfois jetait un coup d'œil sur la partition et détournait rapidement les yeux.

Elle trouva en lui cette matière à rêver qui se laissait facilement sculpter par son imagination de jeune fille. Ce Sergueï Maltsev était quelqu'un de suffisamment défini: originaire d'un petit village, homme de vingt-sept ans (c'est-à-dire presque un vieillard pour elle qui en avait dix-sept), et cette horrible balafre qui lui barrait le front. Donc un homme qui, de toute évidence, n'était pas celui qu'elle attendait secrètement.

Mais, d'autre part, il était suffisamment énig-matique: un homme qui avait déjà certainement fait bien des conquêtes féminines et qui pourtant, d'après le père de Stella, vivait seul, quelque part dans les rues enneigées de la périphérie de Moscou, un homme silencieux qui souvent ramenait le général à la tombée de la nuit et disparaissait dans cette nuit, au volant de la grande voiture noire, sous les trombes de la pluie ou les tourbillons de la neige. A ces moments-là, il se laissait facilement imaginer dans l'habit d'un mystérieux inconnu dont elle redessinait sans cesse le visage et le destin. D'ailleurs, son père n'avait-il pas dit un jour que pendant la guerre ce chauffeur lui avait sauvé la vie?

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