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Un an

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Un an
Название: Un an
Автор: Echenoz Jean
Дата добавления: 16 январь 2020
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Un an читать книгу онлайн

Un an - читать бесплатно онлайн , автор Echenoz Jean

Victoire se r?veille un matin en d?couvrant le corps de son compagnon, F?lix, gisant sur le parquet de la chambre. Sans parvenir ? reconstituer le cours des derni?res heures, mais persuad?e de n'y ?tre pas compl?tement ?trang?re, elle d?cide de prendre la fuite. O? qu'elle se trouve alors, tous ponts coup?s, un certain Louis-Philippe sait pourtant curieusement toujours la retrouver et la tient inform?e des suites de 'l' affaire'

. Mais Louis-Philippe ne dit pas tout. Que cache-t-il? Qui est qui? Qui ment, affabule, d?ment, qui est le d?ment de l'autre? Et que s'est-il r?ellement pass??

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L'affaire Félix était close, fit-il savoir, il ne fallait plus y penser. On avait fini par la classer en écartant toute responsabilité de Victoire. Bien que sa disparition eût d'abord intrigué, on n'avait qu'à peine envisagé de retenir quoi que ce fût contre elle. Pas de soupçon ni même de supposition: elle pouvait maintenant rentrer à Paris. Je ne te propose pas de te ramener, je pars dans l'autre sens vers l'Espagne. Tout le temps qu'il parla, Victoire consi- - déra Louis-Philippe avec un air d'indifférence et sans donner l'impression de bien comprendre. Pourtant, le soir même, par les voies secondaires elle rejoignit Bordeaux, là se posta près du péage de l'autoroute et dix heures plus tard elle était à Paris.

Un semi-remorque Scania pourpre l'ayant déposée à l'embranchement de l'autoroute de Metz, de là Victoire marcha jusqu'à la porte de Bercy puis suivit l'arc des Maréchaux vers le nord. Porte de Montreuil, elle prit à gauche dans la rue d'Avron vers la Nation d'où elle emprunta, toujours en direction du nord et dans l'axe du métro, l'allée centrale des boulevards qui se succèdent par le Père-Lachaise, Belleville puis Stalingrad.

Après La Chapelle occupée par des baraquements d'attractions foraines, Victoire suivit Rochechouart puis Clichy, sans quitter leur allée médiane qui est une jetée entre les flots adverses de véhicules. Cette jetée, meublée de bancs et d'arbres, est peuplée d'hommes oisifs, d'hommes âgés, d'hommes immigrés, d'hommes parfois les trois en même temps assis sur ces bancs, sous ces arbres, et qui regardent voleter à leurs pieds feuilles mortes et papiers froissés. Quand le boulevard des Batignolles surplombe les voies de la gare Saint-Lazare, une idée dut venir à Victoire ou se préciser dans son esprit car dès lors son pas se fit rapide et sûr. Elle prit encore à gauche dans la rue de Rome qu'elle descendit, coups d'œil aux violons dans les vitrines, jusqu'à la gare. Sous des plafonds de bois peint, de croisillons métalliques et de verre armé, la salle des pas perdus de la gare Saint-Lazare est un long rectangle bardé sur ses longueurs de distributeurs automatiques de tickets. Ses largeurs sont occupées à l'ouest par le Snack Saint Lazare Brasserie, à l'est par un monument bidimensionnel et commémoratif des agents du réseau morts pour la France. Devant le snack, jouxtant une cage en verre contenant deux vigiles vêtus de plastique noir et porteurs d'appareils à leur ceinture, se trouve la salle de vente des billets grandes lignes dans laquelle Victoire entra.

Une horloge, deux écrans vidéo décorent cette salle, avec une carte de France schématique dont une motrice en perspective occupe le cœur. Victoire se dirigea vers le guichet 14 devant lequel, toujours la même et l'autre comme un nuage, se renouvelait continûment une file d'attente. Les guichetiers se tenaient derrière une vitre protégée par un rideau lavande et dont un trou circulaire occupait le centre. Des candidats au voyage faisaient état, par ce trou, d'un éventail de réductions pour obtenir des allers-retours à moindre prix. Sans leur accorder plus d'un regard, les guichetiers tapaient leur demande sur un clavier puis indiquaient le prix de la prestation. Victoire prit sa place dans la file et, quand son tour fut venu, prononça juste à mi-voix le nom de Louise.

De l'autre côté de la vitre, une jeune femme releva vivement la tête en ouvrant grand les yeux. Qu'est-ce que tu fais là, demanda Louise. Ça va, dit Victoire, ça va bien. Considérant les vêtements de Victoire, ses cheveux puis son expression, Louise parut sur le point d'émettre un commentaire puis, se ravisant, se tut. Je t'expliquerai, dit Victoire. Ecoute, dit Louise en désignant d'un sourcil la nouvelle file déjà formée derrière Victoire, je n'ai pas trop le temps, là, qu'est-ce qu'il te faut? Tu vas où? Tu as une réduction? Non, dit Victoire, je ne vais nulle part. C'est plutôt que je reviens. Je t'expliquerai, promit-elle encore, mais est-ce que tu pourrais me loger ce soir, juste pour la nuit? Ça ne tombe pas trop bien, dit Louise, c'est un peu difficile. Je vis avec Paul à présent, tu te souviens de Paul, tu sais comme il est. Et puis tu sais comme est l'amour, toujours pareil, c'est la compassion ou le reflet.

Il est surprenant que ce trou circulaire dans la vitre, conçu pour transmettre des informations strictement ferroviaires et d'un contour plus régulier que celui que Victoire a vu se former, six mois plus tôt, sur la voiture de Louis-Philippe, puisse véhiculer de tels points de vue sans que tout le système explose. Essaie peut-être de voir avec Lucien, plutôt, suggère Louise, tu as l'adresse? Je crois, réfléchit Victoire, dans le treizième? Je vais te la noter, dit Louise, c'est en bas du boulevard Arago, tu as un peu d'argent sur toi? C'est-à-dire, dit Victoire, non. Tiens, dit Louise.

Victoire prit le métro jusqu'à Denfert-Rochereau puis descendit le boulevard Arago qui ressemble, en octobre, à l'image de l'automne dans un ancien manuel scolaire. Profilé en boomerang, il est bordé d'arbres roux d'où par temps frais, lumière grise et ciel bas tombent des marrons qui rebondissent parfois sur les voitures en négatifs de balles de golf. L'appartement de Lucien se trouvait tout en bas du boulevard, vers les Gobelins, Victoire pourrait y passer une quinzaine de jours.

Elle connaissait à peine Lucien, croisé deux fois chez Louise, mais leurs horaires n'étaient heureusement pas compatibles. Presque jamais ils ne se croisèrent dans ces deux pièces, Victoire dormait encore quand il s'en allait tôt le matin, sans la retrouver chez lui en fin d'après-midi, s'étant endormi lorsque Victoire rentrait assez tard le soir. A son réveil, au bord de la baignoire, Lucien trouvait dans un cheveu de Victoire une ligne d'écriture, une longue signature détaillée, tous ses prénoms suivis d'un paraphe à méandres.

Victoire, les semaines suivantes, évita les lieux qu'elle avait l'habitude de fréquenter auparavant. Puis quand même un soir de la mi-novembre, ayant presque retrouvé son apparence normale, elle se risqua jusqu'au Central. Elle ne s'y était plus rendue depuis la veille de son départ mais à peine entrée, debout près du bar en compagnie d'une belle femme, elle aperçut Félix.

Félix, qui avait l'air en pleine forme, ne parut pas manifester quelque émotion particulière en voyant approcher Victoire.

Alors, s'exclama-t-il seulement, où est-ce que tu étais passée? Je t'ai cherchée partout, je te présente Hélène. Victoire, souriant à Hélène, s'abstint de demander à Félix comment il n'était pas mort, ce qui eût risqué d'infléchir l'ambiance, et préféra commander un blanc sec. Et Louis-Philippe, dit-elle, tu l'as vu ces jours-ci? Ah, dit Félix, tu n'as pas su. Je suis désolé. Je vous laisse un instant, dit Hélène. Je suis désolé, répéta Félix à voix basse après qu'elle se fut éloignée, je croyais que tu savais. On n'a pas trop compris ce qui s'est passé pour Louis-Philippe, on n'a jamais bien su, je crois qu'on l'a trouvé deux ou trois jours après dans sa salle de bains. C'est tout le problème quand on vit seul. Ça s'est passé juste au moment de ton départ, ça va faire quoi, un an, un peu moins d'un an. J'ai même cru un moment que tu étais partie à cause de ça. Mais non, dit Victoire, bien sûr que non.

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