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Un an

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Un an
Название: Un an
Автор: Echenoz Jean
Дата добавления: 16 январь 2020
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Un an читать книгу онлайн

Un an - читать бесплатно онлайн , автор Echenoz Jean

Victoire se r?veille un matin en d?couvrant le corps de son compagnon, F?lix, gisant sur le parquet de la chambre. Sans parvenir ? reconstituer le cours des derni?res heures, mais persuad?e de n'y ?tre pas compl?tement ?trang?re, elle d?cide de prendre la fuite. O? qu'elle se trouve alors, tous ponts coup?s, un certain Louis-Philippe sait pourtant curieusement toujours la retrouver et la tient inform?e des suites de 'l' affaire'

. Mais Louis-Philippe ne dit pas tout. Que cache-t-il? Qui est qui? Qui ment, affabule, d?ment, qui est le d?ment de l'autre? Et que s'est-il r?ellement pass??

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Les jours suivants, sa vie quotidienne prit un tour qu'elle n'avait jamais connu. Elle sillonnait lentement les petites routes à vélo, sans se risquer hors de la région, au-delà des Landes, se tenant dans le triangle que délimitent Arcachon, Nérac et Dax. Elle s'arrêtait dans la journée sur les places de villages, aux fontaines, achetait dans les superettes du fromage et de la charcuterie sous vide, accompagnés de fruits et de tranches de pain sous plastique également puis, le soir, cherchait pour dormir un établissement au meilleur marché. Mais les hôtels au-dessous de cent francs ne courant pas les rues, elle dut faire encore un ou deux achats supplémentaires, couverture et sac de couchage: 360; cartes Michelin 78 et 79: 32.

La première fois qu'il fallut coucher dehors, Victoire ne s'y était pas assez préparée: prise de vitesse par la nuit tombée tôt, elle dut se résoudre à un talus sous un nœud d'arbres en marge d'un chemin, et dormit très peu et mal. Elle passa tout le lendemain à chercher un abri possible, qu'elle découvrit en marge d'un petit bourg nommé Onesse-et-Laharie. Au revers d'un vieil hôtel à vendre, une porte mal cadenassée donnait sur une remise au plancher défoncé, parsemé de matelas corrompus; des montants de hauts lits métalliques dessinaient des grilles sur les murs. Victoire put y passer deux nuits de suite mais dans ces villages on vous remarque vite, autant ne pas s'attarder.

Elle roulait, elle erra sur des routes rec-tilignes et plates, parfaitement perpendiculaires aux arbres. Artificielle comme un lac, la forêt consiste en rangs parallèles de conifères, chacun ressemble à ses voisins disposés de part et d'autre de la route en glacis géométrique. Et comme Victoire se déplace les rangs se déplacent aussi, son regard découpe un mouvement perpétuel de perspectives, un éventail sans cesse redéployé, chaque arbre tient sa place dans une infinité de lignes qui fuient en même temps, forêt soudain mobile actionnée par le pédalage. Pourtant, pareils à leurs prochains et réduits au servage, les conifères ont avec leur indépendance abdiqué jusqu'à leur identité, leurs déjections mêmes fournissent un sol de décorateur diplômé: moquette blonde à motifs, lit d'aiguilles satiné décoré d'une branche morte par-ci, d'une pomme de pin par-là, traitée antitaches et antifeu. Pour animer le tableau, un service minimum de ragondins, palombes, écureuils et d'autres encore crée des diagonales et pousse des cris, le vent froisse les arbres en harpe, les scies mécaniques sanglotent au loin.

Tout le temps que ses trois mille francs permirent de subvenir à ses besoins, Victoire se tint à l'écart des grandes villes. Comme les nuits allaient s'adoucissant, elle s'habitua plus vite qu'elle aurait cru à dormir dehors, à repérer les coins tranquilles. Pour se nourrir, il lui était arrivé les premiers jours d'aller dans les restaurants les moins chers, elle abandonna vite, moins pour l'argent que pour l'espace: on ne sort d'un restaurant que pour rentrer chez soi, en sortir pour ne rentrer nulle part revient à se retrouver doublement dehors. Donc elle prit aussi l'habitude de se nourrir seule, tournant au monde le dos.

Arriva le jour où, voyant s'amenuiser dangereusement ses ressources, Victoire dut envisager de bientôt mettre un terme à ses déplacements de village en village à travers la forêt. Elle allait se voir contrainte de s'approcher des villes, plus vastes et peuplées, où se retrouvent les personnes sans domicile fixe qui peuvent y parvenir à survivre moins difficilement. Mais plus tard. Elle resterait à la campagne tant qu'elle le pourrait. Puis arriva encore ceci, dans le miroir d'une pharmacie, qu'elle n'aurait pas cru voir se produire un jour: comme elle n'avait presque plus de vêtements de rechange, ni de produits de maquillage ni quoi que ce fût pour se laver, ni plus aucun argent pour y remédier, son apparence avait commencé de se dégrader. Elle se rapprocha du miroir: bien que n'ayant jamais rien entrepris dans ce sens, toujours différé cette idée, il était clair qu'avec cette tête il était un peu tard pour chercher un emploi ou quelque chose, et le lendemain de ce jour on lui vola naturellement sa bicyclette.

Le bourg qui s'appelle Trensacq inspire confiance et ne laissait rien présager de tel. Victoire avait garé son engin devant l'unique épicerie, l'y avait laissé le temps d'acheter une brique de lait. Mais une fois sortie de l'épicerie, la rue était déserte et le vélo plus là. Dans une vie antérieure Victoire eût fait du foin, fût rentrée par exemple en gesticulant dans l'épicerie. Encore maintenant, bien qu'elle fût un peu sale et plus très belle à voir, généralement les commerçants ne l'accueillaient pas mal; bien qu'elle s'exprimât peu, on lui parlait. Mais se voyant là vêtue, coiffée comme elle était, n'ayant pas le cœur de prendre à témoin qui que ce fût, Victoire poursuivit à pied.

Comme elle devrait dorénavant porter à la main son bagage, il fallut encore l'alléger du superflu. Comme elle ne tirerait pas d'argent de vêtements trop malpropres et parfois déchirés, comme personne n'en voudrait, Victoire les abandonna près d'un collecteur de verre. Elle ne posséda plus alors qu'une paire de chaussures de sport, un pantalon de toile forte et des tricots superposés sous une parka matelassée, mais elle n'avait plus guère de sous-vêtements de rechange qu'elle lavait quand c'était possible, or peu fréquents sont les points d'eau discrets. Elle commença de se déplacer en auto-stop.

Jovial dans une grosse Renault, cheveux noirs épais lissés en arrière et moustache assortie, le premier homme qui la prit à son bord était vêtu d'un complet bleu pétrole, d'une chemise à rayures bleu ciel et d'une cravate en tricot bordeaux. Une chaînette retenant son signe zodiacal stylisé ballait par-dessus sa cravate et une tétine fluorescente surdimensionnée pendait au rétroviseur. Assurances générales, exposa-t-il, j'assure ce qu'on veut, j'assure les choses auxquelles tiennent les gens, vous avez des cigarettes dans la boîte à gants, ça n'a pas l'air d'aller bien fort. Ça va, dit Victoire, ça va parfaitement. Ah bon, fit l'homme désappointé, alors vous allez loin, comme ça? La jeune femme eut un geste latéral.

Vous tombez bien, c'est là que je vais, lui dit une heure plus tard un deuxième conducteur, installé au volant d'un fourgon noir au rétroviseur duquel se balançait une silhouette de sapin déodorant. Ça ne vous gêne pas de vous asseoir à côté de moi, suggéra-t-il, je vous proposerais bien derrière mais le cercueil, évidemment, hein. Ha, fit-il bruyamment, mais ne vous inquiétez pas, je roule à vide aujourd'hui. De toute façon c'est très calme en ce moment, la médecine a fait tant de progrès. Les gens ne meurent plus. Vous allez où, après?

Mais justement Victoire ne savait pas bien où. Faute de se résoudre encore à rejoindre une grande ville, elle continuait de choisir au hasard sur sa carte, souvent sur la foi du seul son de leur nom, des agglomérations mineures où elle tâchait toujours de se nourrir et s'abriter pour une ou deux nuits. Cela produirait une errance en dents de scie, pas très contrôlée: s'il se pourrait qu'on fît quelque détour pour l'avancer, il arriverait aussi qu'elle dût s'adapter à une destination, ceci équilibrant cela. Son itinéraire ne présenterait ainsi guère de cohérence, s'apparentant plutôt au trajet brisé d'une mouche enclose dans une chambre.

Elle n'eut donc pas trop de mal, du moins au début, à trouver des automobilistes. En règle générale, les hommes plus souvent que les femmes qui la prenaient à bord de leur voiture se montraient accueillants, parlaient volontiers avec elle. Ce faisant, outre leur personnalité, Victoire observait la marque, la couleur et l'aménagement de leur véhicule qui l'avançait vers un but mal déterminé. Les premiers temps elle était attentive à ces détails, elle finit par y prendre de moins en moins garde.

Il y eut un prêtre au volant d'une R5 sans options, sans radio ni rien, réduite à sa fonction locomotrice: les sièges étaient raides et flottait une puissante odeur de chien bien qu'il n'y eût pas de chien. L'homme était vêtu d'un costume anthracite cartonneux sur un col roulé gris souris, son revers s'ornait d'une petite croix de métal. S'exprimant avec une bienveillance militaire, il conduisait comme on touche de grandes orgues, chaussé de croquenots cognant fort les pédales; un rameau s'effritait sous le rétroviseur. Il y eut, avec ses trois enfants, une mère de famille menant brusquement une Seat. Du pare-brise déjà constellé des vignettes automobiles des six dernières années, chronologiquement superposées, divers autocollants écologiques et mutualistes contribuaient à compromettre la transparence, compte non tenu des balais d'es-suie-glace à bout de course. Victoire était alors coincée contre une portière par deux sujets de quatre et six ans occupés à des exercices de gymnastique incohérente. Agenouillé à l'envers sur le siège avant, ses avant-bras posés sur le dossier, leur aîné considérait la jeune femme fixement. Assieds-toi normalement, Juju, mets ta ceinture, lui dit sa mère avant de proposer à Victoire, tout en la jaugeant dans le rétroviseur, quelques heures de ménage et de baby-sitting. Portant sur la marmaille un regard mauvais, Victoire ne répondit qu'à peine. Il y eut trois garçons goguenards intimidés, en blouson fendillé, entassés à l'avant d'un vieux modèle de Ford Escort. Victoire montée à l'arrière regardait les nuques rases des jeunes types serrés l'un contre l'autre et n'osant pas se retourner sauf celui du milieu, qui voulut tenir des propos ambigus mais que les deux autres firent taire. Régnaient de suffocantes odeurs d'essence et de chien, mais cette fois avec un chien, calmement installé près de Victoire et qui lui adressait des regards polis et navrés comme pour se désolidariser, solliciter son indulgence rapport à la mauvaise tenue de ses maîtres. Au rétroviseur, cette fois, pendait un ballon de peluche blanche à panneaux ciel. Il y en eut d'autres et puis l'argent vint à manquer vraiment, la vie se fit de plus en plus amère, l'apparence de Victoire commença de laisser vraiment à désirer. Vu son aspect trop négligé, il devint moins facile d'être prise en auto-stop et ses contemporains, lorsqu'elle les abordait dans la rue, comprenaient aussitôt que c'était pour l'argent. Certains donnaient, la plupart guère, et personne ne semblait s'étonner de la misère de cette belle jeune femme alors que d'ordinaire le pauvre est laid.

Avec la petite monnaie récoltée, Victoire se nourrissait de jambon démarqué, de crème de gruyère, des fruits talés qui restent après midi sur les marchés quand les itinérants ont remballé. Toutes choses qu'elle mangeait crues, froides et accompagnées de l'eau des bornes-fontaines. Et les nuits de plus en plus douces, elle les passait maintenant toujours dehors. Trouvant abri dans des lieux isolés, désaffectés, parfois en ruines, avant de s'endormir elle reliait avec une ficelle l'anse de son sac à son poignet. Elle ne fut inquiétée que deux fois, l'une par un ivrogne sédentaire dont elle parvint à se défaire vite, l'autre par un errant de sa condition qui, d'abord, voulut la chasser d'un territoire qu'il tenait pour sien puis qui, se ravisant, souhaita qu'elle restât pour abuser d'elle. L'homme était faible et mal nourri, Victoire sut aussi l'éloigner.

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