Le grand cahier
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Arriv?s de la Grande Ville avec leur m?re, Claus et Lucas ne vont rester que tous les deux chez leur grand-m?re pendant la guerre. Cette derni?re est une femme sale, m?chante, radine, analphab?te et meurtri?re; les jumeaux vont alors entreprendre seuls une ?trange ?ducation. D'un c?t? ils s'entra?nent ? s'endurcir, ? ne pas s'apitoyer sur la douleur d'autrui et ? tuer, et de l'autre, ils ?crivent la liste des t?ches effectu?es dans un grand cahier. Mais, ? la suite d'un certain nombre d'?v?nements, les deux fr?res vont se retrouver s?par?s, le premier dans ce m?me pays totalitaire, le deuxi?me de l'autre c?t? de la fronti?re…
Dans la Grande Ville qu’occupent les Arm?es ?trang?res, la disette menace. Une m?re conduit donc ses enfants ? la campagne, chez leur grand-m?re. Analphab?te, avare, m?chante et m?me meurtri?re, celle-ci m?ne la vie dure aux jumeaux. Loin de se laisser abattre, ceux-ci apprennent seuls les lois de la vie, de l’?criture et de la cruaut?. Abandonn?s ? eux-m?mes, d?nu?s du moindre sens moral, ils s’appliquent ? dresser, chaque jour, dans un grand cahier, le bilan de leurs progr?s et la liste de leurs forfaits.
Le Grand Cahier nous livre une fable incisive sur les malheurs de la guerre et du totalitarisme, mais aussi un v?ritable roman d’apprentissage domin? par l’humour noir.
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Le départ de notre cousine
Toute la nuit, nous entendons des tirs, des explosions. A l'aube, c'est brusquement le silence. Nous nous endormons sur le grand lit de l'officier. Son lit est devenu notre lit, et sa chambre notre chambre.
Le matin, nous allons prendre notre petit déjeuner dans la cuisine. Grand-Mère est devant le fourneau. Notre cousine plie ses couvertures.
Elle dit:
– Je n'ai vraiment pas assez dormi.
Nous disons:
– Tu dorrniras dans le jardin. Il n'y a plus de bruit et il fait chaud.
Elle demande:
– Vous n'avez pas eu peur, cette nuit?
Nous haussons les épaules sans répondre.
On frappe à la porte. Un homme en civil entre, suivi de deux soldats. Les soldats ont des mitraillettes et ils portent un uniforme que nous n'avons encore jamais vu.
Grand-Mère dit quelque chose dans la langue qu'elle parle quand elle boit de l'eau-de-vie. Les soldats répondent. Grand-Mère leur saute au cou, elle les embrasse l’un après l'autre puis continue à leur parler.
Le civil dit:
– Vous parlez leur langue, madame?
Grand-Mère répond:
– C'est ma langue maternelle, monsieur.
Notre cousine demande:
– Ils sont là? Quand sont-ils arrivés? On voulait les attendre sur la Grande Place avec des bouquets de fleurs.
Le civil demande:
– Qui ça, «on»?
– Mes amis et moi.
Le civil sourit:
– Eh bien, c'est trop tard. Ils sont arrivés cette nuit. Et moi, tout de suite après. Je cherche une jeune fille. Il prononce un nom; notre cousine dit:
– Oui, c'est moi. Où sont mes parents?
Le civil dit:
– Je ne sais pas. Je suis seulement chargé de retrouver les enfants qui sont sur ma liste. Nous irons d'abord dans un centre d'accueil de la Grande Ville. Ensuite nous ferons des recherches pour retrouver vos parents. Notre cousine dit:
– J'ai un ami ici. Est-ce qu'il est sur votre liste, lui aussi?
Elle dit le nom de son amoureux. Le civil consulte sa liste:
– Oui. Il est déjà au quartier général de l'armée. Vous ferez le voyage ensemble. Préparez vos affaires.
Notre cousine, très joyeuse, emballe ses robes et rassemble ses affaires de toilette dans sa serviette de bain.
Le civil se tourne vers nous:
– Et vous? Comment vous appelez-vous?
Grand-Mère dit:
– Ce sont mes petits-fils. Ils resteront chez moi.
Nous disons:
– Oui, nous resterons chez Grand-Mère.
Le civil dit:
– J'aimerais tout de même avoir votre nom.
Nous le lui disons. Il regarde ses papiers:
– Vous n'êtes pas sur ma liste. Vous pouvez les garder, madame.
Grand-Mère dit:
– Et comment! je peux les garder!
Notre cousine dit:
– Je suis prête. Allons-y.
Le civil dit:
– Vous êtes bien pressée. Vous pourriez au moins remercier madame et dire au revoir à ces petits garçons. Notre cousine dit:
– Petits garçons? De petits salopards, oui.
Elle nous serre contre elle, très fort:
– Je ne vous embrasse pas, je sais que vous n'aimez pas ça. Ne faites pas trop les cons, soyez prudents.
Elle nous serre encore plus fort, elle pleure. Le civil la prend par le bras et dit à Grand-Mère:
– Je vous remercie, madame, pour tout ce que vous avez fait pour cette enfant.
Nous sortons tous. Devant la porte du jardin, il y a une Jeep. Les deux soldats s'installent à l'avant, le civil et notre côusine à l'arrière. Grand-Mère crie encore quelque chose. Les soldats rigolent. La Jeep démarre. Notre cousine ne se retourne pas.
