LEmpire des anges
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Que pensent les anges de nous? Que peuvent-ils faire pour nous aider? Qu'attendent-ils de l'humanit? en g?n?ral? Lorsque Michael Pinson (stupidement tu? dans un accident d'avion percutant un immeuble) a pass? avec succ?s l'?preuve de la «pes?e des ?mes», il a acc?d? au royaume des anges. Mais pass? le premier ?merveillement, il d?couvre l'ampleur de la t?che. Le voil? charg? de trois mortels, qu'il devra d?sormais guider et aider tout au long de leur vie. Ses moyens d'action: les r?ves, les signes, les m?diums, les intuitions, les chats. Cependant, il est oblig? de respecter le libre arbitre des hommes. Il s'aper?oit que ceux-ci essaient de r?duire leur malheur au lieu de construire leur bonheur. Que faire pour leur montrer la voie? Et puis comment s'occuper intelligemment au Paradis, un endroit bien sympathique mais sans cin?ma, sans musique, sans restaurant? Apr?s Les Thanatonautes, Bernard Werber nous donne une fois de plus ? r?fl?chir sur notre statut d'?tre humain, en m?langeant sagesse ancienne, philosophie moderne et humour. En suivant l'initiation d'un ange, on d?couvre une perspective ?tonnante ? notre ?tat de simple mortel. Un livre ?tonnant, foisonnant d'id?es. Un roman l?ger qui porte ? r?fl?chir. Val?rie Colin-Simard, Psychologies.
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107. JACQUES
Mes scènes de batailles entre rats dans les égouts ne me satisfont pas. Elles ne sont pas crédibles. Je ne me sens pas là-bas, quand je relis mon texte.
Soudain, j'entends une phrase résonner dans ma tête, comme soufflée par un ange. Elle dit: «Montrer plutôt qu'expliquer.»
Je dois placer sans cesse mes héros en action. Leur psychologie sera définie par leur comportement et non par leurs dialogues. J'étudie davantage les rats.
Ça n'est pas encore suffisant. Il faut les connaître à fond, sinon le public sentira les incohérences. Je descends chez l'animalier et achète six rats. Quatre mâles et deux femelles. La seule manière de ne pas tricher, c'est d'observer vraiment le réel.
Mon chat voit arriver ces visiteurs aux incisives menaçantes d'un œil torve. Je ne sais pas s'il se souvient que c'est lui qui est censé les chasser, mais à considérer son comportement on aurait plutôt l'impression que c'est le contraire.
Mes six nouveaux convives n'ont pas besoin de nager pour obtenir leur pitance, pourtant je m'aperçois vite que les rôles de chacun ont été attribués. Un mâle teiTorise tout le monde et une rate sert de souffre-douleur.
J'hésite, mais n'ose intervenir. Nous ne sommes pas dans un film de Walt Disney. Si dans la nature tout le monde n'est pas gentil, ce n'est pas en forçant les règles que je changerai le comportement d'une espèce.
J'essaie donc d'observer de façon neutre et de noter avec précision ce que je vois et la manière dont les conduites peuvent être interprétées. En faisant le moins possible d'anthropomorphisme. Mes notes alimentent mes textes.
Pour rajouter à l'effet visuel, je dessine leurs faces. Les croquis s'accumulent. Je place mentalement une caméra qui détermine les angles de prises de vues. J'indique sur mes dessins les travellings, les zooms, les panneaux. Cela m'aide énormément. À présent dans mes batailles, si littéraires soient-elles, il y a des gros plans de museaux de rats montrant les dents et des panoramiques sur les bords des égouts. La caméra se glisse entre les combattants pour les saisir dans les moments les plus forts. De même, je me débrouille pour que les transitions se fassent sur des images raccords.
Je développe une écriture particulière, une écriture en images. Je règle les batailles aquatiques dans les canalisations comme une chorégraphie d'Esther Williams s'ébattant avec ses compagnes dans une piscine d'azur. Mais ici les eaux sont verdâtres, opaques, elles charrient des ordures ménagères et rougissent au fur et à mesure de l'intensité des combats. À l'aide de flèches et de pointillés, je dirige les mouvements de mes armées de rats et les interventions de mes héros dans la grande bataille centrale de mon roman.
108. VENUS
Mon petit tour sur scène achevé, je reste à attendre que toutes les autres filles aient fini de défiler. Deux ou trois me semblent plus jolies que moi. Pourvu que les jurés ne votent pas pour elles. Si seulement je pouvais leur faire quelques crocs-en-jambe pour qu'elles chutent du haut de leurs talons aiguilles et se tordent le cou! Elles ont l'air de hérons prétentieux. Elles se déhanchent de façon éhontée. Pour qui se prennent-elles à la fin? Je les hais. Je m'imagine ravageant leurs visages de mes ongles effilés.
Il faut que je gagne.
Je prie pour décrocher le titre de Miss Univers. Si quelqu'un m'entend là-haut, je le supplie d'intervenir pour moi.
109. VOL COSMIQUE. INQUIETUDES
— Attention, prêts? Tribord toute! entonne Raoul, reprenant son rôle de chef d'escadrille.
L'excitation me gagne et, pourtant, je ne peux m'empêcher de penser à mes clients. Où en sont-ils à cette seconde? Je suis trop éloigné d'eux pour percevoir leurs appels ou leurs prières.
Raoul se rend compte de mon trouble et pose une main sur mon épaule.
— T'inquiète pas, vieux, rien n'est jamais catastrophique. Les humains, ils sont comme les chats. Ils finissent toujours par retomber sur leurs pattes.
110. IGOR
Je me relève. Je hurle comme un loup pour me donner du courage. Tant pis si cela attire l'attention de l'ennemi. Les autres Loups me répondent. La meute est forte, elle est rapide, c'est ma famille. On hurle tous avec pour toile de fond le ciel orange de plus en plus clair plaqué derrière l'ovale parfait d'une lune déclinante.
Des troupes tchétchènes, qui étaient demeurées tapies dans la forêt, surgissent en renfort. Elles arrivent avec du matériel lourd: des jeeps équipées de mitrailleuses automatiques. Les hommes déferlent sur nous. Ils sont nombreux. On va se battre à un contre dix.
Une bonne dizaine de mes compagnons d'armes sont aussitôt fauchés net. Pas le temps de rédiger leur épi-taphe. Loups, ils sont morts comme des loups, babines retroussées, fourrure ensanglantée, sur un sol jonché de leur gibier.
Pour ma part, j'ai bien l'intention de rester vivant. Je me dissimule. Un soldat vivant, même lâche, cause malgré tout davantage de dégâts qu'un soldat courageux mort.
Je me faufile sous une épave de voiture blindée. Le sergent a survécu. Depuis le muret où il se planque, il m'adresse des signes pour que je lé rejoigne. La main qui s'agite vers moi est soudain arrachée par un obus et je vois la tête du gradé s'envoler dans les airs.
Est-ce ainsi que s'élève l'esprit?
Je ne sais pourquoi, peut-être cette musique dans mes oreilles, ce décor de sang et d'éclairs alentour, je me sens d'humeur à plaisanter. Peut-être est-ce aussi parce que tout homme ressent le besoin de dédramatiser et de se rassurer face à l'horreur.
J'éclate de rire. Peut-être que je deviens fou. Non, c'est normal, c'est la pression qui se relâche. Pauvre sergent, tout de même! Il n'a pas été assez rapide. Il est mort.
Les mitrailleuses se tournent dans ma direction. Cette fois, je perds toute envie de rire. Je ferme les yeux et je me dis que si j'ai survécu jusqu'à ce jour, c'est que j'ai sûrement un ange gardien, moi aussi. Bon, eh bien si c'est le cas, c'est le moment qu'il se manifeste. Saint Igor, à toi de jouer.
J'adresse une rapide prière: «Eh, tu as compris, là-haut? C'est le moment ou jamais de me tirer de ce pétrin!»
111. VENUS
Le présentateur m'appelle pour un second tour de piste car certains jurés hésitent encore. Je place mes bras bien en arrière pour mettre en valeur mes seins. Ne pas sourire. Les hommes n'aiment pas les gentilles, ils aiment les garces. C'est ce que m'a toujours dit maman. Cette fois, j'ose regarder par-dessus les sunlights. J'aperçois maman assise au premier rang, en train de me filmer avec une caméra vidéo. Comme elle serait fière de moi si je réussissais! Je distingue aussi Esteban. Brave Esteban! Trop brave Esteban!
Deux tours et je m'immobilise, hiératique. C'est fini. Il ne me reste plus qu'à prier. S'il y a là-haut quelque chose qui se soucie de moi, j'implore son aide.