La Dame de Monsoreau Tome II
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Le dimanche gras de l'ann?e 1578, apr?s la f?te du populaire, et tandis que s'?teignaient dans les rues les rumeurs de la joyeuse journ?e, commen?ait une f?te splendide dans le magnifique h?tel que venait de se faire b?tir, de l'autre c?t? de l'eau et presque en face du Louvre, cette illustre famille de Montmorency qui, alli?e ? la royaut? de France, marchait l'?gale des familles princi?res. Cette f?te particuli?re, qui succ?dait ? la f?te publique, avait pour but de c?l?brer les noces de Fran?ois d'Epinay de Saint-Luc, grand ami du roi Henri III et l'un des favoris les plus intimes, avec Jeanne de Coss?-Brissac, fille du mar?chal de France de ce nom. Le repas avait eu lieu au Louvre, et le roi, qui avait consenti ? grand-peine au mariage, avait paru au festin avec un visage s?v?re qui n'avait rien d'appropri? ? la circonstance …' 'La Dame de Monsoreau' est, ? la suite de 'La Reine Margot', le deuxi?me volet du somptueux ensemble historique que Dumas ?crivit sur la Renaissance.
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Cependant il n'y avait pas moyen de les rappeler: c'était donner trop beau jeu à leurs railleries.
Il essaya de se jeter sur son lit, impossible de dormir; il voulut lire, les caractères tourbillonnaient devant ses yeux comme des diables noirs; il tenta de boire, le vin lui parut amer; il frôla du bout des doigts le luth d'Aurilly resté suspendu à la muraille, mais il sentit que la vibration des cordes agissait sur ses nerfs de telle façon qu'il avait envie de pleurer.
Alors il se mit à jurer comme un païen et à briser tout ce qu'il trouva à la portée de sa main. C'était un défaut de famille, et l'on y était habitué dans le Louvre.
Les mignons entr'ouvrirent la porte pour voir d'où venait cet horrible sabbat; puis, ayant reconnu que c'était le prince qui se distrayait, ils avaient refermé la porte, ce qui avait doublé la colère du prisonnier.
Il venait justement de briser une chaise, quand un cliquetis au son duquel on ne se méprend jamais, un cliquetis cristallin retentit du côté de la fenêtre, et en même temps M. d'Anjou ressentit une douleur assez aiguë à la hanche.
Sa première idée fut qu'il était blessé d'un coup d'arquebuse, et que ce coup lui était tiré par un émissaire du roi.
– Ah! traître! ah! lâche! s'écria le prisonnier, tu me fais arquebuser comme tu me l'avais promis. Ah! je suis mort!
Et il se laissa aller sur le tapis.
Mais, en tombant, il posa la main sur un objet assez dur, plus inégal et surtout plus gros que ne l'est la balle d'une arquebuse.
– Oh! une pierre, dit-il, c'est donc un coup de fauconneau? mais encore, j'eusse entendu l'explosion.
Et, en même temps, il retira et allongea la jambe; quoique la douleur eût été assez vive, le prince n'avait évidemment rien de cassé.
Il ramassa la pierre et examina le carreau.
La pierre avait été lancée si rudement, quelle avait plutôt troué que brisé la vitre.
La pierre paraissait enveloppée dans un papier.
Alors les idées du duc commencèrent à changer de direction. Cette pierre, au lieu de lui être lancée par quelque ennemi, ne lui venait-elle pas, au contraire, de quelque ami?
La sueur lui monta au front; l'espérance, comme l'effroi, à ses angoisses.
Le duc s'approcha de la lumière.
En effet, autour de la pierre, un papier était roulé et maintenu avec une soie nouée de plusieurs nœuds. Le papier avait naturellement amorti la dureté du silex, qui, sans cette enveloppe, eût certes causé au prince une douleur plus vive que celle qu'il avait ressentie.
Briser la soie, dérouler le papier et le lire, fut pour le duc l'affaire d'une seconde: il était complètement ressuscité.
Une lettre! murmura-t-il en jetant autour de lui un regard furtif.
Et il lut:
«Êtes-vous las de garder la chambre? aimez-vous le grand air et la liberté? Entrez dans le cabinet où la reine de Navarre avait caché votre pauvre ami, M. de la Mole; ouvrez l'armoire, et, en déplaçant le tasseau du bas, vous trouverez un double fond: dans ce double fond, il y a une échelle de soie, attachez-la vous-même au balcon, deux bras vigoureux vous roidiront l'échelle au bas du fossé. Un cheval, vite comme la pensée, vous mènera en lieu sûr.
«UN AMI.»
– Un ami! s'écria le prince; un ami! oh! je ne savais pas avoir un ami. Quel est donc cet ami qui songe à moi?
Et le duc réfléchit un moment; mais, ne sachant sur qui arrêter sa pensée, il courut regarder à la fenêtre; il ne vit personne.
– Serait-ce un piège? murmura le prince, chez lequel la peur s'éveillait, le premier de tous les sentiments.
– Mais d'abord, ajouta-t-il, on peut savoir si cette armoire a un double fond, et si, dans ce double fond, il y a une échelle.
Le duc alors, sans changer la lumière de place, et résolu, pour plus de précaution, au simple témoignage de ses mains, se dirigea vers ce cabinet dont tant de fois jadis il avait poussé la porte avec un cœur palpitant, alors qu'il s'attendait à y trouver madame la reine de Navarre, éblouissante de cette beauté que François appréciait plus qu'il ne convenait peut-être à un frère.
Cette fois encore, il faut l'avouer, le cœur battait au duc avec violence.
Il ouvrit l'armoire à tâtons, explora toutes les planches, et, arrivé à celle d'en bas, après avoir pesé au fond et pesé sur le devant, il pesa sur un des côtés, et sentit la planche qui faisait la bascule.
Aussitôt il introduisit sa main dans la cavité et sentit au bout de ses doigts le contact d'une échelle de soie.
Comme un voleur qui s'enfuit avec sa proie, le duc se sauva dans sa chambre emportant son trésor.
Dix heures sonnèrent, le duc songea aussitôt à la visite qui avait lieu toutes les heures; il se hâta de cacher son échelle sous le coussin d'un fauteuil et s'assit dessus.
Elle était si artistement faite, qu'elle tenait parfaitement cachée dans l'étroit espace où le duc l'avait enfouie.
En effet, cinq minutes ne s'étaient pas écoulées, que Maugiron parut en robe de chambre, tenant une épée nue sous son bras gauche et un bougeoir de la main droite.
Tout en entrant chez le duc, il continuait de parler à ses amis.
– L'ours est en fureur, dit une voix, il cassait tout il n'y a qu'un instant: prends garde qu'il ne te dévore, Maugiron.
– Insolent! murmura le duc.
– Je crois que Votre Altesse m'a fait l'honneur de m'adresser la parole, dit Maugiron de son air le plus impertinent.
Le duc, prêt à éclater, se contint en réfléchissant qu'une querelle entraînerait une perte de temps et ferait peut-être manquer son évasion.
Il dévora son ressentiment et fit pivoter son fauteuil de manière à tourner le dos au jeune homme.
Maugiron, suivant les données traditionnelles, s'approcha du lit pour examiner les draps, et de la fenêtre pour reconnaître la présence des rideaux; il vit bien une vitre cassée, mais il songea que c'était le duc qui, dans sa colère, l'avait brisée ainsi.
– Ouais, Maugiron, cria Schomberg, es-tu déjà mangé, que tu ne dis mot? Dans ce cas, soupire au moins, qu'on sache au moins à quoi s'en tenir et qu'on te venge.
Le duc faisait craquer ses doigts d'impatience.
– Non pas, dit Maugiron. Au contraire, mon ours est fort doux et tout à fait dompté.
Le duc sourit silencieusement au milieu des ténèbres.
Quant à Maugiron, sans même saluer le prince, ce qui était la moindre politesse qu'il dût à un si haut seigneur, il sortit, et, en sortant, il ferma la porte à double tour.