Anna Karenine Tome II
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Russie, 1880. Anna Kar?nine, est une jeune femme de la haute soci?t? de Saint-P?tersbourg. Elle est mari?e ? Alexis Kar?nine un haut fonctionnaire de l'administration imp?riale, un personnage aust?re et orgueilleux. Ils ont un gar?on de huit ans, Serge. Anna se rend ? Moscou chez son fr?re Stiva Oblonski. En descendant du train, elle croise le comte Vronski, venu ? la rencontre de sa m?re. Elle tombe amoureuse de Vronski, cet officier brillant, mais frivole. Ce n'est tout d'abord qu'un ?clair, et la joie de retrouver son mari et son fils lui font croire que ce sera un vertige sans lendemain. Mais lors d'un voyage en train, quand Vronski la rejoint et lui d?clare son amour, Anna r?alise que la frayeur m?l?e de bonheur qu'elle ressent ? cet instant va changer son existence. Anna lutte contre cette passion. Elle finit pourtant par s'abandonner avec un bonheur coupable au courant qui la porte vers ce jeune officier. Puis Anna tombe enceinte. Se sentant coupable et profond?ment d?prim?e par sa faute, elle d?cide d'avouer son infid?lit? ? son mari…
Cette magnifique et tragique histoire d'amour s'inscrit dans un vaste tableau de la soci?t? russe contemporaine. En parall?le, Tolsto? brosse le portrait de deux autres couples: Kitty et L?vine, Daria et Oblonski. Il y ?voque les diff?rentes facettes de l'?mancipation de la femme, et dresse un tableau critique de la Russie de la fin du XIXe si?cle.
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VII
Le lendemain, c’était un dimanche, Stépane Arcadiévitch, entra au Grand-Théâtre pour y assister à la répétition du ballet; et, profitant de la demi-obscurité des coulisses, il offrit à une jolie danseuse qui débutait sous sa protection la parure de corail qu’il lui avait promise la veille. Il eut même le temps d’embrasser le visage radieux de la jeune fille, et de convenir avec elle du moment où il viendrait la prendre, après le ballet, pour l’emmener souper. Du théâtre, Stépane Arcadiévitch se rendit au marché pour y choisir lui-même du poisson et des asperges pour le dîner, et à midi il était chez Dusseaux, où trois voyageurs de ses amis avaient eu l’heureuse idée de se loger: Levine, de retour de son voyage, un nouveau chef fraîchement débarqué à Moscou pour une inspection, et enfin son beau-frère Karénine.
Stépane Arcadiévitch aimait à bien dîner; mais ce qu’il préférait encore, c’était d’offrir chez lui à quelques convives choisis un petit repas bien ordonné. Le menu qu’il combinait ce jour-là lui souriait: du poisson bien frais, des asperges, et comme pièce de résistance un simple mais superbe roastbeef. Quant aux convives, il comptait réunir Kitty et Levine et, afin de dissimuler cette rencontre, une cousine et le jeune Cherbatzky; le plat de résistance parmi les invités devait être Serge Kosnichef, le philosophe moscovite, joint à Karénine, l’homme d’action pétersbourgeois. Pour servir de trait d’union entre eux, il avait encore invité Pestzoff, un charmant jeune homme de cinquante ans, enthousiaste, musicien, bavard, libéral, qui mettrait tout le monde en train.
La vie souriait en ce moment à Stépane Arcadiévitch; l’argent rapporté par la vente du bois n’était pas entièrement dépensé; Dolly depuis quelque temps était charmante: tout aurait été pour le mieux, si deux choses ne l’avaient désagréablement impressionné, sans toutefois troubler sa belle humeur: d’abord l’accueil sec de son beau-frère: en rapprochant la froideur d’Alexis Alexandrovitch de certains bruits qui étaient parvenus jusqu’à lui sur les relations de sa sœur avec Wronsky, il devinait un incident grave entre le mari et la femme. Le second point noir était l’arrivée du nouveau chef auquel on faisait une réputation inquiétante d’exigence et de sévérité. Infatigable au travail, il passait encore pour être bourru, et absolument opposé aux tendances libérales de son prédécesseur, tendances que Stépane Arcadiévitch avait partagées. La première présentation avait eu lieu la veille, en uniforme, et Oblonsky avait été si cordialement reçu qu’il jugeait de son devoir de faire une visite non officielle. Comment serait-il reçu cette fois? il s’en préoccupait, mais sentait instinctivement que tout s’arrangerait parfaitement. «Bah! pensait-il, ne sommes-nous pas tous pécheurs? pourquoi nous chercherait-il noise?»
Stépane Arcadiévitch entra d’abord chez Levine. Celui-ci était debout au milieu de sa chambre, et prenait avec un paysan la mesure d’une peau d’ours.
«Ah! vous en avez tué un! cria Stépane Arcadiévitch en entrant. La belle pièce! Une ourse! Bonjour, Archip! – et s’asseyant en paletot et en chapeau il tendit la main au paysan.
– Ôte donc ton paletot et reste un moment, dit Levine.
– Je n’ai pas le temps, je suis entré pour un instant, – répondit Oblonsky, ce qui ne l’empêcha pas de déboutonner son paletot, puis de l’ôter, et de rester toute une heure à bavarder avec Levine sur sa chasse et sur d’autres sujets.
– Dis-moi ce que tu as fait à l’étranger: où as-tu été? demanda-t-il lorsque le paysan fut parti.
– J’ai été en Allemagne, en France, en Angleterre, mais seulement dans les centres manufacturiers et pas dans les capitales. J’ai vu beaucoup de choses intéressantes.
– Oui, oui, je sais, tes idées d’associations ouvrières.
– Oh non, il n’y a pas de question ouvrière pour nous: la seule question importante pour la Russie est celle des rapports du travailleur avec la terre; elle existe bien là-bas aussi, mais les raccommodages y sont impossibles, tandis qu’ici…»
Oblonsky écoutait avec attention.
«Oui, oui, il est possible que tu aies raison, mais l’essentiel est de revenir en meilleure disposition; tu chasses l’ours, tu travailles, tu t’enthousiasmes, tout va bien. Cherbatzky m’avait dit t’avoir rencontré sombre et mélancolique, ne parlant que de mort.
– C’est vrai, je ne cesse de penser à la mort, répondit Levine, tout est vanité, il faut mourir! J’aime le travail, mais quand je pense que cet univers, dont nous nous croyons les maîtres, se compose d’un peu de moisissure couvrant la surface de la plus petite des planètes! Quand je pense que nos idées, nos œuvres, ce que nous croyons faire de grand, sont l’équivalent de quelques grains de poussière!…
– Tout cela est vieux comme le monde, frère!
– C’est vieux, mais quand cette idée devient claire pour nous, combien la vie paraît misérable! Quand on sait que la mort viendra, qu’il ne restera rien de nous, les choses les plus importantes semblent aussi mesquines que le fait de tourner cette peau d’ours! C’est pour ne pas penser à la mort qu’on chasse, qu’on travaille, qu’on cherche à se distraire.»
Stépane Arcadiévitch sourit et regarda Levine de son regard caressant:
«Tu vois bien que tu avais tort en tombant sur moi parce que je cherchais des jouissances dans la vie! Ne sois pas si sévère, ô moraliste!
– Ce qu’il y a de bon dans la vie… répondit Levine s’embrouillant. Au fond je ne sais qu’une chose, c’est que nous mourrons bientôt.
– Pourquoi bientôt?
– Et sais-tu? la vie offre, il est vrai, moins de charme quand on pense ainsi à la mort, mais elle a plus de calme.
– Il faut jouir de son reste, au contraire… Mais, dit Stépane Arcadiévitch en se levant pour la dixième fois, je me sauve.
– Reste encore un peu! dit Levine en le retenant; quand nous reverrons-nous maintenant? Je pars demain.
– Et moi qui oubliais le sujet qui m’amène! Je tiens absolument à ce que tu viennes dîner avec nous aujourd’hui; ton frère sera des nôtres, ainsi que mon beau-frère Karénine.
– Il est ici? – demanda Levine, mourant d’envie d’avoir des nouvelles de Kitty; il savait qu’elle avait été à Pétersbourg au commencement de l’hiver, chez sa sœur mariée à un diplomate. – Tant pis, pensa-t-il: qu’elle soit revenue ou non, j’accepterai.
– Viendras-tu?
– Certainement.
– À cinq heures, en redingote.»
Et Stépane Arcadiévitch se leva et descendit chez son nouveau chef. Son instinct ne l’avait pas trompé; cet homme terrible se trouva être un bon garçon, avec lequel il déjeuna et s’attarda à causer, si bien qu’il était près de quatre heures lorsqu’il entra chez Alexis Alexandrovitch.