Anna Karenine Tome I
Anna Karenine Tome I читать книгу онлайн
Russie, 1880. Anna Kar?nine, est une jeune femme de la haute soci?t? de Saint-P?tersbourg. Elle est mari?e ? Alexis Kar?nine un haut fonctionnaire de l'administration imp?riale, un personnage aust?re et orgueilleux. Ils ont un gar?on de huit ans, Serge. Anna se rend ? Moscou chez son fr?re Stiva Oblonski. En descendant du train, elle croise le comte Vronski, venu ? la rencontre de sa m?re. Elle tombe amoureuse de Vronski, cet officier brillant, mais frivole. Ce n'est tout d'abord qu'un ?clair, et la joie de retrouver son mari et son fils lui font croire que ce sera un vertige sans lendemain. Mais lors d'un voyage en train, quand Vronski la rejoint et lui d?clare son amour, Anna r?alise que la frayeur m?l?e de bonheur qu'elle ressent ? cet instant va changer son existence. Anna lutte contre cette passion. Elle finit pourtant par s'abandonner avec un bonheur coupable au courant qui la porte vers ce jeune officier. Puis Anna tombe enceinte. Se sentant coupable et profond?ment d?prim?e par sa faute, elle d?cide d'avouer son infid?lit? ? son mari…
Cette magnifique et tragique histoire d'amour s'inscrit dans un vaste tableau de la soci?t? russe contemporaine. En parall?le, Tolsto? brosse le portrait de deux autres couples: Kitty et L?vine, Daria et Oblonski. Il y ?voque les diff?rentes facettes de l'?mancipation de la femme, et dresse un tableau critique de la Russie de la fin du XIXe si?cle.
Внимание! Книга может содержать контент только для совершеннолетних. Для несовершеннолетних чтение данного контента СТРОГО ЗАПРЕЩЕНО! Если в книге присутствует наличие пропаганды ЛГБТ и другого, запрещенного контента - просьба написать на почту [email protected] для удаления материала
Léon Tolstoï
Anna Karénine Tome I
PREMIÈRE PARTIE
«Je me suis réservé à la vengeance.»
dit le Seigneur.
I
Tous les bonheurs se ressemblent, mais chaque infortune a sa physionomie particulière.
La maison Oblonsky était bouleversée. La princesse, ayant appris que son mari entretenait une liaison avec une institutrice française qui venait d’être congédiée, déclarait ne plus vouloir vivre sous le même toit que lui. Cette situation se prolongeait et se faisait cruellement sentir depuis trois jours aux deux époux, ainsi qu’à tous les membres de la famille, aux domestiques eux-mêmes. Chacun sentait qu’il existait plus de liens entre des personnes réunies par le hasard dans une auberge, qu’entre celles qui habitaient en ce moment la maison Oblonsky. La femme ne quittait pas ses appartements; le mari ne rentrait pas de la journée; les enfants couraient abandonnés de chambre en chambre; l’Anglaise s’était querellée avec la femme de charge et venait d’écrire à une amie de lui chercher une autre place; le cuisinier était sorti la veille sans permission à l’heure du dîner; la fille de cuisine et le cocher demandaient leur compte.
Trois jours après la scène qu’il avait eue avec sa femme, le prince Stépane Arcadiévitch Oblonsky, Stiva, comme on l’appelait dans le monde, se réveilla à son heure habituelle, huit heures du matin, non pas dans sa chambre à coucher, mais dans son cabinet de travail sur un divan de cuir. Il se retourna sur les ressorts de son divan, cherchant à prolonger son sommeil, entoura son oreiller de ses deux bras, y appuya sa joue; puis, se redressant tout à coup, il s’assit et ouvrit les yeux.
«Oui, oui, comment était-ce donc? pensa-t-il en cherchant à se rappeler son rêve. Comment était-ce? Oui, Alabine donnait un dîner à Darmstadt; non, ce n’était pas Darmstadt, mais quelque chose d’américain. Oui, là-bas, Darmstadt était en Amérique. Alabine donnait un dîner sur des tables de verre, et les tables chantaient: «Il mio tesoro», c’était même mieux que «Il mio tesoro», et il y avait là de petites carafes qui étaient des femmes.»
Les yeux de Stépane Arcadiévitch brillèrent gaiement et il se dit en souriant: «Oui, c’était agréable, très agréable, mais cela ne se raconte pas en paroles et ne s’explique même plus clairement quand on est réveillé.» Et, remarquant un rayon de jour qui pénétrait dans la chambre par l’entre-bâillement d’un store, il posa les pieds à terre, cherchant comme d’habitude ses pantoufles de maroquin brodé d’or, cadeau de sa femme pour son jour de naissance; puis, toujours sous l’empire d’une habitude de neuf années, il tendit la main sans se lever, pour prendre sa robe de chambre à la place où elle pendait d’ordinaire. Ce fut alors seulement qu’il se rappela comment et pourquoi il était dans son cabinet; le sourire disparut de ses lèvres et il fronça le sourcil. «Ah, ah, ah!» soupira-t-il en se souvenant de ce qui s’était passé. Et son imagination lui représenta tous les détails de sa scène avec sa femme et la situation sans issue où il se trouvait par sa propre faute.
«Non, elle ne pardonnera pas et ne peut pas pardonner. Et ce qu’il y a de plus terrible, c’est que je suis cause de tout, de tout, et que je ne suis pas coupable! Voilà le drame. Ah, ah, ah!…» répétait-il dans son désespoir en se rappelant toutes les impressions pénibles que lui avait laissées cette scène.
Le plus désagréable avait été le premier moment, quand, rentrant du spectacle, heureux et content, avec une énorme poire dans la main pour sa femme, il n’avait pas trouvé celle-ci au salon; étonné, il l’avait cherchée dans son cabinet et l’avait enfin découverte dans sa chambre à coucher, tenant entre ses mains le fatal billet qui lui avait tout appris.
Elle, cette Dolly toujours affairée et préoccupée des petits tracas du ménage, et selon lui si peu perspicace, était assise, le billet dans la main, le regardant avec une expression de terreur, de désespoir et d’indignation.
«Qu’est-ce que cela, cela?» demanda-t-elle en montrant le papier.
Comme il arrive souvent, ce n’était pas le fait en lui-même qui touchait le plus Stépane Arcadiévitch, mais la façon dont il avait répondu à sa femme. Semblable aux gens qui se trouvent impliqués dans une vilaine affaire sans s’y être attendus, il n’avait pas su prendre une physionomie conforme à sa situation. Au lieu de s’offenser, de nier, de se justifier, de demander pardon, de demeurer indifférent, tout aurait mieux valu, sa figure prit involontairement (action réflexe, pensa Stépane Arcadiévitch qui aimait la physiologie) – très involontairement – un air souriant; et ce sourire habituel, bonasse, devait nécessairement être niais.
C’était ce sourire niais qu’il ne pouvait se pardonner. Dolly, en le voyant, avait tressailli, comme blessée d’une douleur physique; puis, avec son emportement habituel, elle avait accablé son mari d’un flot de paroles amères et s’était sauvée dans sa chambre. Depuis lors, elle ne voulait plus le voir.
«La faute en est à ce bête de sourire, pensait Stépane Arcadiévitch, mais que faire, que faire?» répétait-il avec désespoir sans trouver de réponse.
II
Stépane Arcadiévitch était sincère avec lui-même et incapable de se faire illusion au point de se persuader qu’il éprouvait des remords de sa conduite. Comment un beau garçon de trente-quatre ans comme lui aurait-il pu se repentir de n’être plus amoureux de sa femme, la mère de sept enfants dont cinq vivants, et à peine plus jeune que lui d’une année. Il ne se repentait que d’une chose, de n’avoir pas su lui dissimuler la situation. Peut-être aurait-il mieux caché ses infidélités s’il avait pu prévoir l’effet qu’elles produiraient sur sa femme. Jamais il n’y avait sérieusement réfléchi. Il s’imaginait vaguement qu’elle s’en doutait, qu’elle fermait volontairement les yeux, et trouvait même que, par un sentiment de justice, elle aurait dû se montrer indulgente; n’était-elle pas fanée, vieillie, fatiguée? Tout le mérite de Dolly consistait à être une bonne mère de famille, fort ordinaire du reste, et sans aucune qualité qui la fit remarquer. L’erreur avait été grande! «C’est terrible, c’est terrible!» répétait Stépane Arcadiévitch sans trouver une idée consolante. «Et tout allait si bien, nous étions si heureux! Elle était contente, heureuse dans ses enfants, je ne la gênais en rien, et la laissais libre de faire ce que bon lui semblait dans son ménage. Il est certain qu’il est fâcheux qu’elle ait été institutrice chez nous. Ce n’est pas bien. Il y a quelque chose de vulgaire, de lâche à faire la cour à l’institutrice de ses enfants. Mais quelle institutrice! (il se rappela vivement les yeux noirs et fripons de Mlle Roland et son sourire). Et tant qu’elle demeurait chez nous, je ne me suis rien permis. Ce qu’il y a de pire, c’est que… comme un fait exprès! que faire, que faire?»… De réponse il n’y en avait pas, sinon cette réponse générale que la vie donne à toutes les questions les plus compliquées, les plus difficiles à résoudre: vivre au jour le jour, c’est-à-dire s’oublier; mais, ne pouvant plus retrouver l’oubli dans le sommeil, du moins jusqu’à la nuit suivante, il fallait s’étourdir dans le rêve de la vie.