La Dame de Monsoreau Tome II
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Le dimanche gras de l'ann?e 1578, apr?s la f?te du populaire, et tandis que s'?teignaient dans les rues les rumeurs de la joyeuse journ?e, commen?ait une f?te splendide dans le magnifique h?tel que venait de se faire b?tir, de l'autre c?t? de l'eau et presque en face du Louvre, cette illustre famille de Montmorency qui, alli?e ? la royaut? de France, marchait l'?gale des familles princi?res. Cette f?te particuli?re, qui succ?dait ? la f?te publique, avait pour but de c?l?brer les noces de Fran?ois d'Epinay de Saint-Luc, grand ami du roi Henri III et l'un des favoris les plus intimes, avec Jeanne de Coss?-Brissac, fille du mar?chal de France de ce nom. Le repas avait eu lieu au Louvre, et le roi, qui avait consenti ? grand-peine au mariage, avait paru au festin avec un visage s?v?re qui n'avait rien d'appropri? ? la circonstance …' 'La Dame de Monsoreau' est, ? la suite de 'La Reine Margot', le deuxi?me volet du somptueux ensemble historique que Dumas ?crivit sur la Renaissance.
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– Monsieur Chicot veut rire, dit en grimaçant le chancelier, et leur signe de ralliement?
– Ils sont habillés en parisiens et remuent les jambes lorsqu'ils marchent, répondit gravement Chicot.
Un éclat de rire général accueillit cette explication. M. de Morvilliers crut qu'il serait de bon goût de céder à l'entraînement, et il rit avec les autres. Mais, redevenant sombre:
– Enfin, dit-il, mon espion a assisté à l'une de leurs séances, et cela dans un lieu que M. Chicot ne connaît pas.
Le duc d'Anjou pâlit.
– Où cela? dit le roi.
– À l'abbaye Sainte-Geneviève!
Chicot laissa tomber une poule en papier qu'il embarquait dans la barque amirale.
– L'abbaye Sainte-Geneviève! dit le roi.
– C'est impossible, murmura le duc.
– Cela est, dit Morvilliers, satisfait de l'effet produit et regardant avec triomphe toute l'assemblée.
– Et qu'ont-ils fait, monsieur le chancelier? qu'ont-ils décidé? demanda le roi.
– Que les ligueurs se nommeraient des chefs, que chaque enrôlé s'armerait, que chaque province recevrait un envoyé de la métropole insurrectionnelle, que tous les huguenots chéris de Sa Majesté, ce sont leurs expressions…
Le roi sourit.
– Seraient massacrés à un jour désigné.
– Voilà tout? demanda Henri.
– Peste! dit Chicot, on voit que tu es catholique.
– Est-ce bien tout? dit le duc.
– Non, monseigneur…
– Peste! je crois bien que ce n'est pas tout. Si nous n'avions que cela pour cent soixante-quinze mille livres, le roi serait volé.
– Parlez, chancelier, dit le roi.
– Il y a des chefs…
Chicot vit s'agiter sur le cœur du duc son pourpoint, que soulevaient les battements.
– Tiens, tiens, tiens, dit-il, un complot qui a des chefs; c'est étonnant. Cependant il nous faut encore quelque chose pour nos cent soixante-quinze mille livres.
– Ces chefs… leurs noms? demanda le roi; comment s'appellent ces chefs?
– D'abord, un prédicateur, un fanatique, un énergumène, dont j'ai acheté le nom dix mille livres.
– Et vous avez bien fait.
– Le frère génovéfain Gorenflot!
– Pauvre diable! fit Chicot avec une commisération véritable. Il était dit que cette aventure ne lui réussirait pas!
– Gorenflot! dit le roi en écrivant ce nom; bien… après…
– Après… dit le chancelier avec hésitation, mais, sire, c'est tout…
Et Morvilliers promena encore sur l'assemblée son regard inquisiteur et mystérieux, qui semblait dire: Si Votre Majesté était seule, elle en saurait bien davantage.
– Dites, chancelier, je n'ai que des amis ici… dites.
– Oh! sire, celui que j'hésite à nommer a aussi des amis bien puissants…
– Près de moi?
– Partout.
– Sont-ils plus puissants que moi? s'écria Henri pâle de colère et d'inquiétude.
– Sire, un secret ne se dit pas à haute voix. Excusez-moi, je suis homme d'État.
– C'est juste.
– C'est fort sensé! dit Chicot, mais nous sommes tous hommes d'État.
– Monsieur, dit le duc d'Anjou, nous allons présenter au roi nos très humbles respects, si la communication ne peut être faite en notre présence.
M. de Morvilliers hésitait. Chicot guettait jusqu'au moindre geste, craignant que le chancelier, tout naïf qu'il semblait être, n'eût réussi à découvrir quelque chose de moins simple que ses premières révélations.
Le roi fit signe au chancelier de s'approcher, au duc d'Anjou de demeurer en place, à Chicot de faire silence, aux trois favoris de détourner leur attention.
Aussitôt M. de Morvilliers se pencha vers l'oreille de Sa Majesté; mais il n'avait pas fait la moitié du mouvement compassé selon toutes les règles de l'étiquette, qu'une immense clameur retentit dans la cour du Louvre. Le roi se redressa subitement; MM. de Quélus et d'Épernon se précipitèrent vers la fenêtre; M. d'Anjou porta la main à son épée, comme si tout ce bruit menaçant eût été dirigé contre lui.
Chicot, se haussant sur les pieds, voyait dans la cour et dans la chambre.
– Tiens! M. de Guise, s'écria-t-il le premier, M. de Guise qui entre au Louvre!
Le roi fit un mouvement.
– C'est vrai, dirent les gentilshommes.
– Le duc de Guise? balbutia M. d'Anjou.
– Voilà qui est bizarre… n'est-ce pas? que M. le duc de Guise soit à Paris, dit lentement le roi, qui venait de lire dans le regard presque hébété de M. de Morvilliers le nom que ce dernier voulait lui dire à l'oreille.
– Est-ce que la communication que vous vouliez me faire avait trait à mon cousin de Guise? demanda-t-il à voix basse au magistrat.
– Oui, sire, c'est lui qui présidait la séance, répondit le chancelier sur le même ton.
– Et les autres?…
– Je n'en connais pas d'autres…
Henri consulta Chicot d'un coup d'œil.
– Ventre de biche! s'écria le Gascon en se posant royalement; faites entrer mon cousin de Guise!
Et, se penchant vers Henri:
– En voilà un, lui dit-il à l'oreille, dont tu connais assez le nom, à ce que je crois, pour n'avoir pas besoin de l'inscrire sur tes tablettes.
Les huissiers ouvrirent la porte avec fracas.
– Un seul battant, messieurs, dit Henri, un seul! les deux sont pour le roi!
Le duc de Guise était assez avant dans la galerie pour entendre ces paroles; mais cela ne changea rien au sourire avec lequel il avait résolu d'aborder le roi.