Les Pardaillan – Livre I
Les Pardaillan – Livre I читать книгу онлайн
En 1553, Jeanne, fille du seigneur de Piennes, ?pouse secr?tement Fran?ois, le fils a?n? du conn?table de Montmorency. La guerre qui s'ach?ve contre Charles Quint s?pare le jeune couple. Jeanne se retrouvant seule, met au monde une petite fille Lo?se. Mais Henri, fr?re de Fran?ois, est amoureux lui aussi de Jeanne et d?vor? par la jalousie. Lors du retour de Fran?ois, Henri fait enlever la petite Lo?se par le vieux chevalier Honor? de Pardaillan et oblige Jeanne ? s'accuser d'adult?re devant son ?poux qui la quitte effondr?…
Z?vaco, auteur anarchiste et populaire, nous propose, avec ce cycle de dix romans, dans un style alerte, vif et piquant, une histoire pleine d'action et de rebondissements qui ne pourra que plaire, par exemple, aux amoureux de Dumas. Comme dans le cycle des Valois – La Reine Margot, La Dame de Monsoreau et Les Quarante-cinq – la trame historique, tr?s bien m?l?e ? la fiction, nous fait vivre avec les grands personnages que sont Catherine de M?dicis, Charles IX, Henri III, Henri de Guise, etc.
Внимание! Книга может содержать контент только для совершеннолетних. Для несовершеннолетних чтение данного контента СТРОГО ЗАПРЕЩЕНО! Если в книге присутствует наличие пропаганды ЛГБТ и другого, запрещенного контента - просьба написать на почту [email protected] для удаления материала
IV LE SERMENT FRATERNEL
Le corps du seigneur de Piennes revêtu de ses habits de gala, les mains croisées sur son épée nue, comme une statue de tombeau, avait été placé, selon l’usage, au milieu de la salle d’honneur, sur un petit lit de camp.
Le jour se levait.
Jeanne, toute pâle de cette nuit qu’elle venait de passer à veiller son père, se dirigeait vers la fenêtre qu’elle entrouvrit. Une minute, son regard erra sur la sereine et radieuse nature, les arbres en fleurs, les bourgeons qui éclataient, les haies pleines de gazouillis d’oiseaux, et sur tout cela, le soyeux et léger azur d’un ciel d’avril, tout baigné de pureté, tendre comme un sourire de le Vie maternelle et consolatrice.
Jeanne se retourna vers le mort. Deux larmes perlèrent au bord de ses cils…
Et presque aussitôt, le même tressaillement qui, la veille, dans le bois, avait agité ses flancs, la secoua de nouveau, comme un balbutiement lointain et confus de l’être qu’elle portait en elle.
Et parmi ses larmes, elle sourit doucement d’un sourire ineffable, pareil à un reflet du sourire du ciel.
– Ô mon père, murmura-t-elle en joignant les mains, mon vénéré père, pardon! Pourquoi, dans le déchirement de notre séparation, ne puis-je écarter cette joie qui se mêle à ma douleur? Pourquoi suis-je impuissante à renvoyer les pensées trop douces qui viennent rôder autour des pensées de deuil que ma piété filiale te doit? Cette joie, mon père, tu es témoin, puisque les morts lisent dans l’âme des vivants, que je me la reproche amèrement… Et, pourtant, elle m’étreint, elle m’enivre… Je puis la combattre, mais non la vaincre!
Elle se rapprocha du cadavre, se pencha sur lui, et naïve, confiante, lui parla:
– Eh bien, père, il faut que je t’explique! Ne crois pas que je sois la fille dénaturée qui ne souffre pas lorsque son vieux père la quitte à jamais… Écoute-moi… ce secret si cher que j’avais peur de révéler à mon seigneur, ce secret que bientôt je lui dirai avec tant d’orgueil puisqu’il est mon époux, ce secret, père, tu vas le savoir en premier… écoute… je vais être mère!… Mère! comprends-tu maintenant que je puisse pleurer celui qui part et sourire à ce qui vient!
Une teinte rose plus délicate que les teintes qui nuançaient l’horizon se répandit sur son visage.
Elle réfléchit quelques instants; puis, comme ayant pris une grave résolution:
– L’enfant portera le nom de ma mère… de celle que j’aimais tant; je l’appellerai Loïs. Cher petit, que n’est-il là déjà!… Il me semble le voir… Loïs!… le nom charmant! Ô mon père, c’est là toute ma joie!… De devenir l’épouse du plus illustre seigneur, d’être désormais une dame ayant rang à la cour, ah! tu sais que je n’y songe pas avec un mauvais plaisir! Mais que mon enfant ait un nom… un père… et quel nom! et quel père! Oh! de cela, vois-tu, je suis fière et heureuse comme jamais.
Hélas! la pauvre petite Jeanne de Piennes chez qui le sentiment maternel s’affirmait avec une si douce violence! Qui savait quel avenir lui réservait la puissance même de ce sentiment!…
À ce moment, au loin, retentit un galop de cheval.
– Le voilà! s’écria la jeune femme dans un élan de tout son être.
Ses yeux se fixèrent sur la porte qui allait livrer passage à son cher François.
Cette porte s’ouvrit. Jeanne, qui allait s’élancer, demeura pétrifiée, et un grand frisson glacial la parcourut: le frère de François parut.
Henri de Montmorency fit trois pas, s’arrêta devant elle, la tête couverte, sans s’incliner.
– Madame, dit-il, je suis porteur de nouvelles que j’ai juré de vous transmettre dès ce matin; sans quoi vous ne me verriez pas ici, en pareil moment, à la place de celui que vous attendiez…
Jeanne demeura tremblante, pressentant un malheur.
Brusquement, Henri ajouta:
– François est parti cette nuit…
Elle laissa échapper un faible gémissement.
– Parti? dit-elle timidement. Parti… mais, pour revenir bientôt, sans doute?… aujourd’hui même, peut-être?
– François ne reviendra pas!
Ceci fut dit avec la cruelle netteté d’une sentence de mort.
Jeanne chancela et porta ses deux mains à son sein palpitant. La pensée funeste que François l’abandonnait se présenta à elle. Ses yeux hagards se fixèrent sur Henri, qui poursuivit rapidement:
– La guerre se déchaîne. François a sollicité et obtenu l’honneur de se porter dans Thérouanne pour y arrêter l’armée de Charles Quint… Arrêter l’empereur avec une poignée de cavaliers, c’est vouloir mourir!… Je vous dois toute ma pensée, madame… la pensée de mon frère: pris malgré lui dans une inextricable situation, placé dans l’alternative de désavouer un mariage qu’il regrette ou d’encourir la disgrâce du connétable, François a choisi de tous les suicides le plus glorieux, mais aussi le plus sûr!
Jeanne devint aussi blanche que le cadavre de son père.
Un cri terrible jaillit de sa gorge. Elle s’abattit sur les genoux. Et, dans l’atroce douleur qui faisait bondir son cœur, dans la foudroyante catastrophe qui la terrassait, un mot, un seul, résuma, condensa tout son désespoir.
– Mon enfant!… mon pauvre enfant!…
Longtemps elle demeura ainsi prostrée, sanglotante, oubliant la présence d’Henri, oubliant son père mort, s’oubliant elle-même, ah! surtout elle-même, cherchant à envisager, avec l’héroïque courage des mères, le malheur qui frappait l’enfant dès avant sa venue au monde.
Mère! Dans cette heure de désespérance, elle ne fut qu’une mère. Et lorsqu’elle se releva, une telle résolution flamboyait sur son visage, une flamme de maternité si auguste rayonnait dans ses yeux, qu’Henri interdit, sombre, frémissant, recula.
– C’est bien, dit-elle. Où va le mari doit aller la femme. Ce soir, je partirai pour Thérouanne!…
– Partir! vous! gronda le frère de François. Allons donc! vous n’y songez pas! Traverser un pays envahi, des lignes ennemies!… vous n’arriveriez pas vivante!… Vous ne partirez pas!
– Qui m’en empêchera? s’écria-t-elle avec une sorte d’exaltation.
– Moi! fit Henri, bouleversé, la tête perdue devant cette femme qui lui apparaissait cent fois plus belle dans sa douleur.
Et brusquement, la passion l’emporta, l’affola, se déchaîna en lui.
Il saisit la jeune femme dans ses bras, l’étreignit convulsivement, et d’une voix ardente:
– Jeanne! Jeanne! Il est parti! Il vous abandonne! Trop lâche pour proclamer son amour, il ne vous aime donc pas! Mais moi, moi, Jeanne! je vous adore à en perdre la raison, à en braver le ciel et l’enfer, à poignarder mon père de mes mains, si mon père s’opposait à mon amour! Jeanne! ô Jeanne! Que François meure donc de la mort des faibles puisqu’il n’a pas su vous garder! Moi, je vous veux! moi, je vous revendiquerai devant l’univers! Ô Jeanne, un mot d’espoir! ou plutôt, non, ne dites rien… un seul de vos regards sans colère me dira si je puis espérer… et s’il en est ainsi, le paradis dans l’âme, je m’éloignerai jusqu’à ce que vous me fassiez signe de venir… Et alors, je viendrai, plus humble que le chien qui rampe, plus fort que le lion qui garde sa lionne…
Il parlait à mots brefs, saccadés, hachés, s’exaltant, s’enivrant, envahi peu à peu par la violence de sa passion.
Jeanne l’entendait à peine. Toute sa volonté, toute sa force, elle les employait à se dégager de l’étreinte furieuse. Soudain, elle put s’arracher des bras de l’homme, qui s’arrêta haletant.
Alors, Jeanne, debout, amincie, agrandie, pour ainsi dire, par la tension de son être, jeta un long regard sur Henri, un regard terrible qui, de ses pieds, monta jusqu’à sa tête. Elle fit un pas. Son bras s’allongea. Son doigt toucha le front d’Henri. Et elle dit:
– Chapeau bas, monsieur. Sinon devant la femme, du moins devant la mort!
Henri tressaillit. Son regard trouble se posa un instant sur le cadavre, qu’il sembla apercevoir pour la première fois. D’un geste lent, il porta la main à son front, comme vaincu, comme pour se découvrir. Mais ce geste, il ne l’acheva pas. Son bras retomba. Ses yeux s’injectèrent de sang. Tout l’orgueil et toute la violence de sa race montèrent à son cerveau en une bouffée ardente. Et sa rage de sentir dominé, de se comprendre si petit, fit explosion.
– Par la mort-diable! savez-vous, madame, que je suis ici chez moi, et que seul, après mon père, j’ai le droit d’y demeurer couvert!
– Chez vous! éclata la jeune femme sans comprendre.
– Chez moi! Oui, chez moi! L’arrêt du Parlement communiqué ici restitue Margency à notre maison, et je ne souffrirai pas qu’une vassale…
Il n’acheva pas. D’un bond, Jeanne avait couru à une cassette enfermant les papiers du mort, l’avait ouverte, avait déplié le premier parchemin qui s’offrait à elle, l’avait parcouru et, le laissant tomber, sa voix s’élevait, couvrant celle de Montmorency, appelant les serviteurs: