Le Chevalier De Maison-Rouge
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Un des livres consacr?s par Dumas ? la R?volution Fran?aise. L'action se passe en 1793. Le jacobin Maurice Lindey, officier dans la garde civique, sauve des investigations d'une patrouille une jeune et belle inconnue, qui garde l'anonymat. Prisonni?re au Temple, o? r?gne le cordonnier Simon, ge?lier du dauphin, Marie-Antoinette re?oit un billet lui annon?ant que le chevalier de Maison-Rouge pr?pare son enl?vement…
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– Ah! citoyen Lorin, dit Arthémise, tu vas, je l’espère bien, me donner un bouquet.
– Comment donc! dit Lorin, deux si la chose vous est agréable.
Et tous deux doublèrent le pas pour joindre la bouquetière, qui elle-même suivait son chemin d’un pas fort rapide.
En arrivant au pont Marie, la jeune fille s’arrêta et, se penchant au-dessus du parapet, vida sa corbeille dans la rivière.
Les fleurs, séparées, tourbillonnèrent un instant dans l’air. Les bouquets, entraînés par leur pesanteur, tombèrent plus rapidement.
Puis bouquets et fleurs, surnageant à la surface, suivirent le cours de l’eau.
– Tiens! dit Arthémise en regardant la bouquetière qui faisait un si étrange commerce, on dirait… mais oui… mais non… mais si… Ah! que c’est bizarre!
La bouquetière mit un doigt sur ses lèvres comme pour prier Arthémise de garder le silence et disparut.
– Qu’est-ce donc? dit Lorin; connaissez-vous cette mortelle, déesse?
– Non. J’avais cru d’abord… Mais certainement je me suis trompée.
– Cependant elle vous a fait signe, insista Lorin.
– Pourquoi donc est-elle bouquetière ce matin? se demanda Arthémise en s’interrogeant elle-même.
– Vous avouez donc que vous la connaissez, Arthémise? demanda Lorin.
– Oui, répondit Arthémise, c’est une bouquetière à laquelle j’achète quelquefois.
– Dans tous les cas, dit Lorin, cette bouquetière a de singulières façons de débiter sa marchandise.
Et tous deux, après avoir regardé une dernière fois les fleurs, qui avaient déjà atteint le pont de bois et reçu une nouvelle impulsion du bras de la rivière qui passe sous ses arches, continuèrent leur route vers la Rapée, où ils comptaient dîner en tête à tête.
L’incident n’eut point de suite pour le moment. Seulement, comme il était étrange et présentait un certain caractère mystérieux, il se grava dans l’imagination poétique de Lorin.
Cependant la dénonciation de la femme Tison, dénonciation portée contre Maurice et Lorin, soulevait un grand bruit au club des Jacobins, et Maurice reçut au Temple l’avis de la Commune que sa liberté était menacée par l’indignation publique. C’était une invitation au jeune municipal de se cacher s’il était coupable. Mais, fort de sa conscience, Maurice resta au Temple, et on le trouva à son poste lorsqu’on vint pour l’arrêter.
À l’instant même, Maurice fut interrogé.
Tout en demeurant dans la ferme résolution de ne mettre en cause aucun des amis dont il était sûr, Maurice, qui n’était pas homme à se sacrifier ridiculement par le silence comme un héros de roman, demanda la mise en cause de la bouquetière.
Il était cinq heures du soir lorsque Lorin rentra chez lui; il apprit à l’instant même l’arrestation de Maurice et la demande que celui-ci avait faite.
La bouquetière du pont Marie jetant ses fleurs dans la Seine lui revint aussitôt à l’esprit: ce fut une révélation subite. Cette bouquetière étrange, cette coïncidence des quartiers, ce demi-aveu d’Arthémise, tout lui criait instinctivement que là était l’explication du mystère dont Maurice demandait la révélation.
Il bondit hors de sa chambre, descendit les quatre étages comme s’il eût eu des ailes et courut chez la déesse Raison qui brodait des étoiles d’or sur une robe de gaze bleue.
C’était sa robe de divinité.
– Trêve d’étoiles, chère amie, dit Lorin. On a arrêté Maurice ce matin, et probablement je serai arrêté ce soir.
– Maurice arrêté?
– Eh! mon Dieu, oui. Dans ce temps-ci, rien de plus commun que les grands événements; on n’y fait pas attention parce qu’ils vont par troupes, voilà tout. Or, presque tous ces grands événements arrivent à propos de futilités. Ne négligeons pas les futilités. Quelle était cette bouquetière que nous avons rencontrée ce matin, chère amie?
Arthémise tressaillit.
– Quelle bouquetière?
– Eh! pardieu! celle qui jetait avec tant de prodigalité ses fleurs dans la Seine.
– Eh! mon Dieu! dit Arthémise, cet événement est-il donc si grave que vous y reveniez avec une pareille insistance?
– Si grave, chère amie, que je vous prie de répondre à l’instant même à ma question.
– Mon ami, je ne le puis.
– Déesse, rien ne vous est impossible.
– Je suis engagée d’honneur à garder le silence.
– Et moi, je suis engagé d’honneur à vous faire parler.
– Mais pourquoi insistez-vous ainsi?
– Pour que… corbleu! pour que Maurice n’ait pas le cou coupé.
– Ah! mon Dieu! Maurice guillotiné! s’écria la jeune femme effrayée.
– Sans vous parler de moi, qui, en vérité, n’ose pas répondre d’avoir encore ma tête sur mes épaules.
– Oh! non, non, dit Arthémise, ce serait la perdre infailliblement.
En ce moment, l’officieux de Lorin se précipita dans la chambre d’Arthémise.
– Ah! citoyen, s’écria-t-il, sauve-toi, sauve-toi!
– Et pourquoi cela? demanda Lorin.
– Parce que les gendarmes se sont présentés chez toi, et que, tandis qu’ils enfonçaient la porte, j’ai gagné la maison voisine par les toits, et j’accours te prévenir.
Arthémise jeta un cri terrible. Elle aimait réellement Lorin.
– Arthémise, dit Lorin en se posant, mettez-vous la vie d’une bouquetière en comparaison avec celle de Maurice et celle de votre amant? S’il en est ainsi, je vous déclare que je cesse de vous tenir pour la déesse Raison, et que je vous proclame la déesse Folie.
– Pauvre Héloïse! s’écria l’ex-danseuse de l’Opéra, ce n’est point ma faute si je te trahis.
– Bien! bien! chère amie, dit Lorin en présentant un papier à Arthémise. Vous m’avez déjà gratifié du nom de baptême; donnez-moi maintenant le nom de famille et l’adresse.
– Oh! l’écrire, jamais, jamais! s’écria Arthémise; vous le dire, à la bonne heure.
– Dites-le donc, et soyez tranquille, je ne l’oublierai pas.
Et Arthémise donna de vive voix le nom et l’adresse de la fausse bouquetière à Lorin.
Elle s’appelait Héloïse Tison et demeurait rue des Nonandières, 24.
À ce nom, Lorin jeta un cri et s’enfuit à toutes jambes.
Il n’était pas au bout de la rue, qu’une lettre arrivait chez Arthémise.