Les Pardaillan – Livre III – La Fausta
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Nous sommes en 1573. Jean de Kervilliers, devenu monseigneur l'?v?que prince Farn?se, fait arr?ter L?onore, sa ma?tresse, fille du baron de Montaigues, supplici? pendant la Saint Barth?l?my. Alors que le bourreau lui passe la corde au coup, elle accouche d'une petite fille. Graci?e par le Pr?v?t, elle est emmen?e sans connaissance vers la prison. Devant les yeux du prince Farn?se tortur? par la situation, le voil? p?re et cependant homme d'?glise, la petite Violette est emport?e par ma?tre Claude, le bourreau…
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L’homme fit une génuflexion et sortit. Pardaillan sourit. Les mesures prises par la Fausta le soulageaient d’une inquiétude. Cette femme était peut-être une tigresse, mais c’était une femme. Maintenant, il était sûr d’avoir affaire à des hommes. Cette pensée le rassura.
– Qui êtes-vous? demanda la Fausta, comme si elle eût vu alors pour la première fois l’homme qui était devant elle.
– Madame, dit Pardaillan, je suis celui à qui vous avez fait commettre une impardonnable faute. Grâce à votre habileté à vous déguiser, grâce à la merveilleuse aisance avec laquelle vous portez le costume cavalier, grâce à l’incomparable souplesse avec laquelle vous maniez l’épée, vous m’avez forcé, devant la Devinière , à vous prendre un instant pour un homme; vous m’avez forcé à croiser le fer avec une femme; vous m’avez forcé à toucher cette femme au front… Vous m’objecterez sans doute que j’ignorais que vous étiez une femme, mais je n’eusse pas dû l’ignorer, j’eusse dû deviner votre sexe et briser mon épée plutôt que d’en tourner la pointe contre un sein de femme. C’est une chose que je ne pardonnerai jamais, madame…
Pardaillan, son chapeau à la main droite, la main gauche appuyée à la garde de la rapière, l’œil doux, la figure paisible, parlait avec un accent de profonde sincérité. Fausta jeta sur lui un furtif regard. Et ses yeux, à elle, se troublèrent. Son sein palpita.
Il est certain que si elle était une magnifique expression de la splendeur féminine, Pardaillan, dans cette attitude un peu théâtrale, mais qui lui seyait à la merveille, avec son visage rayonnant de générosité, était un admirable type de beauté masculine.
Fausta comprit qu’elle avait devant elle un adversaire digne de sa puissance. Elle se trouva humiliée d’avoir voulu ruser.
– Monsieur de Pardaillan, dit-elle, je vous pardonne d’être entré ici sans y être appelé. Je vous pardonne de m’avoir touchée au front. Mais je vous déclare que vous ne sortirez pas d’ici vivant. Vous avez étendu les ordres que j’ai donnés?
Pardaillan fit oui de la tête. Fausta reprit avec un sourire livide:
– Je vous pardonne aussi, puisque vous allez mourir, d’avoir surpris mes secrets, de savoir qui je suis, d’avoir failli me frapper d’impuissance et faire avorter les projets que j’ai formés sur les destinées du monde.
Pardaillan s’inclina.
– Madame, dit-il avec cette charmante naïveté de la voix et du regard qui n’appartenait qu’à lui, puisque vous voulez bien me pardonnez tout cela, pourquoi donc voulez-vous me tuer?…
Fausta devint plus pâle encore qu’elle n’était. Toute émotion sembla avoir disparu de sa pensée. Et ce fut d’une voix morte, sans accent, qu’elle répondit:
– Vous allez comprendre d’un seul coup, monsieur de Pardaillan, combien je vous admire, combien je vous estime, et combien je suis sûre de vous tuer tout à l’heure. Je veux tuer, monsieur, parce que ce n’est pas au front, mais au cœur que vous m’avez touchée. Si je vous haïssais, je vous laisserais vivre. Mais il faut que vous mouriez, parce que je vous aime.
Pardaillan frémit. Ce qui venait d’être dit lui parut mille fois plus redoutable que l’ordre donné en sa présence. Il se sentit perdu… Mais même sur ce terrain, Pardaillan ne voulut pas reculer. Les derniers mots de la Fausta avaient porté l’entretien à une de ces hauteurs d’où il ne faut pas tomber, sous peine de se briser les reins. Il éprouvait comme un vertige. Et pourtant, il voulut, par le calme absolu, par la froideur terrible de l’attitude et de la voix demeurer digne de l’effrayante adversaire et la terrasser. Voici ce qu’il répondit:
– Madame, vous m’aimez. Et moi aussi, vous m’apparaissez d’une si splendide hideur, vous êtes à mes yeux une si inconcevable force de beauté, de deuil et de terreur, que je vous aimerais, oui, je vous aimerais, si je n’aimais…
– Vous aimez? dit Fausta, non pas avec colère, non pas avec curiosité, ni avec amour, ni avec haine, mais seulement avec cette effroyable froideur que nous avons signalée.
– Oui, j’aime, dit Pardaillan avec une infinie douceur. Et j’aimerai jusqu’à la dernière minute de ma vie. Il n’y a pas dans mon âme d’autre sentiment possible que cet amour par lequel, j’étais, sans lequel je ne serais plus. Je l’aime, madame, je l’aime; morte…
– Morte!
Ce fut presque un cri qui échappa à Fausta, une sourde exclamation où se heurtaient de l’étonnement, de la joie et peut-être aussi, qui sait? du regret. Car Fausta, sincère dans son rôle de Vierge, eût triomphé dans son cœur d’une jalousie contre une vivante…
– Vous devez penser que je suis un misérable fou, reprit Pardaillan. Mais cela est. J’aime la morte, depuis seize ans qu’elle est morte… Aussi, madame, je vous le jure d’honneur, je bénirais-la minute où les assassins que vous venez d’aposter vont se ruer sur moi, si je n’avais intérêt à vivre encore. Je vivrai donc, puisqu’il le faut.
Pour la seconde fois, Fausta ressentit comme une violente humiliation. Elle venait, ainsi que le disait Pardaillan, d’aposter des assassins prêts à se ruer. Et Pardaillan affirmait avec sa belle simplicité: – Je vivrai donc puisqu’il le faut…
Elle fut sur le point de donner le signal. Une intense curiosité, un ardent désir de mieux connaître cet homme la retint. Elle l’examinait avec un prodigieux étonnement. Il avait baissé la tête, comme pensif, après ce qu’il venait de dire. Il la releva soudain. Un fin sourire se jouait sur ses lèvres.
– Madame, dit-il, avant que je n’entreprenne de me colleter avec vos gens et de les réduire à la raison…
– Vous pensez les réduire? interrompit Fausta avec un rire plus effrayant que sa froideur de tout à l’heure.
– Madame, je ne sortirai pas d’ici que je n’aie obtenu ce qu’il est nécessaire que j’obtienne, dit simplement Pardaillan. Et pour cela, je dois tout d’abord vous dire comment j’ai pu entrer ici…
Et en lui-même, Pardaillan s’écria: «Ô ma digne Pâquette, ô ma tendre Roussotte, voici pour vous sauver un peu…»
– Il faut que vous sachiez, continua-t-il à haute voix que j’ai un ennemi… excusez-moi, madame, ces détails sont nécessaires: cet ennemi est un moine jacobin, il s’appelle Jacques Clément.
Fausta ferma les yeux pour dissimuler la soudaine agitation qui s’emparait d’elle.
– Ce moine, reprit Pardaillan, je me suis saisi de lui, tout à l’heure, lorsqu’il est sorti de votre palais. Et je sais ce qu’il veut faire.
Pardaillan ne savait rien qu’une chose: C’est que Jacques Clément voulait tuer Henri III et qu’il était entré chez la Fausta. Tout le reste, avec sa vive imagination, il venait de le supposer. Et tandis qu’il parlait, il se disait:
«Si je me trompe, je suis mort. Si Fausta n’a pas elle-même armé le bras de Jacques Clément, si elle n’a pas un immense intérêt à tuer Valois, je ne sortirai pas d’ici… Ce sera ici ma tombe!…»
Fausta avait fermé les yeux. Il ne voyait pas ce qu’elle pensait. Mais il continua bravement:
– Frère Jacques Clément, madame, doit tuer Henri III. Et c’est vous qui le poussez à ce meurtre. Voilà ce que je sais, madame. Or, écoutez-moi, maintenant! Par Jacques Clément, en le forçant à parler, j’ai su comment on entrait ici; j’ai su son dessein, qui est le vôtre. Je connais ce moine depuis longtemps, madame. En le choisissant, je puis vous dire que vous avez choisi un terrible instrument. Il réussira. Il frappera Valois. De ce fait, M. le duc de Guise sera roi.
Il parlait lentement, comme on va, pas à pas, sur un terrain inconnu, plein de fondrières.
– Pour que Jacques Clément réussisse, continua-t-il, que faut-il tout d’abord?… Qu’il soit rendu à la liberté… Il faut ensuite que le roi Henri III ne soit pas prévenu que M. le duc de Guise veut le faire trucider…
Cette fois le coup fut si rude que Fausta tressaillit. Pardaillan perçut ce tressaillement et respira longuement.
«Je commence à croire que je ne suis pas encore mort!» songea-t-il.
– Ainsi, dit Fausta, le moine vous a avoué qu’il veut tuer Henri de Valois?
– Ai-je dit cela madame? Mettons que je me suis trompé, car Jacques Clément ne m’a rien dit. Seulement, je sais qu’il doit tuer le roi pour le compte de Guise, et sachant cela, je me suis emparé de lui. Si je suis libre, si vous m’accordez la grâce que je viens solliciter, Jacques Clément est libre, et il va où il veut, il fait ce qu’il veut. Car que m’importe à moi que Valois vive ou meure! Cet homme est marqué pour quelque terrible représailles venue d’en bas. Il a accumulé de telles souffrances qu’un jour une de ces infamies doit le souffleter et une de ces souffrances le poignarder: c’est dans l’ordre. La vie ou la mort de Valois ne m’intéresse pas, madame. Mais je vous le dis, la mort de ce roi intéresse le duc de Guise. Si Valois ne meurt pas promptement, Guise est perdu. Il le sait. Vous le savez. La vie d’Henri III, c’est la mort de Guise et la vôtre!
À cet exposé si simple et si terrible, et si vrai de toute la politique de cette époque, Fausta comprit qu’elle n’avait pas seulement devant elle un homme d’une bravoure exceptionnelle, une force comme la nature en crée une ou deux par siècle comme pour s’exercer à des chefs-d’œuvre, mais aussi une intelligence d’une profonde sensibilité. Elle soupira. Et sa pensée, à ce moment, était celle-ci: