Les Pardaillan – Livre III – La Fausta
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Nous sommes en 1573. Jean de Kervilliers, devenu monseigneur l'?v?que prince Farn?se, fait arr?ter L?onore, sa ma?tresse, fille du baron de Montaigues, supplici? pendant la Saint Barth?l?my. Alors que le bourreau lui passe la corde au coup, elle accouche d'une petite fille. Graci?e par le Pr?v?t, elle est emmen?e sans connaissance vers la prison. Devant les yeux du prince Farn?se tortur? par la situation, le voil? p?re et cependant homme d'?glise, la petite Violette est emport?e par ma?tre Claude, le bourreau…
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– Avec cet or, dit Charles, vous pouvez fuir…
– Bah! bah! s’écria la Roussotte, plue enivrée par la vue des ducats qu’elle ne l’avait été par le vin, pourquoi fuir, mon gentilhomme?…
– Mais les cordes… les fameuses cordes qui se tendent si lentement?…
– Bon. Nous jurerons que vous êtes entrés à l’auberge avec le cavalier de tout à l’heure, et que c’est lui qui vous a indiqué le signal.
– Et si on ne vous croit pas?
– Alors, il sera temps de songer à fuir.
Pardaillan admira avec quelle facilité les femmes savent résoudre les cas de conscience; puis, suivi de Charles d’Angoulême, il se dirigea vers la salle somptueuse qui servait pour ainsi dire de transition entre l’auberge et le palais. Il marcha droit sur la porte et vit les cinq gros clous signalés par la Roussotte. Alors, du poing, il se mit à frapper sur ces clous, dans l’ordre qui lui avait été indiqué. Au cinquième coup, la porte s’ouvrit!…
Après le départ de Maurevert, Fausta était demeurée seule dans cette pièce tendue de tapisseries où elle se tenait d’ordinaire. Elle avait renvoyé ses femmes, qui, selon leur service, s’étaient présentées pour la distraire, soit en chantant, soit en jouant du luth.
Fausta avait reçu avec un calme étrange la nouvelle de la fuite de Pardaillan. Demeurée seule, elle ferma soigneusement les portes, abaissa les tapisseries qui les voilaient, et lentement alla s’asseoir dans son grand fauteuil, s’accouda à un des bras, et se mit à songer.
«Cet homme m’a dit qu’il ferait obstacle à mes projets. Il tient parole. Tout m’a réussi jusqu’au jour où il est entré dans ma vie. Tout s’effondre depuis l’instant où il s’est révélé à moi… Pourquoi?… Le mal qui est fait par sa faute vient-il de lui, vraiment?… Est-ce par son génie, par sa force, par sa volonté que mes plans sont détruits l’un après l’autre?… Ou bien est-ce que ce n’est pas ma propre faiblesse qui prépare la ruine de Guise, la ruine de la Ligue, de la Nouvelle Église, et la mienne?…»
Fausta, lorsque, devant témoins, elle gardait sur le visage un calme presque effrayant dans les circonstances les plus émouvantes, ne jouait pas la comédie. Dans ce moment même, sûre que nul de ses gens d’armes, de ses gentilshommes ou de ses serviteurs n’oserait l’épier, elle était aussi calme, orgueilleuse et sereine que si elle eût assisté à quelque fête. Mais ce qui se passait en elle était effroyable.
Fausta sentait, comprenait qu’elle pleurait. Mais ses larmes, à elle, au lieu de déborder des paupières, au lieu d’être des gouttes visibles brûlant ses joues, étaient des larmes invisibles et semblaient retomber sur son cœur comme du plomb fondu. Ce n’étaient pas ses yeux qui pleuraient, c’était sa pensée.
Il y avait dans son âme, dans ces profondeurs lointaines de l’être humain ou bien peu parviennent à descendre, il y avait là des cris de haine et d’amour, des clameurs déchirantes, des sanglots, des imprécations. C’était Fausta qui souffrait… Et ce n’était pas elle.
Ce qui souffrait, ce qui se débattait dans une angoisse mortelle, c’était la créature humaine, la femme, l’être primitif qui ne ment pas, qui n’admet pas de masque. Et ce qui demeurait ainsi paisible sur ce fauteuil, c’était une Fausta pour ainsi dire artificielle, la souveraine de l’orgueil, celle qui ne s’était jamais vue pleurer et qui jamais n’avait eu peur.
«Ce Maurevert, songea-t-elle, m’a parlé de leur épouvante, à tous. Et moi?… Épouvante, qui es-tu?… Épouvante, je t’ignore!…»
Et elle vit que désormais, elle n’ignorait plus l’épouvante. Elle comprit que si Pardaillan était libre, elle tremblait. Elle avait peur. Peur de quoi? Elle ne savait.
– C’est ma propre faiblesse qui fait sa force, continuait-elle. Il y a en moi un sentiment que je ne devais pas connaître. Entre Dieu et moi, ce pacte avait été fait. Je devais être la Vierge immaculée non seulement dans son corps, mais dans le plus secret de sa pensée… Je ne suis plus la Vierge…
Fausta prononça ces mots presque à haute voix. Et qui les eût entendus n’eût eu aucune idée de la rage, de la terreur, de la honte qui bouleversaient cette âme. Fausta parlait et même pensait avec une sorte de mélancolie très douce… et au fond d’elle-même, sous cette douceur, sous cette mélancolie, se déchaînait la tempête.
Peu à peu, pourtant, elle s’apaisa. Et par un phénomène qui pourra sembler étrange mais qui est très naturel, à mesure qu’elle s’apaisait réellement, ses attitudes extérieures perdaient leur sérénité. Elle pâlit et rougit. Son visage eut des flammes de pourpre, ses yeux des éclairs, ses lèvres de sourdes menaces.
En réalité, ses sens s’abandonnaient maintenant à l’exaltation parce qu’elle avait trouvé, croyait-elle, un moyen de réduire son cœur au silence et de redevenir la Vierge de la pensée.
«Mais pour exécuter mon projet, gronda-t-elle à un moment, il n’en faut pas moins que cet homme soit retrouvé, qu’il soit de nouveau en mon pouvoir! Et si cela n’arrive jamais?…»
Comme elle pensait ces choses, un coup fut frappé à la porte de communication par où l’on pénétrait dans l’auberge.
«Qui peut venir?» songea Fausta.
Le deuxième coup fut frappé.
– Est-ce Guise?… Est-ce le moine?… Qui est-ce?…
La porte, une fois les cinq coups frappés dans l’ordre, s’ouvrait automatiquement. Mais Fausta pouvait l’empêcher de s’ouvrir, simplement en poussant un léger verrou qui faisait obstacle à la marche du mécanisme. Au quatrième coup, elle eut soudain l’idée de pousser ce verrou. Un étrange sentiment la poussait à ne pas recevoir celui qui frappait… quel qu’il fût. Elle se leva vivement et marcha à la porte.
À ce moment, le cinquième coup fut frappé et la porte s’ouvrit. Fausta s’arrêta pétrifiée: Pardaillan était devant elle. Le chevalier se tourna vers Charles d’Angoulême, et d’un ton étrange:
– Monseigneur, dit-il, je compte sur vous pour veiller sur le prisonnier…
«Quel prisonnier?» se demanda Charles stupéfait.
– Si dans une heure vous ne m’avez pas revu, tuez sans pitié, puis sautez à cheval, courez à Chartres à franc étrier, et prévenez le roi…
«De quoi faut-il prévenir le roi?» gronda en lui-même le jeune duc étourdi.
Sa confiance dans la force et l’esprit d’invention de Pardaillan était illimitée. Mais il sentait que le chevalier jouait en ce moment un jeu effroyable, et Charles, au lieu de répondre, se dit qu’il serait le dernier des lâches s’il n’entrait pas en même temps que son compagnon dans l’antre de la Fausta. Il fit donc résolument un pas.
– Monseigneur, dit Pardaillan en lui saisissant le bras, vous m’avez bien compris, n’est-ce pas? ‘
Et cette fois, le ton était tel que Charles comprit que de son obéissance passive dépendait le succès de l’entreprise et la vie du chevalier.
– Soyez tranquille, dit-il, si dans une heure vous n’êtes pas de retour où vous savez, je tue, et dès demain matin, dès cette nuit, Henri III est prévenu.
– Admirable! fit Pardaillan.
Et il entra, cessant de maintenir ouverte la porte. La porte, alors, se referma d’elle-même, lourdement.
Charles demeura tremblant, éperdu, stupéfait encore d’avoir consenti à se séparer de Pardaillan en une telle minute. Il colla son oreille à la porte, mais n’entendit rien.
Pardaillan s’était avancé vers Fausta, la tête découverte, la plume de son chapeau balayant le tapis. Il s’inclina avec une sorte de respect qui n’avait rien de commun, avec les marques de vénération que tous les jours recevait Fausta.
– Madame, dit-il en se redressant, daignerez-vous me pardonner de me présenter chez vous à une heure tardive et par une porte dérobée?
Fausta s’était assise. Une joie funeste brillait dans son regard. Elle s’était accoudée au bras de son fauteuil, et telles étaient sa pâleur et son immobilité qu’il eût été facile de la prendre pour quelque beau marbre. Pardaillan reprit:
– Un entretien de vous à moi, madame, était indispensable et urgent. Je n’avais pas le choix des moyens. Je me suis introduit chez vous comme j’ai pu. Voulez-vous me pardonner cette grave infraction aux règles de toute étiquette, soit princière ou royale, soit pontificale?
Cette fois Fausta fit un geste: elle frappa d’un marteau sur un timbre. Un homme entra, qui ne témoigna d’aucun étonnement à la vue de l’étranger.
– Combien de gardes au palais? demanda Fausta d’une voix calme.
– Vingt-quatre arquebusiers, dit l’homme. Mais si Votre Sainteté le désire, on peut faire aussi venir les archers dont c’est jour de repos jusqu’à minuit.
– Combien de gentilshommes de service? reprit la Fausta.
– Les douze ordinaires. Mais…
– Silence. Faites prendre les armes aux gardes et surveillez toutes les issues. Que les gentilshommes de service se tiennent prêts à entrer ici au premier coup de sifflet. Allez.