Les Tribulations DUn Chinois En Chine
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Le richissime Chinois Kin-Fo vient de se trouver soudainement ruin?. La vie, qui lui paraissait jusqu'alors insipide, lui devient insupportable. Il contracte une assurance vie de 200 000 dollars en faveur de sa fianc?e L?-ou et du philosophe Wang, son mentor et ami ? qui il demande de le tuer dans un d?lai de deux mois, tout en lui remettant une lettre qui l'innocentera de ce meurtre. Avant le d?lai imparti, Kin-Fo recouvre sa fortune, doubl?e. Il n'est plus question pour lui de renoncer ? la vie. Mais Wang a disparu avec la lettre et il n'est pas homme ? rompre une promesse! Voil? donc Kin-Fo condamn? ? mort, par ses propres soins! Une seule ressource: retrouver Wang. Et Kin-Fo de se lancer dans le plus haletant des p?riples au pays du C?leste Empire. R?cit alerte ? l'intrigue parfaitement bien men?e, Les tribulations d'un Chinois en Chine est un des joyaux des " Voyages extraordinaires " du grand Jules Verne.
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C'était une maison composée d'un rez-de-chaussée et d'un étage, élevée sur une terrasse à laquelle six gradins de marbre donnaient accès. Des claies de bambous étaient tendues comme des auvents devant les portes et les fenêtres, afin de rendre supportable la température déjà excessive, en favorisant l'aération intérieure. Le toit plat contrastait avec le faîtage fantaisiste des pavillons semés çà et là dans l'enceinte du yamen, et dont les créneaux, les tuiles multicolores, les briques découpées en fines arabesques, amusaient le regard.
Au-dedans, à l'exception des chambres spécialement réservées au logement de Wang et de Kin-Fo, ce n'étaient que salons entourés de cabinets à cloisons transparentes, sur lesquelles couraient des guirlandes de fleurs peintes ou des exergues de ces sentences morales dont les Célestials ne sont point avares. Partout, des sièges bizarrement contournés, en terre cuite ou en porcelaine, en bois ou en marbre, sans oublier quelques douzaines de coussins d'un moelleux plus engageant; partout, des lampes ou des lanternes aux formes variées, aux verres nuancés de couleurs tendres, et plus harnachées de glands, de franges et de houppes qu'une mule espagnole; partout aussi, de ces petites tables à thé qu'on appelle «tcha-ki», complément indispensable d'un mobilier chinois. Quant aux ciselures d'ivoire et d'écaille, aux bronzes niellés, aux brûle-parfum, aux laques agrémentées de filigranes d'or en relief, aux jades blanc laiteux et vert émeraude, aux vases ronds ou prismatiques de, la dynastie des Ming et des Tsing, aux porcelaines plus recherchées encore de la dynastie des Yen, aux émaux cloisonnés roses et jaunes translucides, dont le secret est introuvable aujourd'hui, on eût, non pas perdu, mais passé des heures à les compter.
Cette luxueuse habitation offrait toute la fantaisie chinoise alliée au confort européen.
En effet, Kin-Fo – on l'a dit et ses goûts le prouvent – était un homme de progrès. Aucune invention moderne des Occidentaux ne le trouvait réfractaire à leur importation.
Il appartenait à la catégorie de ces Fils du Ciel, trop rares encore, que séduisent les sciences physiques et chimiques.
Il n'était donc pas de ces barbares qui coupèrent les premiers fils électriques que la maison Reynolds voulut établir jusqu'au Wousung dans le but d'apprendre plus rapidement l'arrivée des malles anglaises et américaines, ni de ces mandarins arriérés, qui, pour ne pas laisser le câble sous-marin de Shang-Haï à Hong-Kong s'attacher à un point quelconque du territoire, obligèrent les électriciens à le fixer sur un bateau flottant en pleine rivière!
Non! Kin-Fo se joignait à ceux de ses compatriotes qui approuvaient le gouvernement d'avoir fondé les arsenaux et les chantiers de Fou-Chao sous la direction d'ingénieurs français. Aussi possédait-il des actions de la compagnie de ces steamers chinois, qui font le service entre Tien-Tsin et Shang-Haï dans un intérêt purement national, et était-il intéressé dans ces bâtiments à grande vitesse qui depuis Singapore gagnent trois ou quatre jours sur la malle anglaise.
On a dit que le progrès matériel s'était introduit jusque dans son intérieur. En effet, des appareils téléphoniques mettaient en communication les divers bâtiments de son yamen. Des sonnettes électriques reliaient les chambres de son habitation. Pendant la saison froide, il faisait du feu et se chauffait sans honte, plus avisé en cela que ses concitoyens, qui gèlent devant l'âtre vide sous leur quadruple vêtement. Il s'éclairait au gaz tout comme l'inspecteur général des douanes de Péking, tout comme le richissime M. Yang, principal propriétaire des monts-de-piété de l'Empire du Milieu! Enfin, dédaignant l'emploi suranné de l'écriture dans sa correspondance intime, le progressif Kin-Fo – on le verra bientôt – avait adopté le phonographe, récemment porté par Edison au dernier degré de la perfection.
Ainsi donc, l'élève du philosophe Wang avait, dans la partie matérielle de la vie autant que dans sa partie morale, tout ce qu'il fallait pour être heureux! Et il ne l'était pas! Il avait Soun pour détendre son apathie quotidienne, et Soun même ne suffisait pas à lui donner le bonheur!
Il est vrai que, pour le moment du moins, Soun, qui n'était jamais où il aurait dû être, ne se montrait guère! Il devait sans doute avoir quelque grave faute à se reprocher, quelque grosse maladresse commise en l'absence de son maître, et s'il ne craignait pas pour ses épaules, habituées au rotin domestique, tout portait à croire qu'il tremblait surtout pour sa queue.
«Soun! avait dit Kin-Fo, en entrant dans le vestibule, sur lequel s'ouvraient les salons de droite et de gauche, et sa voix indiquait une impatience mal contenue.
– Soun! avait répété Wang, dont les bons conseils et les objurgations étaient toujours restés sans effet sur l'incorrigible valet.
– Que l'on découvre Soun et qu'on me l'amène!» dit Kin-Fo en s'adressant à l'intendant, qui mit tout son monde à la recherche de l'introuvable.
Wang et Kin-Fo restèrent seuls.
«La sagesse, dit alors le philosophe, commande au voyageur qui rentre à son foyer de prendre quelque repos.
– Soyons sages!» répondit simplement l'élève de Wang.
Et, après avoir serré la main du philosophe, il se dirigea vers son appartement, tandis que Wang regagnait sa chambre.
Kin-Fo, une fois seul, s'étendit sur un de ces moelleux divans de fabrication européenne, dont un tapissier chinois n'eût jamais su disposer le confortable capitonnage. Là, il se prit à songer. Fut-ce à son mariage avec l'aimable et jolie femme dont il allait faire la compagne de sa vie? Oui, et cela ne peut surprendre, puisqu'il était à la veille d'aller la rejoindre. En effet, cette gracieuse personne ne demeurait pas à Shang-Haï. Elle habitait Péking, et Kin-Fo se dit même qu'il serait convenable de lui annoncer, en même temps que son retour à Shang-Haï, son arrivée prochaine dans la capitale du Céleste Empire. Si même il marquait un certain désir, une légère impatience de la revoir, cela ne serait pas déplacé. Très certainement, il éprouvait une véritable affection pour elle! Wang le lui avait bien démontré d'après les plus indiscutables règles de la logique, et cet élément nouveau introduit dans son existence pourrait peut-être en dégager l'inconnue…c'est-à-dire le bonheur… qui… que… dont… Kin-Fo rêvait déjà les yeux fermés, et il se fût tout doucement endormi, s'il n'eût senti une sorte de chatouillement à sa main droite.
Instinctivement, ses doigts se refermèrent et saisirent un corps cylindrique légèrement noueux, de raisonnable grosseur, qu'ils avaient certainement l'habitude de manier.
Kin-Fo ne pouvait s'y tromper: c'était un rotin qui s'était glissé dans sa main droite, et, en même temps, ces mots, prononcés d'un ton résigné, se faisaient entendre: «Quand monsieur voudra!» Kin-Fo se redressa, et, par un mouvement bien naturel, il brandit le rotin correcteur.
Soun était devant lui, à demi courbé, dans la posture d'un patient, présentant ses épaules. Appuyé d'une main sur le tapis de la chambre, de l'autre il tenait une lettre.
«Enfin, te voilà! dit Kin-Fo.