Aventures De Trois Russes Et De Trois Anglais Dans LAfrique Australe
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Les Aventures de trois Russes et de trois Anglais (1872) mettent en sc?ne six astronomes dont la t?che est de mesurer une portion de m?ridien terrestre. Il s'agit donc plus de g?od?sie que d'astronomie, mais historiquement, ce genre de travail a toujours ?chu aux astronomes. Les h?ros utilisent la m?thode de triangulation expos?e en d?tail dans l'Astronomie Populaire d'Arago. On retrouve le th?me des grandes exp?ditions scientifiques des Picard, Lacaille, Maupertuis, Bouguer, Godin, La Condamine, M?chain, Delambre, Arago… commandit?es par l'Acad?mie des sciences, aux ?poques o? le m?tier d'astronome ?tait un m?tier dangereux.
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Les jours se passaient ainsi. Les nuits étaient quelquefois employées aux observations. William Emery pensait toujours à son ami Michel Zorn, déplorant ces fatalités qui brisent en un instant les liens de la plus étroite amitié. Oui! Michel Zorn lui manquait, et son cœur, toujours rempli des impressions que faisait naître cette grande et sauvage nature, ne savait plus où s’épancher. Il s’absorbait alors dans des calculs, il se réfugiait dans ces chiffres avec la ténacité d’un Palander, et les heures s’écoulaient. Pour le colonel Everest, c’était le même homme, le même tempérament froid, qui ne se passionnait que pour les opérations trigonométriques. Quant à sir John, il regrettait franchement sa demi-liberté d’autrefois, mais il se gardait bien de se plaindre.
Toutefois, la fortune permettait à Son Honneur de se dédommager de temps en temps. S’il n’avait plus le temps de battre les taillis et de chasser les fauves de la contrée, en de certaines occasions ces animaux prirent la peine de venir à lui et tentèrent d’interrompre ses observations. Dans ce cas, le chasseur et le savant ne faisaient plus qu’un. Sir John se trouvait en état de légitime défense. Ce fut ainsi qu’il eut une rencontre sérieuse avec un vieux rhinocéros des environs dans la journée du 12 septembre, rencontre qui lui coûta «assez cher,» comme on le verra.
Depuis quelque temps, cet animal rôdait sur les flancs de la caravane. C’était un énorme «chucuroo», nom que les Bochjesmen donnent à ce pachyderme. Il mesurait quatorze pieds de longueur sur six de hauteur, et à la couleur noire de sa peau moins rugueuse que celles de ses congénères d’Asie, le bushman l’avait reconnu comme une bête dangereuse. Les espèces noires sont, en effet, plus agiles et plus agressives que les espèces blanches, et elles attaquent, même sans provocation, les animaux et les hommes.
Ce jour-là, sir John Murray, accompagné de Mokoum, était allé reconnaître à six milles de la station une hauteur sur laquelle le colonel Everest avait l’intention d’établir un poteau de mire. Par un certain pressentiment, il avait emporté son rifle, à balle conique, et non pas un simple fusil de chasse. Bien que le rhinocéros en question n’eût pas été signalé depuis deux jours, sir John ne voulait pas courir désarmé à travers un pays inconnu. Mokoum et ses camarades avaient donné la chasse au pachyderme, sans l’atteindre, et il était possible que l’énorme animal n’eût pas renoncé à ses desseins.
Sir John n’eut pas à regretter d’avoir agi en homme prudent. Son compagnon et lui étaient arrivés sans accident à la hauteur indiquée, et ils l’avaient gravie jusqu’à son sommet le plus escarpé, quand, à la base de cette colline, sur la lisière d’un taillis bas et peu serré, le «chucuroo» apparut soudain. Jamais sir John ne l’avait pu observer de si près. C’était vraiment une bête formidable. Ses petits yeux étincelaient. Ses cornes droites, un peu recourbées en arrière, posées l’une devant l’autre, d’égale longueur à peu près, soit deux pieds environ, et solidement implantées sur la masse osseuse des narines, formaient une arme redoutable.
Le bushman aperçut le premier l’animal, tapi à la distance d’un demi-mille sous un buisson de lentisques.
«Sir John, dit-il aussitôt, la fortune favorise votre Honneur! Voilà le chucuroo!
– Le rhinocéros! s’écria sir John, dont les yeux s’animèrent soudain.
– Oui, sir John, répondit le chasseur. C’est, comme vous le voyez, une bête magnifique, et qui paraît fort disposé à nous couper la retraite. Pourquoi ce chucuroo s’acharne-t-il ainsi contre nous, je ne saurais le dire, car c’est un simple herbivore; mais enfin, il est là, sous ce fourré, et il faudra l’en déloger!
– Peut-il monter jusqu’à nous? demanda sir John.
– Non, Votre Honneur, répondit le bushman. La pente est trop raide pour ses membres courts et trapus. Aussi attendra-t-il!
– Eh bien, qu’il attende, répliqua sir John, et quand nous aurons fini d’examiner cette station, nous délogerons cet incommode voisin.»
Sir John Murray et Mokoum reprirent donc leur examen un instant interrompu. Ils reconnurent avec un soin minutieux la disposition supérieure du monticule, et choisirent l’emplacement sur lequel devait s’élever le poteau indicateur. D’autres hauteurs assez importantes, situées dans le nord-ouest, devaient permettre de construire le nouveau triangle dans les conditions les plus favorables.
Lorsque ce travail fut terminé, sir John, se tournant vers la bushman, lui dit:
«Quand vous voudrez, Mokoum.
– Je suis aux ordres de Votre Honneur.
– Le rhinocéros nous attend toujours?
– Toujours…
– Descendons alors, et si puissant que soit cet animal, une balle de mon rifle en aura facilement raison.
– Une balle! s’écria le bushman. Votre Honneur ne sait pas ce qu’est un chucuroo. Ces bêtes-là ont la vie dure, et jamais on n’a vu un rhinocéros tomber sous une seule balle, si bien ajustée qu’elle fût.
– Bah! fit sir John, parce qu’on n’employait pas de balles coniques!
– Coniques ou rondes, répondit Mokoum, vos premières balles n’abattront pas un pareil animal!
– Eh bien, mon brave Mokoum, répliqua sir John, emporté par son amour-propre de chasseur, je vais vous montrer ce que peuvent nos armes européennes, puisque vous en doutez!»
Et ce disant, sir John arma son rifle, prêt à faire feu, dès que la distance lui semblerait convenable.
«Un mot, Votre Honneur! dit le bushman, un peu piqué, et arrêtant son compagnon du geste. Votre Honneur consentirait-il à faire un pari avec moi?
– Pourquoi pas, mon digne chasseur? répondit sir John.
– Je ne suis pas riche, reprit Mokoum, mais je risquerais volontiers une livre contre la première balle de Votre Honneur.
– C’est dit! répliqua aussitôt sir John. Une livre, à vous, si ce rhinocéros ne tombe pas sous ma première balle!
– Tenu? dit le bushman.
– Tenu.»
Les deux chasseurs descendirent le raide talus du monticule, et furent bientôt postés à une distance de cinq cents pieds du chucuroo qui conservait une immobilité parfaite. Il se présentait donc dans des circonstances très-favorables à sir John, qui pouvait le viser à son aise. L’honorable Anglais pensait même avoir si beau jeu, qu’au moment de tirer, voulant permettre au bushman de revenir sur son pari, il lui dit:
«Cela tient-il toujours?
– Toujours!» répondit tranquillement Mokoum.
Le rhinocéros restait aussi immobile qu’une cible. Sir John avait le choix de la place à laquelle il lui conviendrait de frapper, afin de provoquer une mort immédiate. Il se décida à tirer l’animal au museau, et, son amour-propre de chasseur le surexcitant, il visa avec un soin extrême, que devait aider encore la précision de son arme.