Les Tribulations DUn Chinois En Chine
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Le richissime Chinois Kin-Fo vient de se trouver soudainement ruin?. La vie, qui lui paraissait jusqu'alors insipide, lui devient insupportable. Il contracte une assurance vie de 200 000 dollars en faveur de sa fianc?e L?-ou et du philosophe Wang, son mentor et ami ? qui il demande de le tuer dans un d?lai de deux mois, tout en lui remettant une lettre qui l'innocentera de ce meurtre. Avant le d?lai imparti, Kin-Fo recouvre sa fortune, doubl?e. Il n'est plus question pour lui de renoncer ? la vie. Mais Wang a disparu avec la lettre et il n'est pas homme ? rompre une promesse! Voil? donc Kin-Fo condamn? ? mort, par ses propres soins! Une seule ressource: retrouver Wang. Et Kin-Fo de se lancer dans le plus haletant des p?riples au pays du C?leste Empire. R?cit alerte ? l'intrigue parfaitement bien men?e, Les tribulations d'un Chinois en Chine est un des joyaux des " Voyages extraordinaires " du grand Jules Verne.
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Si les choses continuaient de la sorte, Kin-Fo finirait par s'accoutumer à cette nouvelle existence, et l'ennui ne manquerait pas de le reprendre bientôt.
Combien d'heures s'écoulaient déjà, sans que la pensée lui vînt qu'il était un condamné à mort!
Cependant, un jour, 12 mai, le hasard lui procura quelque émotion. Comme il entrait doucement dans la chambre du philosophe, il le vit qui essayait du bout du doigt la pointe effilée d'un poignard et la trempait ensuite dans un flacon à verre bleu d'apparence suspecte.
Wang n'avait point entendu entrer son élève, et, saisissant le poignard, il le brandit à plusieurs reprises, comme pour s'assurer qu'il l'avait bien en main. En vérité, sa physionomie n'était pas rassurante. Il semblait, à ce moment, que le sang lui eût monté aux yeux.
«Ce sera pour aujourd'hui», se dit Kin-Fo.
Et il se retira discrètement, sans avoir été ni vu ni entendu.
Kin-Fo ne quitta pas sa chambre de toute la journée… Le philosophe ne parut pas.
Kin-Fo se coucha; mais, le lendemain, il dut se relever aussi vivant qu'un homme bien constitué peut l'être.
Tant d'émotions en pure perte! Cela devenait agaçant.
Et dix jours s'étaient écoulés déjà! Il est vrai que Wang avait deux mois pour s'exécuter.
«Décidément, c'est un flâneur! se dit Kin-Fo, je lui ai donné deux fois trop de temps!»
Et il pensait que l'ancien Taï-ping s'était quelque peu amolli dans les délices de Shang-Haï.
A partir de ce jour, cependant, Wang parut plus soucieux, plus agité. Il allait et venait dans le yamen, comme un homme qui ne peut tenir en place. Kin-Fo observa même que le philosophe faisait des visites réitérées au salon des ancêtres, où se trouvait le précieux cercueil, venu de Liao-Tchéou. Il apprit aussi de Soun, et non sans intérêt, que Wang avait recommandé de brosser, frotter, épousseter le meuble en question, en un mot, de le tenir en état.
«Comme mon maître sera bien couché là-dedans! ajouta même le fidèle domestique. C'est à vous donner envie d'en essayer!»
Observation qui valut à Soun un petit signe d'amitié.
Les 13, 14 et 15 mai se passèrent. Rien de nouveau.
Wang comptait-il donc épuiser le délai convenu, et ne payer sa dette qu'à la façon d'un commerçant, à l'échéance, sans anticiper? Mais alors, il n'y aurait plus de surprise, et partant plus d'émotion!
Cependant, un fait très significatif vint à la connaissance de Kin-Fo dans la matinée du 15 niai, au moment du «mao-che», c'est-à-dire vers six heures du matin.
La nuit avait été mauvaise. Kin-Fo, à son réveil, était encore sous l'impression d'un déplorable songe. Le prince Ien, le souverain juge de l'enfer chinois, venait de le condamner à ne comparaître devant lui que lorsque la douze-centième lune se lèverait sur l'horizon du Céleste Empire. Un siècle à vivre encore, tout un siècle!
Kin-Fo était donc de fort mauvaise humeur, car il semblait que tout conspirât contre lui.
Aussi, de quelle façon il reçut Soun, lorsque celui-ci vint, comme à l'ordinaire, l'aider à sa toilette du matin.
«Va au diable! s'écria-t-il. Que dix mille coups de pied te servent de gages, animal!
– Mais, mon maître…
– Va-t'en, te dis-je!
– Eh bien, non! répondit Soun, pas avant, du moins, de vous avoir appris…
– Quoi?
– Que M. Wang…
– Wang! Qu'a-t-il fait, Wang? répliqua vivement Kin-Fo, en saisissant Soun par sa queue! Qu'a-t-il fait?
– Mon maître! répondit Soun, qui se tortillait comme un ver, il nous a donné ordre de transporter le cercueil de monsieur dans le pavillon de Longue Vie, et…
– Il a fait cela! s'écria Kin-Fo, dont le front rayonna. Va, Soun, va, mon ami! Tiens! voilà dix taëls pour toi, et surtout qu'on exécute en tous points les ordres de Wang!»
Là-dessus, Soun s'en alla, absolument abasourdi, et répétant: «Décidément mon maître est devenu fou, mais, du moins, il a la folie généreuse!»
Cette fois, Kin-Fo n'en pouvait plus douter. Le Taï-ping voulait le frapper dans ce pavillon de Longue Vie où lui-même avait résolu de mourir. C'était comme un rendez-vous qu'il lui donnait là. Il n'aurait garde d'y manquer. La catastrophe était imminente.
Combien la journée parut longue à Kin-Fo! L'eau des horloges ne semblait plus couler avec sa vitesse normale!
Les aiguilles flânaient sur leur cadran de jade!
Enfin, la première veille laissa le soleil disparaître sous l'horizon, et la nuit se fit peu à peu autour du yamen.
Kin-Fo alla s'installer dans le pavillon, dont il espérait ne plus sortir vivant. Il s'étendit sur un divan moelleux, qui semblait fait pour les longs repos, et il attendit.
Alors, les souvenirs de son inutile existence repassèrent dans son esprit, ses ennuis, ses dégoûts, tout ce que la richesse n'avait pu vaincre, tout ce que la pauvreté aurait accru encore!
Un seul éclair illuminait cette vie, qui avait été sans attrait dans sa période opulente, l'affection que Kin-Fo avait ressentie pour la jeune veuve. Ce sentiment lui remuait le cœur, au moment où ses derniers battements allaient cesser. Mais, faire la pauvre Lé-ou misérable avec lui, jamais!
La quatrième veille, celle qui précède le lever de l'aube, et pendant laquelle il semble que la vie universelle soit comme suspendue, cette quatrième veille s'écoula pour Kin-Fo dans les plus vives émotions. Il écoutait anxieusement. Ses regards fouillaient l'ombre. Il tâchait de surprendre les moindres bruits. Plus d'une fois, il crut entendre gémir la porte, poussée par une main prudente.
Sans doute Wang espérait le trouver endormi et le frapperait dans son sommeil!
Et, alors, une sorte de réaction se faisait en lui. Il craignait et désirait à la fois cette terrible apparition du Taï-ping.
L'aube blanchit les hauteurs du zénith avec la cinquième veille. Le jour se fit lentement.
Soudain, la porte du salon s'ouvrit.
Kin-Fo se redressa, ayant plus vécu dans cette dernière seconde que pendant sa vie tout entière!…
Soun était devant lui, une lettre à la main.
«Très pressée!» dit simplement Soun.
Kin-Fo eut comme un pressentiment. Il saisit la lettre, qui portait le timbre de San Francisco, il en déchira l'enveloppe, il la lut rapidement, et, s'élançant hors du pavillon de Longue Vie.
«Wang! Wang!» cria-t-il.