Les Tribulations DUn Chinois En Chine
Les Tribulations DUn Chinois En Chine читать книгу онлайн
Le richissime Chinois Kin-Fo vient de se trouver soudainement ruin?. La vie, qui lui paraissait jusqu'alors insipide, lui devient insupportable. Il contracte une assurance vie de 200 000 dollars en faveur de sa fianc?e L?-ou et du philosophe Wang, son mentor et ami ? qui il demande de le tuer dans un d?lai de deux mois, tout en lui remettant une lettre qui l'innocentera de ce meurtre. Avant le d?lai imparti, Kin-Fo recouvre sa fortune, doubl?e. Il n'est plus question pour lui de renoncer ? la vie. Mais Wang a disparu avec la lettre et il n'est pas homme ? rompre une promesse! Voil? donc Kin-Fo condamn? ? mort, par ses propres soins! Une seule ressource: retrouver Wang. Et Kin-Fo de se lancer dans le plus haletant des p?riples au pays du C?leste Empire. R?cit alerte ? l'intrigue parfaitement bien men?e, Les tribulations d'un Chinois en Chine est un des joyaux des " Voyages extraordinaires " du grand Jules Verne.
Внимание! Книга может содержать контент только для совершеннолетних. Для несовершеннолетних чтение данного контента СТРОГО ЗАПРЕЩЕНО! Если в книге присутствует наличие пропаганды ЛГБТ и другого, запрещенного контента - просьба написать на почту [email protected] для удаления материала
A cette proposition inattendue, Wang ne tressaillit même pas. Mais Kin-Fo, qui le regardait bien en face, vit briller un éclair dans ses yeux. L'ancien Taï-ping se réveillait-il?
Cette besogne dont son élève allait le charger, ne trouverait-elle pas en lui une hésitation? Dix-huit années auraient donc passé sur sa tête sans étouffer les sanguinaires instincts de sa jeunesse! Au fils de celui qui l'avait recueilli, il ne ferait pas même une objection! Il accepterait, sans broncher, de le délivrer de cette existence dont il ne voulait plus! Il ferait cela, lui, Wang, le philosophe!
Mais cet éclair s'éteignit presque aussitôt. Wang reprit sa physionomie ordinaire de brave homme, un peu plus sérieuse peut-être.
Et alors, se rasseyant: «C'est là le service que tu me demandes? dit-il.
– Oui, reprit Kin-Fo, et ce service t'acquittera de tout ce que tu pourrais t'imaginer devoir à Tchoung-Héou et à son fils.
– Que devrai-je faire? demanda simplement le philosophe.
– D'ici au 25 juin, vingt-huitième jour de la sixième lune, tu entends bien, Wang, jour où finira ma trente et unième année, – je dois avoir cessé de vivre! Il faut que je tombé frappé par toi, soit par-devant, soit par-derrière, le jour, la nuit, n'importe où, n'importe comment, debout, assis, couché, éveillé, endormi, par le fer ou par le poison! Il faut qu'à chacune des quatre-vingt mille minutes dont se composera ma vie pendant cinquante-cinq jours encore, j'aie la pensée, et, je l'espère, la crainte, que mon existence va brusquement finir! Il faut que j'aie devant moi ces quatre-vingt mille émotions, si bien que, au moment où se sépareront les sept éléments de mon âme, je puisse m'écrier: Enfin, j'ai donc vécu!»
Kin-Fo, contre son habitude, avait parlé avec une certaine animation. On remarquera aussi qu'il avait fixé à six jours avant l'expiration de sa police la limite extrême de son existence. C'était agir en homme prudent, car, faute du versement d'une nouvelle prime, un retard eût fait déchoir ses ayants droit du bénéfice de l'assurance.
Le philosophe l'avait écouté gravement, jetant à la dérobée quelque rapide regard sur le portrait du roi Taï-ping, qui ornait sa chambre, portrait dont il devait hériter, – ce qu'il ignorait encore.
«Tu ne reculeras pas devant cette obligation que tu vas prendre de me frapper?» demanda Kin-Fo.
Wang, d'un geste, indiqua qu'il n'en était pas à cela près!
Il en avait vu bien d'autres, lorsqu'il s'insurgeait sous les bannières des Taï-ping! Mais il ajouta, en homme qui veut, cependant, épuiser toutes les objections avant de s'engager.
«Ainsi tu renonces aux chances que le Vrai Maître t'avait réservées d'atteindre l'extrême vieillesse!
– J'y renonce.
– Sans regrets?
– Sans regrets! répondit Kin-Fo. Vivre vieux! Ressembler à quelque morceau de bois qu'on ne peut plus sculpter!
Riche, je ne le désirais pas. Pauvre, je le veux encore moins!
– Et la jeune veuve de Péking? dit Wang. Oublies-tu le proverbe: la fleur avec la fleur, le saule avec le saule! L'entente de deux cœurs fait cent années de printemps!…
– Contre trois cents années d'automne, d'été et d'hiver! répondit Kin-Fo, en haussant les épaules. Non! Lé-ou, pauvre, serait misérable avec moi! Au contraire, ma mort lui assure une fortune.
– Tu as fait cela?
– Oui, et toi-même, Wang, tu as cinquante mille dollars placés sur ma tête.
– Ah! fit simplement le philosophe, tu as réponse à tout.
– A tout, même à une objection que tu ne m'as pas encore faite.
– Laquelle?
– Mais… le danger que tu pourrais courir, après ma mort, d'être poursuivi pour assassinat.
– Oh! fit Wang, il n'y a que les maladroits ou les poltrons qui se laissent prendre! D'ailleurs, où serait le mérite de te rendre ce dernier service, si je ne risquais rien!
– Non pas, Wang! je préfère te donner toute sécurité à cet égard. Personne ne songera à t'inquiéter!»
Et, ce disant, Kin-Fo s'approcha d'une table, prit une feuille de papier, et, d'une écriture nette, il traça les lignes suivantes:
«C'est volontairement que je me suis donné la mort, par dégoût et lassitude de la vie.
«KIN-FO.»
Et il remit le papier à Wang.
Le philosophe le lut d'abord tout bas; puis, il le relut à voix haute. Cela fait, il le plia soigneusement et le plaça dans un carnet de notes qu'il portait toujours sur lui.
Un second éclair avait allumé son regard.
«Tout cela est sérieux de ta part? dit-il en regardant fixement son élève.
– Très sérieux.
– Ce ne le sera pas moins de la mienne.
– J'ai ta parole?
– Tu l'as.
– Donc, avant le 25 juin au plus tard, j'aurai vécu?…
– Je ne sais si tu auras vécu dans le sens où tu l'entends, répondit gravement le philosophe, mais, à coup sûr, tu seras mort!
– Merci et adieu, Wang.
– Adieu, Kin-Fo.»
Et, là-dessus, Kin-Fo quitta tranquillement la chambre du philosophe.
IX DONT LA CONCLUSION, QUELQUE SINGULIÈRE QU'ELLE SOIT, NE SURPRENDRA PEUT-ÊTRE PAS LE LECTEUR
«Eh bien, Craig-Fry? disait le lendemain l'honorable William J. Bidulph aux deux agents qu'il avait spécialement chargés de surveiller le nouveau client de la Centenaire.
– Eh bien, répondit Craig, nous l'avons suivi hier pendant toute une longue promenade qu'il a faite dans la campagne de Shang-Haï…
– Et il n'avait certainement point l'air d'un homme qui songe à se tuer, ajouta Fry.
– La nuit était venue, nous l'avons escorté jusqu'à sa porte…
– Que nous n'avons pu malheureusement franchir.
– Et ce matin? demanda William J. Bidulph.
– Nous avons appris, répondit Craig, qu'il se portait…
– Comme le pont de Palikao», ajouta Fry.
Les agents Craig et Fry, deux Américains pur sang, deux cousins au service de la Centenaire, ne formaient absolument qu'un être en deux personnes. Impossible d'être plus complètement identifiés l'un à l'autre, au point que celui-ci finissait invariablement les phrases que celui- là commençait, et réciproquement. Même cerveau, mêmes pensées, même cœur, même estomac, même manière d'agir en tout. Quatre mains, quatre bras, quatre jambes à deux corps fusionnés. En un mot, deux frères Siamois, dont un audacieux chirurgien aurait tranché la suture.