Vie De Jesus
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CHAPITRE XIX. PROGRESSION CROISSANTE D'ENTHOUSIASM E ET D'EXALTATION.
Il est clair qu'une telle société religieuse, fondée uniquement sur l'attente du royaume de Dieu, devait être en elle-même fort incomplète. La première génération chrétienne vécut tout entière d'attente et de rêve. A la veille de voir finir le monde, on regardait comme inutile tout ce qui ne sert qu'à continuer le monde. La propriété était interdite [871]. Tout ce qui attache l'homme à la terre, tout ce qui le détourne du ciel devait être fui. Quoique plusieurs disciples fussent mariés, on ne se mariait plus, ce semble, dès qu'on entrait dans la secte [872]. Le célibat était hautement préféré; dans le mariage même, la continence était recommandée [873]. Un moment, le maître semble approuver ceux qui se mutileraient en vue du royaume de Dieu [874]. Il était en cela conséquent avec son principe: «Si ta main ou ton pied t'est une occasion de péché, coupe-les, et jette-les loin de toi; car il vaut mieux que tu entres boiteux ou manchot dans la vie éternelle, que d'être jeté avec tes deux pieds et tes deux mains dans la géhenne. Si ton œil t'est une occasion de péché, arrache-le et jette-le loin de toi; car il vaut mieux entrer borgne dans la vie éternelle que d'avoir ses deux yeux, et d'être jeté dans la géhenne [875].» La cessation de la génération fut souvent considérée comme le signe et la condition du royaume de Dieu [876].
Jamais, on le voit, cette Église primitive n'eût formé une société durable, sans la grande variété des germes déposés par Jésus dans son enseignement. Il faudra plus d'un siècle encore pour que la vraie Église chrétienne, celle qui a converti le monde, se dégage de cette petite secte des «saints du dernier jour,» et devienne un cadre applicable à la société humaine tout entière. La même chose, du reste, eut lieu dans le bouddhisme, qui ne fut fondé d'abord que pour des moines. La même chose fût arrivée dans l'ordre de saint François, si cet ordre avait réussi dans sa prétention de devenir la règle de la société humaine tout entière. Nées à l'état d'utopies, réussissant par leur exagération même, les grandes fondations dont nous venons de parler ne remplirent le monde qu'à condition de se modifier profondément et de laisser tomber leurs excès. Jésus ne dépassa pas cette première période toute monacale, où l'on croit pouvoir impunément tenter l'impossible. Il ne fit aucune concession à la nécessité. Il prêcha hardiment la guerre à la nature, la totale rupture avec le sang. «En vérité, je vous le déclare, disait-il, quiconque aura quitté sa maison, sa femme, ses frères, ses parents, ses enfants, pour le royaume de Dieu, recevra le centuple en ce monde, et, dans le monde à venir, la vie éternelle [877].»
Les instructions que Jésus est censé avoir données à ses disciples respirent la même exaltation [878]. Lui, si facile pour ceux du dehors, lui qui se contente parfois de demi-adhésions [879], est pour les siens d'une rigueur extrême. Il ne voulait pas d'à-peu-près. On dirait un «Ordre» constitué par les règles les plus austères. Fidèle à sa pensée que les soucis de la vie troublent l'homme et l'abaissent, Jésus exige de ses associés un entier détachement de la terre, un dévouement absolu à son œuvre. Ils ne doivent porter avec eux ni argent, ni provisions de route, pas même une besace, ni un vêtement de rechange. Ils doivent pratiquer la pauvreté absolue, vivre d'aumônes et d'hospitalité. «Ce que vous avez reçu gratuitement, transmettez-le gratuitement [880],» disait-il en son beau langage. Arrêtés, traduits devant les juges, qu'ils ne préparent pas leur défense; l'avocat céleste, le Peraklit, leur inspirera ce qu'ils doivent dire. Le Père leur enverra d'en haut son Esprit, qui deviendra le principe de tous leurs actes, le directeur de leurs pensées, leur guide à travers le monde [881]. Chassés d'une ville, qu'ils secouent sur elle la poussière de leurs souliers, en lui donnant acte toutefois, pour qu'elle ne puisse alléguer son ignorance, de la proximité du royaume de Dieu. «Avant que vous ayez épuisé, ajoutait-il, les villes d'Israël, le Fils de l'homme apparaîtra.»
Une ardeur étrange anime tous ces discours, qui peuvent être en partie la création de l'enthousiasme des disciples [882], mais qui même en ce cas viennent indirectement de Jésus, puisqu'un tel enthousiasme était son œuvre. Jésus annonce à ceux qui veulent le suivre de grandes persécutions et la haine du genre humain. Il les envoie comme des agneaux au milieu des loups. Ils seront flagellés dans les synagogues, traînés en prison. Le frère sera livré par son frère, le fils par son père. Quand on les persécute dans un pays, qu'ils fuient dans un autre. «Le disciple, disait-il, n'est pas plus que son maître, ni le serviteur plus que son patron. Ne craignez point ceux qui ôtent la vie du corps, et qui ne peuvent rien sur l'âme. On a deux passereaux pour une obole, et cependant un de ces oiseaux ne tombe pas sans la permission de votre Père. Les cheveux de votre tête sont comptés. Ne craignez rien; vous valez beaucoup de passereaux [883].»-«Quiconque, disait-il encore, me confessera devant les hommes, je le reconnaîtrai devant mon Père; mais quiconque aura rougi de moi devant les hommes, je le renierai devant les anges, quand je viendrai entouré de la gloire de mon Père, qui est aux deux [884].»
Dans ces accès de rigueur, il allait jusqu'à supprimer la chair. Ses exigences n'avaient plus de bornes. Méprisant les saines limites de la nature de l'homme, il voulait qu'on n'existât que pour lui, qu'on n'aimât que lui seul. «Si quelqu'un vient à moi, disait-il, et ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple [885].»-«Si quelqu'un ne renonce pas à tout ce qu'il possède, il ne peut être mon disciple [886].» Quelque chose de plus qu'humain et d'étrange se mêlait alors a ses paroles; c'était comme un feu dévorant la vie à, sa racine, et réduisant tout à un affreux désert. Le sentiment âpre et triste de dégoût pour le monde, d'abnégation outrée, qui caractérise la perfection chrétienne, eut pour fondateur, non le fin et joyeux moraliste des premiers jours, mais le géant sombre qu'une sorte de pressentiment grandiose jetait de plus en plus hors de l'humanité. On dirait que, dans ces moments de guerre contre les besoins les plus légitimes du cœur, il avait oublié le plaisir de vivre, d'aimer, de voir, de sentir. Dépassant toute mesure, il osait dire: «Si quelqu'un veut être mon disciple, qu'il renonce à lui-même et me suive! Celui qui aime son père et sa mère plus que moi n'est pas digne de moi; celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n'est pas digne de moi. Tenir à la vie, c'est se perdre; sacrifier sa vie pour moi et pour la bonne nouvelle, c'est se sauver. Que sert à un homme de gagner le monde entier et de se perdre lui-même [887]?» Deux anecdotes, du genre de celles qu'il ne faut pas accepter comme historiques, mais qui se proposent de rendre un trait de caractère en l'exagérant, peignaient bien ce défi jeté à la nature. Il dit à un homme: «Suis-moi!»-«Seigneur, lui répond cet homme, laisse-moi d'abord aller ensevelir mon père.» Jésus reprend: «Laisse les morts ensevelir leurs morts; toi, va et annonce le règne de Dieu.»-Un autre lui dit: «Je te suivrai, Seigneur, mais permets-moi auparavant d'aller mettre ordre aux affaires de ma maison.» Jésus lui répond: «Celui qui met la main à la charrue et regarde derrière lui, n'est pas fait pour le royaume de Dieu [888].» Une assurance extraordinaire, et parfois des accents de singulière douceur, renversant toutes nos idées, faisaient passer ces exagérations. «Venez à moi, criait-il, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous soulagerai. Prenez mon joug sur vos épaules; apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes; car mon joug est doux, et mon fardeau léger [889].»
