Vie De Jesus
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Inutile de faire observer combien l'idée d'un livre religieux, renfermant un code et des articles de foi, était éloignée de la pensée de Jésus. Non-seulement il n'écrivit pas, mais il était contraire à l'esprit de la secte naissante de produire des livres sacrés. On se croyait à la veille de la grande catastrophe finale. Le Messie venait mettre le sceau sur la Loi et les prophètes, non promulguer des textes nouveaux. Aussi, à l'exception de l'Apocalypse, qui fut en un sens le seul livre révélé du christianisme naissant, tous les autres écrits de l'âge apostolique sont-ils des ouvrages de circonstance, n'ayant nullement la prétention de fournir un ensemble dogmatique complet. Les évangiles eurent d'abord un caractère tout privé et une autorité bien moindre que la tradition [856].
La secte, cependant, n'avait-elle pas quelque sacrement, quelque rite, quelque signe de ralliement? Elle en avait un, que toutes les traditions font remonter jusqu'à Jésus. Une des idées favorites du maître, c'est qu'il était le pain nouveau, pain très-supérieur à la manne et dont l'humanité allait vivre. Cette idée, germe de l'Eucharistie, prenait quelquefois dans sa bouche des formes singulièrement concrètes. Une fois surtout, il se laissa aller, dans la synagogue de Capharnahum, à un mouvement hardi, qui lui coûta plusieurs de ses disciples. «Oui, oui, je vous le dis, ce n'est pas Moïse, c'est mon Père qui vous a donné le pain du ciel [857].» Et il ajoutait: «C'est moi qui suis le pain de vie; celui qui vient a moi n'aura jamais faim, et celui qui croit en moi n'aura jamais soif [858].» Ces paroles excitèrent un vif murmure: «Qu'entend-il, se disait-on, par ces mots: Je suis le pain de vie? N'est-ce pas là Jésus, le fils de Joseph, dont nous connaissons le père et la mère? Comment peut-il dire qu'il est descendu du ciel?» Et Jésus insistant avec plus de force encore: «Je suis le pain de vie; vos pères ont mangé la manne dans le désert et sont morts. C'est ici le pain qui est descendu du ciel, afin que celui qui en mange ne meure point. Je suis le pain vivant; si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement; et le pain que je donnerai, c'est ma chair, pour la vie du monde [859].» Le scandale fut au comble: «Comment peut-il donner sa chair à manger?» Jésus renchérissant encore: «Oui, oui, dit-il, si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez point la vie en vous. Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang est en possession de la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour. Car ma chair est véritablement une nourriture, et mon sang est véritablement un breuvage. Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang, demeure en moi, et moi en lui. Comme je vis par le Père qui m'a envoyé, ainsi celui qui me mange vit par moi. C'est ici le pain qui est descendu du ciel. Ce pain n'est pas comme la manne, que vos pères ont mangée et qui ne les a pas empochés de mourir; celui qui mangera ce pain vivra éternellement.» Une telle obstination dans le paradoxe révolta plusieurs disciples, qui cessèrent de le fréquenter. Jésus ne se rétracta pas; il ajouta seulement: «C'est l'esprit qui vivifie. La chair ne sert de rien. Les paroles que je vous dis sont esprit et vie.» Les douze restèrent fidèles, malgré cette prédication bizarre. Ce fut pour Céphas en particulier l'occasion de montrer un absolu dévouement et de proclamer une fois de plus: «Tu es le Christ, fils de Dieu.»
Il est probable que dès lors, dans les repas communs de la secte, s'était établi quelque usage auquel se rapportait le discours si mal accueilli par les gens de Capharnahum. Mais les traditions apostoliques à ce sujet sont fort divergentes et probablement incomplètes à dessein. Les évangiles synoptiques supposent un acte sacramentel unique, ayant servi de base au rite mystérieux, et ils le placent à la dernière Cène. Jean, qui justement nous a conservé l'incident de la synagogue de Capharnahum, ne parle pas d'un tel acte, quoiqu'il raconte la dernière Cène fort au long. Ailleurs, nous voyons Jésus reconnu à la fraction du pain [860], comme si ce geste eût été pour ceux qui l'avaient fréquenté le plus caractéristique de sa personne. Quand il fut mort, la forme sous laquelle il apparaissait au pieux souvenir de ses disciples était celle de président d'un banquet mystique, tenant le pain, le bénissant, le rompant et le présentant aux assistants [861]. Il est probable que c'était là une de ses habitudes, et qu'à ce moment il était particulièrement aimable et attendri. Une circonstance matérielle, la présence du poisson sur la table (indice frappant qui prouve que le rite prit naissance sur le bord du lac de Tibériade [862]), fut elle-même presque sacramentelle et devint une partie nécessaire des images qu'on se fit du festin sacré [863].
Les repas étaient devenus dans la communauté naissante un des moments les plus doux. A ce moment, on se rencontrait; le maître parlait à chacun et entretenait une conversation pleine de gaieté et de charme. Jésus aimait cet instant et se plaisait à voir sa famille spirituelle ainsi groupée autour de lui [864]. La participation au même pain était considérée comme une sorte de communion, de lien réciproque. Le maître usait à cet égard de termes extrêmement énergiques, qui furent pris plus tard avec une littéralité effrénée. Jésus est à la fois très-idéaliste dans les conceptions et très-matérialiste dans l'expression. Voulant rendre cette pensée que le croyant ne vit que de lui, que tout entier (corps, sang et âme) il était la vie du vrai fidèle, il disait à ses disciples: «Je suis votre nourriture,» phrase qui, tournée en style figuré, devenait: «Ma chair est votre pain, mon sang est votre breuvage.» Puis, les habitudes de langage de Jésus, toujours fortement substantielles, l'emportaient plus loin encore. A table, montrant l'aliment, il disait: «Me voici;» tenant le pain: «Ceci est mon corps;» tenant le vin: «Ceci est mon sang;» toutes manières de parler qui étaient l'équivalent de: «Je suis votre nourriture.»
Ce rite mystérieux obtint du vivant de Jésus une grande importance. Il était probablement établi assez longtemps avant le dernier voyage à Jérusalem, et il fut le résultat d'une doctrine générale bien plus que d'un acte déterminé. Après la mort de Jésus, il devint le grand symbole de la communion chrétienne [865], et ce fut au moment le plus solennel de la vie du Sauveur qu'on en rapporta l'établissement. On voulut voir dans la consécration du pain et du vin un mémorial d'adieu que Jésus, au moment de quitter la vie, aurait laissé à ses disciples [866]. On retrouva Jésus lui-même dans ce sacrement. L'idée toute spirituelle de la présence des âmes, qui était l'une des plus familières au maître, qui lui faisait dire, par exemple, qu'il était de sa personne au milieu de ses disciples [867] quand ils étaient réunis en son nom, rendait cela facilement admissible. Jésus, nous l'avons déjà dit [868], n'eut jamais une notion bien arrêtée de ce qui fait l'individualité. Au degré d'exaltation où il était parvenu, l'idée chez lui primait tout à un tel point que le corps ne comptait plus. On est un quand on s'aime, quand on vit l'un de l'autre; comment lui et ses disciples n'eussent-ils pas été un [869]? Ses disciples adoptèrent le même langage. Ceux qui, durant des années, avaient vécu de lui le virent toujours tenant le pain, puis le calice «entre ses mains saintes et vénérables [870],» et s'offrant lui-même à eux. Ce fut lui que l'on mangea et que l'on but; il devint la vraie Pâque, l'ancienne ayant été abrogée par son sang. Impossible de traduire dans notre idiome essentiellement déterminé, où la distinction rigoureuse du sens propre et de la métaphore doit toujours être faite, des habitudes de style dont le caractère essentiel est de prêter à la métaphore, ou pour mieux dire à l'idée, une pleine réalité.
