Les Larmes De Marie-Antoinette
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Découvrant Aldo auprès de lui, il le regarda pardessus ses bésicles avec un sourire en demi-lune qui ne montrait pas les dents :
— Drôle d’histoire, vous ne trouvez pas ? Si nous allions boire quelque chose d’un peu fort pour nous réconforter ?
— Pourquoi pas ? Nous ne serions pas les seuls…
La ruée vers le buffet s’était sans doute cassée net mais nombre d’invités désireux de se remettre de l’émotion se hâtaient de s’en souvenir, Gilles Vauxbrun le tout premier, armé à présent d’un verre dont il faisait avec précautions boire le contenu à sa belle amie.
Les deux hommes eurent à peine le temps d’avaler un verre de champagne qu’un agent vint les prier de sortir : le commissaire Lemercier venait d’arriver et rassemblait sur la pelouse les témoins du drame :
— Vous étiez tous présents, déclara celui-ci d’une voix forte. Il est donc impossible que personne n’ait rien vu. Ceux surtout qui étaient proches de ce malheureux. Mes inspecteurs et moi-même allons donc vous interroger les uns après les autres pour recueillir vos dépositions. Cela prendra un peu de temps, ce dont je vous prie de m’excuser, mais c’est indispensable !
Aucune protestation ne se fit entendre. Rond de partout et sommé d’un chapeau melon qui lui donnait assez l’air d’une poire, le chef de la police versaillaise irradiait l’énergie et la mauvaise humeur par tous les pores de sa personne. Après s’être entretenu quelques minutes avec le ministre et l’ambassadeur américain qu’il ne retint pas longtemps et qui purent s’en aller, il déclara se réserver les membres du Comité et les pria de bien vouloir remonter avec lui vers Trianon dont les portes allaient être fermées afin qu’il puisse les entendre en toute tranquillité.
Tandis que l’on regagnait le petit château, Marie-Angéline rejoignit Aldo et se pendit à son bras avec un sourire béat fort peu de circonstance :
— Un meurtre ! Ici ! À Versailles ! fit-elle allègrement. Est-ce que ce n’est pas extraordinaire ?
— Une chance que vous n’ayez pas dit « merveilleux » ! Vous n’avez pas honte, Marie-Angéline ?
Elle fronça son long nez tout en maintenant sur sa toison frisée, qui la faisait ressembler à un mouton, le canotier de paille qu’une risée menaçait de déranger :
— Pas du tout ! Je pressens là une de ces aventures comme nous les aimons !
— Dites comme « vous » les aimez. Et je ne vois rien de romantique dans l’assassinat d’un homme déjà âgé qui venait peut-être ici en pèlerinage.
— Rien de romantique ? Et le masque noir que le commissaire a mis dans sa poche, qu’est-ce que vous en faites ? Je suis sûre qu’il y avait quelque chose d’écrit sur l’envers.
Le pire était qu’elle avait raison et que Morosini lui-même se posait des questions à ce sujet. Douée d’une imagination toujours prête à s’enflammer, « Plan-Crépin », comme l’appelait Mme de Som-mières, n’avait fait qu’exprimer à voix haute ce qu’il pensait. N’avait-il pas tout à l’heure tendu la main d’instinct vers l’accessoire de bal travesti apparu de façon si dramatique ? Pour ce qu’il en avait vu, la victime était un personnage terne, suffisamment bien vêtu pour ne pas détonner dans une assemblée aussi élégante mais sans distinction particulière. Un physique neutre, un visage quelconque, plutôt laid, et pas le moindre ruban à la boutonnière de sa jaquette… Qui pouvait-il être ?
Il comprit vite qu’il ne fallait pas compter sur le commissaire Lemercier pour soulever le plus petit coin du voile. Avec une froide politesse il posa des questions nettes et précises aux divers membres du Comité, ce qui représentait une sorte d’exploit, tout le monde voulant parler en même temps, mais sans obtenir un résultat appréciable. En fait, personne n’avait rien vu.
— Il y avait énormément de gens, expliqua Morosini quand son tour fut venu, et quand on s’est dirigés vers le buffet, on s’est bousculés quelque peu. L’assassin en aura profité et pendant un bref instant le corps a dû rester debout étayé par les autres.
— Comment se fait-il qu’il y ait une telle affluence ? Une manifestation, surtout ici, est en général réservée à une… élite.
Une grimace dédaigneuse accompagnait le mot. À l’évidence, le commissaire devait nourrir des idées de gauche… ou alors il était vexé de ne pas avoir été invité. Ce qui était une faute puisque l’on avait fait appel à ses services. C’était même anormal et il se pouvait qu’il y ait un rapport entre la foule et le fait que l’on n’ait pas convié le policier principal. Cependant, il fallait répondre :
— Trois cent quarante invitations ont été prévues, dit-il. Mais il semblerait que l’on en ait tiré davantage à l’imprimerie…
— Quelle imprimerie ?
Ce fut Gilles Vauxbrun qui fournit le renseignement : l’imprimeur devait être celui de Crawford.
— Je le verrai, dit Lemercier. Mais revenons à vous, ajouta-t-il en se tournant vers Aldo avec une mauvaise grâce évidente. Si j’ai bien compris, vous êtes l’un des exposants ?
— En effet ! Il y a là-haut une paire de girandoles en diamants qui font partie de ma collection personnelle.
— Et vous êtes aussi… vénitien ?
Encore un mot qui n’avait pas l’heur de plaire et Aldo dut se faire violence pour répondre paisiblement :
— C’est également vrai. Y verriez-vous un inconvénient ?
— Peut-être une analogie… Cela est très en vogue chez vous ? fit Lemercier en sortant le masque de sa poche.
— Pendant le carnaval mais pas le reste du temps. Nous sommes des gens normaux, monsieur le commissaire. Puis-je voir cet objet ?
— Certainement pas ! C’est une pièce à conviction. Ainsi… vous êtes collectionneur de joyaux ? Cela suppose une grande fortune…
Oh ! Il commençait à chauffer sérieusement les oreilles que Morosini avait chatouilleuses mais cette fois il n’eut pas le temps de répondre : Marie-Angéline, dont les ancêtres avaient « fait » les croisades, tenait en permanence un fougueux destrier au service de ceux qu’elle aimait. Elle l’enfourcha sans plus tarder :
— Mon cousin est l’expert en joyaux historiques le plus célèbre d’Europe…
— Et même d’un peu plus loin, renchérit Vauxbrun. Qu’il possède une collection privée n’a rien d’anormal. C’est le contraire qui serait surprenant…
Le policier s’étira les lèvres d’un seul côté pour obtenir un vague sourire qui n’avait rien d’aimable :
— Eh bien ! On dirait que vous êtes apprécié ici, monsieur ?… Rappelez-moi votre nom ?
— Morosini !
— C’est cela !… Si vous le permettez j’aimerais à présent voir ces joyaux. En particulier les vôtres. Des… comment avez-vous dit ?
— Girandoles ! lâcha Aldo à qui ce manque de mémoire immédiate paraissait suspect. Autrement dit : des pendants d’oreilles. Pas des candélabres.
C’était parti tout seul, générant un coup d’œil glacial qui avait la couleur et la consistance du granit.
— Merci de venir au secours de mon ignorance ! Allons-y, maintenant.
On se dirigea vers la vitrine principale auprès de laquelle veillaient toujours les faux laquais poudrés. Aldo tendait la main pour désigner son bien quand il la retira avec une exclamation :
— La « larme » !… Elle n’est plus là !
En effet, entre les boucles d’oreilles Morosini et les bracelets Kledermann, il y avait un vide, à l’exception de la petite pancarte portant le numéro du catalogue. Or, les verres protecteurs doublés d’un grillage étaient intacts : pas la plus infime fêlure… Lemercier réagissait :
— Quelle larme ?
— Le bijou qui était à cet endroit : un ornement d’oreille, dépareillé d’ailleurs, composé de deux très beaux diamants blanc bleu… vous êtes-vous absentés à un moment ou à un autre ? s’enquit-il en se tournant vers l’un des gardiens mais déjà le commissaire intervenait :
— S’il vous plaît ! C’est moi qui pose les questions et ceci est mon travail !… Alors ? Vous êtes-vous absentés ?
Les interpellés devinrent très rouges. L’un d’eux, visiblement gêné, expliqua qu’il s’était éloigné un court moment pour aller aux toilettes. Quant à l’autre, plus rouge encore, il admit être accouru aux fenêtres quand les cris avaient éclaté…