Les Larmes De Marie-Antoinette
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Ce n’était pas le cas de Marie-Angéline du Plan-Crépin. Pour avoir couru avec lui plusieurs aventures passionnantes, elle lui vouait une admiration sans bornes et une affection toute fraternelle dont Lisa avait sa part.
— Comment vous trouvez-vous ici, Aldo ? s’écria-t-elle revenue de sa surprise. Je vous croyais dans le salon de compagnie ?
— J’y étais mais j’en suis revenu par l’appartement de la Reine et l’escalier de service. Quant à l’ambassadeur en question, je vous jure qu’il est bien présent. Non seulement il ressemble à Gengis Khan mais il sent bon le cheval et l’encens, ce qui lui assure une certaine liberté de mouvement. Je suis allé le saluer avec courage en le remerciant de son intérêt pour la reine Marie-Antoinette. Alors m’effleurant de son œil oblique, il a lâché par le truchement de son secrétaire :
— Connais pas !
— Dans ce cas, pourquoi une si honorable visite ?
— Joyaux ! Magnifiques joyaux ! a-t-il fait entendre tandis que son œil encore plus oblique louchait sur les vitrines où sont les bijoux. Une reine a toujours beaucoup !…
Un bref mais profond silence suivit tandis que les deux femmes échangeaient un regard horrifié que Morosini traduisit sans peine :
— Rassurez-vous, elles sont solides puisque les verres sont doublés d’un treillage d’acier. Ce qui me tourmente le plus, c’est l’affluence : ces malheureuses qui « contrôlent » les invitations à l’entrée sont débordées. Un gros malin a dû réussir à copier les cartons…
— Avec le monogramme de Marie-Antoinette gravé en bleu et les lys de France en or ? se récria Mme de La Begassière. Ils ont dû lui coûter cher…
— Soyez certaine qu’il les a vendus plus cher encore ! On devait se les arracher. Songez que c’est la première fois que l’on ramène les souvenirs de la Reine dans son Trianon depuis qu’en 1867 l’impératrice Eugénie avait ordonné une manifestation semblable à l’occasion de l’Exposition universelle de Paris. Et c’était loin d’être aussi important !
Sans aucun doute ! L’impératrice avait en effet réussi à remettre en place quelques meubles dont un merveilleux petit bureau signé Riesener et rassemblé autour d’eux des souvenirs de la Reine. Cette fois, le prestigieux comité versaillais et international patronnait « Magie d’une reine » sous la présidence d’honneur de John D. Rockefeller – il avait, sept ans plus tôt sauvé les toits et diverses parties de Versailles – et une princesse de Bourbon-Parme avait réussi l’exploit de convaincre plusieurs collectionneurs de sortir de leurs coffres certaines parures personnelles de Marie-Antoinette. Aldo Morosini était de ceux-là et aussi son beau-père, le richissime banquier zurichois Moritz Kledermann. L’un comme l’autre avaient souhaité faire plaisir à la comtesse von Adlerstein, grand-mère de Lisa, qui appartenait au comité d’honneur et aussi, pour Morosini, à son ami Gilles Vauxbrun, l’antiquaire de la place Vendôme spécialiste du XVIIIe siècle et discret collectionneur de tout ce qui touchait au château de Versailles.
Vauxbrun s’était autant dire arraché le cœur en prêtant une table de trictrac à marqueterie précieuse, l’une des gloires de son hôtel particulier, mais il s’était révélé incapable de résister au sourire charmeur de la très belle Léonora, une pulpeuse Italienne mariée à lord Crawford, un Écossais déjà âgé, riche comme un puits et tout aussi secret, dont on savait seulement qu’il vouait au souvenir de la reine martyre un culte ancestral et qu’il possédait de nombreux objets lui ayant appartenu. Habitant Versailles une partie de l’année il était l’instigateur de « Magie d’une reine », et un membre des plus actifs du Comité où sa femme avait entraîné l’antiquaire.
Cette nouvelle passion de son ami amusait Aldo : chez Gilles, célibataire endurci au demeurant, les coups de foudre étaient toujours intenses, flambaient haut mais ne duraient guère : Léonora était la troisième en à peine deux ans, succédant à une merveilleuse Américaine, Pauline Belmont pour laquelle Aldo lui-même s’était senti un « faible », et à une danseuse tzigane du Schéhérazade. Ces toquades rapides s’expliquant peut-être par le fait qu’aucune de ces deux premières passions ne lui avait cédé bien qu’il fût entièrement disposé à les épouser alors que la belle Léonora s’était montrée beaucoup plus accessible. À certaines mines « confites » de son ami, à ses demi-confidences, Aldo était même persuadé qu’elle avait sauté le pas.
Toujours est-il que pour plaire à sa belle, Vauxbrun avait « tanné » son ami jusqu’à ce qu’il accepte de laisser exposer la paire de girandoles en diamants à peine rosés, l’une des pièces les plus émouvantes de sa collection, mais comme cela coïncidait avec la demande de la vieille comtesse relayée par Lisa, Aldo ne résista que pour juger de l’intensité des sentiments de Vauxbrun. À présent, les ravissants joyaux trônaient dans l’une des vitrines en compagnie de la paire de bracelets prêtés par Moritz Kledermann, d’un collier de perles et d’une seule boucle d’oreille : une sublime « larme » soutenue par un brillant d’un blanc bleu exceptionnel. Les trésors portaient comme les autres bijoux un simple numéro renvoyant au luxueux catalogue. Encore que sur celui-ci les propriétaires ne fussent-ils désignés que par leurs initiales : lady H.H. pour les perles, le prince A.M. pour lui-même, M.M.K. pour les bracelets, Mlle C.A. pour la « larme »… Et ainsi de suite… D’autres objets moins importants, comme des bagues, des agrafes, des ornements de cheveux étaient exposés autour des pièces maîtresses. Deux autres armoires vitrées complétaient l’ensemble. L’une pour les petits objets précieux : drageoirs, tabatières, peignes, flacons, éventails, presque tous enrichis de pierres et portant le chiffre de la Reine. L’autre consacrée, curieusement, à ce collier fabuleux qu’elle n’avait jamais possédé et dont cependant le nom restait attaché au sien… On y voyait une parfaite reproduction du joyau destiné à l’origine à la du Barry par Louis XV. Mais l’intérêt de la copie était renforcé par deux bijoux admirables : un diadème de lady Craven et un collier de la duchesse de Sutherland où figuraient les diamants qu’avaient arrachés les mains avides de la comtesse de La Motte. Le tout arrivé en France sous la surveillance attentive de Scotland Yard, relayée par la Sûreté.
À dire vrai, plusieurs personnes du Comité dont la présidente, les Malden, Morosini lui-même et Gilles Vauxbrun, étaient opposées à cet étalage, arguant que la sordide affaire qui avait éclaboussé le trône et surtout Marie-Antoinette ne pouvait guère participer à la « Magie » de la Reine mais lord Crawford s’était lancé dans un plaidoyer vibrant et passionné : toute magie possède ses ombres qui en intensifient les lumières. La Reine innocente et outragée sortait grandie de cette histoire qu’il était d’ailleurs impossible de contourner parce qu’elle était dans toutes les mémoires. L’Écossais avait su convaincre. Il l’avait emporté eu égard à sa propre participation, qui était importante. Aldo s’était gardé d’insister mais l’impression désagréable persistait. Même s’il éprouvait du plaisir à admirer les parures anglaises chaque fois que son regard se posait sur l’énorme collier, il en éprouvait une impression désagréable.
— J’ai beau savoir que c’est une copie, confia-t-il à Vauxbrun, je ne peux m’empêcher de penser que ce machin porte malheur !
— Tu sais que tu deviens fatigant avec ta manie de voir des maléfices sur tous les joyaux un peu historiques ? Lady Craven et la duchesse qui arborent les vrais diamants du « monstre » – car objectivement cela ressemble plus à un harnachement de cheval qu’à un honnête collier – ne s’en portent pas plus mal. Quant à Léonora, elle le trouve sublime et voudrait le même en « vrai » puisque la copie appartient à son époux !
— Les femmes sont folles ! soupira Aldo avec un haussement d’épaules. Outre qu’elle serait ridicule avec cette montagne de diamants sur les épaules, je ne suis pas certain que la fortune de Crawford pourrait assumer une telle dépense sans y laisser des plumes.