Catherine Il suffit dun Amour Tome 2
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— Où est-elle ? demanda Sara de but en blanc.
— Qui ? Pâquerette ? Elle est sortie il y a un moment. Elle n'a pas dit où elle allait. Je l'ai vue se diriger vers le bout du village.
Sara l'intriguait. Elle n'avait pas l'air à son aise. Catherine la trouvait nerveuse, agitée. Elle la vit se lever, s'habiller tout de travers, en pensant visiblement à autre chose, puis coller son nez aux carreaux en refusant du geste la tasse de lait que Catherine lui offrait.
— Enfin, qu'est-ce que tu as ? s'impatienta la jeune femme. Tu ne tiens pas en place. On dirait que tu as peur de quelque chose.
Sara ne répondit pas. Elle inspectait le ciel, dégagé à demi. Des nuages y couraient mais ils étaient moins sombres que ces jours derniers ; quelques-uns même portaient encore la trace rose de l'aurore. Il ne pleuvait plus, mais de grandes flaques d'eau émaillaient la campagne, reflétant les teintes incertaines du jour. Mue par une impulsion qu'elle eût été bien incapable d'expliquer, Sara s'enveloppa dans sa grande cape noire, saisit la claie sur laquelle on avait disposé, la veille, les pains prêts à cuire.
— Je vais au four banal, expliqua-t-elle à Catherine. Pâquerette aurait dû y aller ; je ne comprends pas qu'elle n'ait pas emporté les miches puisqu'elle se rendait au village !
Avant que Catherine ait pu lui demander une explication, Sara avait franchi la porte et s'éloignait à grands pas dans le chemin détrempé. Le four banal se trouvait au milieu du village, entre l'église croulante et la vieille croix de pierre aux marches verdies. De là, on pouvait voir le chemin qui passait sous la butte du château et rejoignait la route de l'ouest, creusée le long du lit de l'Ouche. Quelques femmes attendaient déjà leur tour, les corbillons sous le bras, emmitouflées sous leurs mantes et leurs coiffes, parlant peu à cause du vent encore aigre. Elles se tassaient contre le mur du four comme de noirs oiseaux frileux. Mais Sara ne les regardait pas. Ses yeux perçants lui avaient permis de voir, arrêtée à l'entrée du chemin qui montait au château, une robe bleue et une coiffe blanche qu'elle croyait bien reconnaître. Que faisait Pâquerette, assise sur la vieille borne romaine ? Elle avait l'air d'attendre.
Mais quoi ?
Brusquement, Sara poussa une exclamation étouffée. Une troupe de cavaliers venait d'apparaître à l'épaulement du chemin. Ils étaient une vingtaine, portant des justaucorps de cuir couverts de plaques de métal qui luisaient faiblement sous la lumière pauvre. En tête chevauchait une silhouette noire qui fit battre le cœur de la bohémienne sur un rythme accéléré. Cet homme, tout de noir vêtu, si grand, si maigre !... Sara hésitait encore mais, quand elle vit que le cavalier s'arrêtait pour parler à Pâquerette, que celle-ci faisait un geste en direction de sa maison, qu'elle paraissait donner des explications, Sara n'hésita plus. L'homme noir, c'était Garin...
Garin que la maudite sorcière avait dû faire prévenir ! Le sang de Sara ne fit qu'un tour. Malgré la bonne envie qu'elle avait de foncer sur Pâquerette pour lui administrer la raclée méritée par si noire trahison, la bohémienne ne perdit pas une seconde, s'en remettant à Landry de punir plus tard la mauvaise hôtesse. Posant la claie et les pains sur la margelle du puits voisin, elle fit demi-tour et prit sa course vers la mai son, laissant voler derrière elle les grandes ailes noires de sa cape.
Chez Pâquerette, Catherine s'apprêtait à écumer la soupe quand elle vit Sara entrer en trombe et nota sa pâleur.
— Que se passe-t-il donc encore ?
Sans répondre, Sara bondit sur une mante accrochée à un clou, en enveloppa Catherine et l'entraîna au-dehors par la petite porte qui donnait directement sur l'étable.
— Il faut fuir ! fit-elle haletante. Garin !... Il arrive ! Pâquerette a dû le prévenir ! Elle le ramène ici...
Tout de suite l'affolement saisit Catherine, lui coupant les jambes.
— Fuir, mais où ? s'écria-t-elle les larmes aux yeux, épouvantée à la pensée de ce qui l'attendait si Garin remettait la main sur elle. En un kaléidoscope effrayant repassèrent devant ses yeux la chambre du donjon, la litière de paille, la chaîne, le carcan, les cadavres des deux brutes qui la gardaient.
— Ce n'est pas le moment de faiblir ! gronda Sara. Il faut fuir, tu m'entends, il y a la forêt... Courons !...
Saisissant fermement par la main la jeune femme défaillante, elle l'entraîna sans même oser regarder derrière elle. La peur rendit brusquement à Catherine toute sa vaillance. En quelques secondes, elles eurent atteint la lisière du bois, s'y enfoncèrent. Instinctivement, Sara reprenait le sentier qu'elle avait suivi l'autre nuit, sur les talons de Pâquerette. Elle espérait retrouver la caverne secrète où, elle en avait la ferme conviction, Pâquerette n'oserait pas entraîner Garin et ses hommes d'armes par crainte du bûcher que lui vaudrait immanquablement la découverte de la statue à tête de bouc.
Il fallait, à tout prix, atteindre cet asile. Cela permettrait, du moins, de parer au plus pressé. Se retournant, tandis que Sara l'entraînait, Catherine vit que le danger était encore plus grand qu'elle ne le croyait. A travers les rayures sombres des arbres, elle distinguait des silhouettes d'hommes qui mettaient pied à terre devant la maisonnette de Pâquerette. Elle entendait les hennissements des chevaux...
— Plus vite ! souffla Sara. Plus vite !...
C'était malaisé. Le chemin montait et les pluies récentes l'avaient rendu extrêmement glissant. Et puis la vue de ces soldats glaçait Catherine de terreur. Un ressaut de rochers derrière lequel tournait le sentier à peine tracé lui déroba cette perspective inquiétante. Elle redoubla d'efforts. Le danger était encore si proche que l'on pouvait entendre les voix fortes des hommes d'armes. Un cri de Pâquerette les domina :
— Dans le bois... elles ont dû s'y cacher !
Une autre voix vint et c'était celle de Garin :
— Allez-y !... Séparez-vous en plusieurs groupes !
— Le jour où je rattraperai cette Pâquerette, grogna Sara, elle s'en souviendra ! Quittons le sentier. Je crois que j'ai trouvé...
En effet, elle apercevait en haut de la montée un amoncellement de roches grises qui, selon elle, devaient receler la caverne souterraine. Rester sur le sentier était dangereux. Elle obligea Catherine à passer à travers les arbres sur le tapis de feuilles pourries qui ne garderait pas de traces. Mais cet itinéraire les obligeait à escalader quelques rochers et Catherine n'en pouvait déjà plus. Elle glissa sur une roche humide couverte de mousse, se heurta douloureusement le genou et serra les dents pour ne pas crier. Sara était déjà à côté d'elle et l'empoignait sous les aisselles pour l'aider à se relever.
Ecoute ! fit la bohémienne pour galvaniser son courage. Ils sont déjà sous le couvert. Le salut est là-haut, mais il faut l'atteindre !
La farouche volonté de Sara jointe à la terreur qu'éprouvait Catherine en entendant les pas des soldats écraser les feuilles du sous-bois l'obligèrent à fournir un ultime effort. Un dernier obstacle se dressait devant elles, un rocher au-dessus duquel apparaissait la faille salvatrice. Elle s'arc-bouta sur la pierre mouillée, s'accrocha des deux mains à un roncier qui lui déchira les doigts et se retrouva en haut. Il était temps : entre les branches à peine bourgeonnantes, on pouvait voir luire les casques des soldats. Sara jeta Catherine plutôt qu'elle ne la fit entrer dans le couloir rocheux, mais en prenant bien soin d'effacer la trace de leurs pas dans la boue de l'entrée avec une branche d'arbre. Il faisait moins noir que la bohémienne ne l'avait craint dans le boyau de terre et de pierre. De petites anfractuosités laissaient filtrer la lumière du jour et les deux femmes purent s'enfoncer profondément. Elles parvinrent sans encombre à la grande caverne où un peu de jour tombait d'un trou garni de ronces, foré dans la voûte. Il y régnait une obscurité relative à laquelle les yeux s'habituaient aisément. Et, quand Catherine découvrit la statue à tête de bouc, Sara eut tout juste le temps de lui appliquer la main sur la bouche pour l'empêcher de crier.