Belle Catherine
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En rentrant dans sa chambre, Catherine trouva Sara aux prises avec un page inconnu dont les vêtements humides proclamaient qu'il venait d'arriver. À la vue de Catherine, il se tourna vers elle, esquissant un salut un peu trop raide pour être respectueux.
— Je suis Poitou, page de monseigneur Gilles. Il m'envoie vous dire, Dame, qu'il désire vous voir dans l'instant.
Catherine fronça les sourcils. Le garçon, qui pouvait avoir quatorze ans, était d'une grande beauté : brun, les traits fins, un corps vigoureux et délié tout à la fois, mais, apparemment, il le savait trop et son attitude insolente déplut à la jeune femme. Elle passa devant lui, tendit sa cape mouillée à Sara et, sans le regarder remarqua dédaigneusement :
— J'ignore où tu as été éduqué, mon garçon, mais étant donné le rang du maréchal de Rais, je supposais que ses gens auraient d'autres manières. Aussi bien à la cour du roi Charles qu'à celle du duc Philippe de Bourgogne, les pages étaient gens courtois.
Les joues mates du garçon s'empourprèrent. Un éclair de colère brilla dans ses yeux noirs. Il n'était pas habitué, sans doute, à être traité avec ce dédain. Mais Catherine, maintenant, braquait son regard violet sur lui et il baissa la tête. Elle put voir qu'il serrait les poings, mais, lentement, il plia le genou.
— Monseigneur Gilles, reprit-il d'une voix assourdie, m'envoie prier dame Catherine de Brazey de vouloir bien se rendre auprès de lui avant le festin qui doit avoir lieu dans la grande salle.
Un instant, Catherine considéra le garçon à ses pieds. Elle eut un bref sourire puis déclara sèchement :
— Voilà qui est mieux ! Je te remercie de ta docilité. Quant à me rendre auprès de ton maître, il ne saurait en être question. Pas plus que d'assister au festin. Va dire à Gilles de Rais que la dame de Brazey attend ici les explications qu'il lui doit.
Cette fois, Poitou releva la tête et la considéra avec une stupéfaction non dissimulée.
— Que j'aille... commença-t-il.
— Oui, coupa Catherine, et dans l'instant ! J'attends ton maître ici. Il est temps, je pense, que lui aussi apprenne à me connaître.
Le page se releva, maté, et sortit sans rien ajouter. En se détournant, le regard de Catherine croisa celui de Sara.
— Tu t'es fait un ennemi, remarqua la gitane. Ce garçon est pétri d'orgueil. Il doit être le favori du maître.
— Que m'importe? Je n'ai plus l'intention de ménager qui que ce soit ici. Gilles de Rais a manqué à sa parole. Arnaud n'est pas avec lui.
— Alors, tu as raison. Il te doit des explications... Mais, crois-tu qu'il viendra ?
— Oui, fit Catherine, je le crois.
Un quart d'heure plus tard, en effet, Sara ouvrait la porte à Gilles de Rais.
En si peu de temps, il avait pris celui de se changer. Il portait maintenant une longue houppelande de velours bleu sombre dont le bas et les larges manches déchiquetées traînaient à terre. Les signes du zodiaque, brodés en or, en argent et en soie rouge, décoraient cette robe et donnaient au sombre seigneur l'air d'un nécromant. Un énorme rubis jetait des feux sanglants à l'index de sa main gauche. Il était tout à la fois splendide et majestueux, mais Catherine était bien décidée à ne pas se laisser impressionner. Assise très droite dans l'unique chaise à haut dossier de sa chambre ce qui ne laissait au visiteur qu'un tabouret comme siège possible - elle s'était vêtue de velours noir, avec une austérité voulue. Un voile de mousseline noire, posé sur ses cheveux tressés en couronne, accentuait le côté endeuillé de sa toilette sans parvenir à éteindre l'éclat lumineux de ses tresses dorées. Sara, les mains croisées sur son ventre et les yeux baissés, se tenait debout auprès d'elle, légèrement en retrait, dans l'attitude discrète d'une suivante de bonne maison.
Un peu surpris, peut-être, par l'attitude hautaine de la jeune femme, Gilles de Rais salua, profondément, tandis qu'un sourire faisait luire l'éclat de ses dents blanches dans sa barbe bleue.
— Vous m'avez demandé, belle Catherine ? Me voici à vos ordres.
Dédaignant à la fois le salut et les paroles aimables, elle attaqua aussitôt.
— Où est Arnaud de Montsalvy ?
— Que voilà une étrange bienvenue ! Quoi, ma chère, pas un sourire ? Pas un mot aimable ? Pourquoi ces yeux durs, cette bouche serrée pour accueillir le plus dévoué de vos serviteurs ?
— Répondez d'abord à ma question, Seigneur, la bienvenue viendra ensuite ! D'où vient que je ne voie pas auprès de vous celui que vous deviez délivrer et me ramener comme vous m'en aviez fait la promesse ?
— J'ai délivré Arnaud de Montsalvy. Il n'est plus aux mains de Richard Venables.
Un brusque soulagement envahit Catherine. Dieu soit loué, il n'était plus au pouvoir de l'Anglais ! Mais l'inquiétude suivit immédiatement.
— Où est-il alors ?
— En lieu sûr... Puis-je m'asseoir ? Cette longue chevauchée sous la pluie m'a rompu.
Tout en parlant, il tirait l'un des tabourets auprès du fauteuil de Catherine et s'y installait en prenant grand soin des plis lourds de sa robe. Il semblait parfaitement à son aise et le sourire s'attardait sur son visage comme un masque. Les yeux noirs, profondément enfoncés sous leur orbite, demeuraient cependant froids et scrutateurs.
— Qu'appelez-vous en lieu sûr ? Auprès du Roi notre sire ?
Gilles de Rais secoua la tête et son sourire s'accentua avec, en outre, une nuance d'ironie qui n'échappa pas à la jeune femme.
— J'appelle lieu sûr le château de Sully-sur-Loire où j'ai eu le privilège de le conduire et où il se trouve à cette heure.
Malgré son empire sur elle-même, Catherine ne parvint pas à masquer sa surprise.
— Chez La Trémoille ? Mais pourquoi ? Qu'y fait- il ?
Gilles de Rais étendit ses longues jambes et offrit vers le feu ses mains, des mains très blanches et dont, malgré elle, Catherine remarqua la finesse presque féminine. Il devait en prendre un soin extrême...
Avec un soupir, il déclara, sans regarder son interlocutrice, mais très doucement :
— Ce qu'il y fait ? Je ne saurais vous le dire... Ce que font d'ordinaire, j'imagine, les prisonniers d'État !
Le mot atteignit la jeune femme comme une balle. Elle bondit sur ses pieds, serrant de ses mains crispées les accoudoirs de son siège. Elle était devenue rouge jusqu'à la racine de ses cheveux et, sous l'effet de la colère, ses yeux lançaient des éclairs. Une envie la prenait de tuer cet homme nonchalant qui, elle s'en rendait compte maintenant, jouait avec elle depuis dix minutes, comme un chat avec une souris.
Prisonnier d'État ? Le plus fidèle des capitaines du Roi ? Quel est ce conte et quelle espèce de sotte croyez-vous que je sois ? Assez de faux-fuyants, Messire, et parlons clair, je vous prie, car, en vérité, je crois bien que vous vous moquez de moi. J'avais votre parole et j'y croyais, malgré la violence qui m'a été faite en cette maison. Ce n'est pas à Sully que vous deviez conduire Arnaud, vous le savez bien ! C'est ici !
Avec un nouveau soupir qui trahissait un profond ennui, Gilles se leva, lui aussi, ce qui lui permit de dominer la jeune femme de toute la tête.
— Les temps ont changé depuis Louviers, ma chère. Et il semble que vous ignoriez tout de la politique actuelle...
Comme je l'ignorais moi-même à Louviers. Le temps des songes creux, des illusions et des fariboles est terminé, celui des gens sensés est venu ! Mon cousin La Trémoille est désormais le seul habilité à porter la parole du Roi. Et il a décidé... d'écarter de sa route tous ceux qui auraient par trop tendance à gêner sa politique et à revenir aux vues fumeuses de cette malheureuse fille, brûlée par ordre de la Sainte Église. Il est temps que le pouvoir revienne à ceux qui, par droit de naissance, doivent l'exercer, et non pas à quelque bergère en folie !
Hors d'elle, Catherine cria :
— Ce qui veut dire que votre cousin La Trémoille fait place nette afin de s'engraisser tout à son aise, que notre lamentable Roi est retombé plus que jamais sous sa coupe et que ce gras ruffian s'attaque maintenant à tous les fidèles de Jehanne... cette malheureuse fille que vous serviez à genoux, il n'y a pas un an, monsieur le maréchal !