Figurante
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Employ?e dans un h?tel de province, une jeune fille a le sentiment de ne pas exister. Face ? un p?re qui ne lui parle de rien et des patrons qui la d?go?tent, Louise se r?fugie dans ce qu'elle sait faire : servir les petits d?jeuners, d?barrasser les tables, r?curer les chambres. Pour se sentir un peu vivante, il y a les caresses de Marc et puis, pendant ses pauses, la fum?e des cigarettes qui la remplit. Elle n'est pas de ceux qui s'?puisent ? r?ver leur vie, ou plut?t elle a des r?ves modestes, des espoirs de chambres d'h?te, avoir un h?tel ? soi pr?s de la colline aux mimosas. Mais un jour, une ?quipe de tournage s'installe ? l'h?tel. Il se passe enfin quelque chose. Sans savoir pourquoi, Louise va plonger dans un r?ve de gloire qui n'?tait pas le sien et sa vie va s'en trouver boulevers?e.
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ISBN : 978-2-7324-7426-7
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TABLE DES MATIÈRES
Copyright
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
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Elle lui sourit, elle ne sait pas pourquoi, pas encore. Il doit avoir soixante-dix ans, elle en a à peine vingt. À cette heure-ci, le café dans les thermos est souvent tiède. Il a demandé d’autres croissants. Il est tard et il vient de descendre. Pour un autre elle aurait refusé mais là, elle lui sourit. Elle lui sourit et part en cuisine en réchauffer quatre qu’elle va sortir du congélateur. Si les patrons apprennent ça, c’est sûr, ils vont lui crier dessus, comme à chaque fois qu’elle remplit trop les tasses de chocolat ou les verres de vin. À ce rythme, tu vas nous couler l’hôtel. Derrière le comptoir, dans l’arrière-salle que des meubles anciens et des tapisseries jaunies décorent, ça ne rate pas, elle s’entend dire qu’à ce rythme, elle va couler l’hôtel. Pour ça, elle le pense, elle le murmure, vous n’avez pas besoin de moi, l’endroit est laid, mal entretenu, ça sent mauvais. La patronne s’approche et lui envoie au visage son haleine de moquette humide. Grasse, coiffée d’un chignon gris, ses bras épais semblent mal fixés sur le haut de son torse. Elle lui dit d’aller plutôt changer les draps du premier et de ne plus traîner en bas près des clients. Si tu reviens en salle, rajoute son mari en se grattant les aisselles, un type gras lui aussi, à l’œil qui en dit trop, vautré sur son tabouret, tu risques de ne plus rien refuser à tous les retardataires du petit déjeuner.
Elle monte au premier, prend son chariot dans le cagibi et dispose les serviettes et les taies d’oreiller propres à côté des petits savons. Avec ses gants en plastique, elle récure les salles de bains. Elle refait le lit avec la télévision allumée. Elle s’agenouille, se relève, se baisse et s’agenouille encore. Elle passe l’aspirateur puis referme la porte sur chacune des chambres qu’elle connaît par cœur, qu’elle sait sans âme et sans promesses. Sans sa bonne situation, près des marais, l’hôtel ne verrait pas traîner un chat. De l’extérieur aussi, c’est sale, c’est vieillot, mais comme ce n’est pas cher, les gens y viennent pour visiter la région, pour s’arrêter une nuit ou deux, à peu de frais. Elle se dit que, dans son propre hôtel, elle aurait toujours un mot gentil pour le visiteur solitaire, le représentant de commerce, le jeune couple et son enfant à qui elle offrirait un porte-clés. Elle se dit qu’il est facile d’accueillir quelqu’un d’un sourire, d’être bienveillante, de penser aux clients de l’hôtel et aux personnes qui y travaillent car elle sait combien c’est difficile d’inspecter derrière les lavabos, de décrasser les baignoires, de vider les sacs plastique remplis de cheveux et de papiers humides. Quand elle nettoie, quand elle frotte les salissures jaunes autour des robinets, qu’elle ramasse les miettes au pied des lits, les poils sur les rebords des plinthes, elle pense à Marc. Elle pense à ce qu’il lui a dit hier avant de partir à son travail, avant de monter sur son scooter et d’enfiler son casque qui lui écrase les joues. Aller voir un film ensemble pour qu’elle oublie la crasse, la sueur des chambres, l’odeur moite des couloirs et des réduits remplis de linges. Elle a fait la 101, la 102, la 103, il ne reste plus que la 104. Elle cherche son passe sur le chariot. Elle pense qu’elle devrait toujours l’accrocher à sa blouse, ça lui ferait gagner du temps, du temps pour fumer une cigarette, du temps pour elle.
Merci mademoiselle. Il l’a fait sursauter, elle voit bien qu’il ne comprend pas son étonnement, sa frayeur même, elle ne l’a pas vu arriver à l’angle du couloir, entre la porte de secours et le local d’entretien. C’est pour les croissants. Il lui parle des croissants et elle sait qu’il a compris qu’elle s’est fait crier dessus par ses patrons. Vraiment, ce n’est rien, ça m’a fait plaisir, dit-elle avec une douceur gênée. Elle aurait aimé voir le vieil homme manger ses croissants chauds, boire son café et son jus d’orange. Elle aurait aimé s’asseoir en face de lui pour l’observer et se demander si son père fait de même chaque matin, vêtu de sa robe de chambre, dans sa maison vide. Cet homme ressemble à son père. Leurs traits se confondent. Ses traits à elle se figent un instant. Le vieil homme sort sa clé et pose la main sur le bras de la jeune fille. Il a la peau douce et tachée comme un papier chinois imbibé d’encre brune. Ne vous dérangez pas, je referai le lit moi-même. Il la salue en inclinant le buste et referme la porte de sa chambre.
Alors, pour la première fois de sa vie, il y a quelque chose de neuf, qu’elle ressent à peine, quelque chose qu’elle perçoit dans une brume. Des phares peut-être, au loin, qui se plaqueraient sans avertissement sur le pare-brise pour s’imprimer définitivement sous la rétine une fois tout proches et qui ne s’en détacheraient plus jamais. Et sitôt qu’elle s’est dit cela, elle oublie comment elle pouvait vivre sans cette illumination qui enflamme ce minuscule bouillonnement, cette explosion de poche à l’envergure d’un cataclysme. Elle se dit que les fréquences qui s’en échappent sont à la fois si faibles à ses oreilles et si puissantes dans son esprit qu’il faudrait un plan immense, impensable, pour le concevoir, pour le matérialiser en schémas clairs. Et elle s’étonne de ne pas avoir eu, plus tôt dans sa vie, la faculté de percevoir la brutalité du monde et d’imaginer l’absence de ceux qui l’entourent, de celles et ceux qui vivent à ses côtés. Elle ressent ça parce que, face à cet homme, dont le costume bâille un peu, dont la peau fripée s’étire doucement aux extrémités des lèvres et des sourcils, elle se dit qu’il pourrait être son père et qu’elle pourrait le perdre, pour la première fois. Le feu est apparu, en un instant, sans la prévenir, partout, sur les meubles, les draps, les petits savons, les tasses à café, les bouteilles et les serviettes en papier, dans l’ambiance froide du hall d’entrée, sur le papier peint usé et sur la banquette qui accueille les rares visiteurs près de la porte en verre. Tout a la saveur et la substance de ce vieil homme. Quand elle appelait son père, jusqu’à présent, les choses ne revêtaient rien de spécial, peu d’aspérités, aucune agglomération de peurs, de vide ou de manque. Désormais, tout semble être l’écho lointain et singulier de son être, de sa gestuelle. Et des fragments de son élocution jailliront partout où elle ira, elle le sent, elle le sait, dans la rue, au bord du canal, dans une boutique ou au contact des commerçants sur les marchés qu’elle fréquente le samedi matin.