Le Joyau des sept etoiles
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Il s'arrêta brusquement et se tourna vers la porte. Il y eut le léger bruit du bouton qu'on tournait. J'eus l'impression que mon cœur cessait de battre. J'étais envahi par une appréhension vague et sinistre. L'interruption survenue pendant ma conversation du matin avec le détective, me revint aussitôt en mémoire.
La porte s'ouvrit, et Miss Trelawny entra dans la pièce.
Quand elle nous vit, elle recula brusquement; une rougeur marquée envahit son visage. Elle resta sans bouger pendant quelques secondes; dans un pareil moment, quelques secondes successives semblent augmenter de durée suivant les termes d'une progression géométrique. La contrainte qui pesait sur moi, et, comme je pouvais aisément le voir, sur le docteur, s'apaisa lorsqu'elle se mit à parler:
– Oh! pardonnez-moi… Je ne savais pas que vous étiez occupés. Je vous cherchais, docteur Winchester, pour vous demander si je pouvais me coucher cette nuit en toute sécurité, puisque vous serez là. Je me sens si fatiguée, si épuisée que je crains de craquer; et cette nuit, je ne servirais certainement à rien.
Le Dr Winchester lui répondit avec chaleur:
– Faites cela! De toute façon, allez vous coucher, et prenez une bonne nuit de sommeil. Dieu sait! Vous en avez besoin. Je suis on ne peut plus heureux que vous ayez fait cette suggestion, en vous voyant ce soir j'ai craint d'avoir bientôt sur les bras une malade de plus.
Elle poussa un soupir de soulagement et l'expression de fatigue parut disparaître de son visage. Je n'oublierai jamais le regard grave et profond de ses grands yeux noirs quand elle me dit:
– Vous garderez mon père ce soir, voulez-vous, avec le docteur Winchester? Je suis tellement inquiète à son sujet que chaque seconde qui passe m'apporte de nouvelles frayeurs. Mais je suis réellement épuisée; et si je n'ai pas un bon sommeil, je crois que je vais devenir folle. Je vais changer de chambre cette nuit. Je crains, en restant si près de la chambre de mon père, de m'exagérer le moindre bruit et d'en faire un nouveau sujet de terreur. Mais, naturellement, il faudra que vous me réveilliez s'il y a à cela le moindre motif. Je serai dans la chambre à coucher du petit appartement qui se trouve près du boudoir, de l'autre côté du vestibule. J'occupais ces pièces la première fois que je suis venue habiter avec mon père, et je n'avais pas de soucis, alors… Il me sera plus facile de me reposer là; et je pourrai peut-être oublier pendant quelques heures. Je serai très bien demain matin. Bonne nuit!
Lorsque j'eus fermé la porte derrière elle et que je fus revenu près de la petite table où nous étions installés, le docteur Winchester déclara:
– Cette pauvre fille est excédée de fatigue. Je suis ravi qu'elle aille prendre du repos. Cela va lui rendre la vie, et demain matin, elle ira tout à fait bien. Son système nerveux est sur le bord de la dépression. Avez-vous remarqué à quel point elle était bouleversée, et comme elle est devenue rouge quand elle est entrée et qu'elle nous a trouvés en train de parler? Une chose aussi ordinaire, dans sa propre maison, entre ses propres invités, ne devrait pas la bouleverser ainsi si les conditions étaient normales?
J'étais sur le point de lui dire, en donnant cette explication pour sa défense, que cette entrée était la répétition de ce qui s'était passé quand elle nous avait trouvés, seuls, le détective et moi, plus tôt dans la journée, quand je me rappelai que cette conversation était tellement confidentielle que même une allusion de ce genre aurait pu être embarrassante par la curiosité qu'elle aurait suscitée. Si bien que je gardai le silence.
Nous nous sommes levés pour nous rendre dans la chambre du malade. Mais, tandis que nous suivions le couloir faiblement éclairé, je ne pouvais m'empêcher de penser, de penser, de penser encore et encore – oui et cela pendant plus d'un jour par la suite – combien il était étrange qu'elle m'ait interrompu en deux occasions au moment même où j'abordais un tel thème de conversation.
Il y avait là certainement un mystérieux entremêlement d'accidents dans l'engrenage desquels nous étions tous engagés.
Chapitre VII PERTE SUBIE PAR LE VOYAGEUR
Cette nuit-là, tout se passa bien. Sachant que Miss Trelawny n'était pas de garde, nous avons redoublé de vigilance, le Dr Winchester et moi-même. Avec l'arrivée de l'aube, toute la maison sembla se reposer. Le Dr Winchester rentra chez lui lorsque sœur Doris vint relever Mrs. Grant. Il était, je crois, un peu désappointé et chagriné de constater que rien d'exceptionnel ne s'était passé pendant sa longue nuit de veille.
À huit heures, Miss Trelawny vint nous rejoindre; je fus étonné et en même temps ravi de voir tout le bien que cette nuit de sommeil avait pu lui faire. Elle était vraiment rayonnante; exactement comme je l'avais vue à notre première entrevue et au cours du pique-nique. Il y avait même comme une légère coloration sur ses joues, qui continuaient, à paraître étonnamment blanches, par contraste avec ses sourcils noirs et ses lèvres écarlates. Avec le retour de ses forces, semblait se développer une tendresse pour son père malade encore plus marquée que celle dont elle avait fait montre jusque-là. Je ne pouvais qu'être ému par ses gestes caressants quand elle arrangeait ses oreillers ou écartait les cheveux de son front.
J'étais moi-même fatigué par ma longue veille; et maintenant qu'elle avait pris ma suite, j'allai me mettre au lit. Mes yeux fatigués clignotaient à la pleine lumière et j'éprouvai immédiatement la lassitude consécutive à une nuit sans sommeil.
Je fis un bon somme et après le déjeuner je m'apprêtais à me rendre à pied à Jermyn Street, quand je remarquai à la porte d'entrée un importun. Le domestique de service était celui qu'on appelait Morris, antérieurement «homme toutes mains», mais depuis le départ des serviteurs, promu maître d'hôtel à titre temporaire. L'étranger parlait à voix assez haute, si bien qu'il n'y avait pas de difficulté à comprendre ses griefs. Le domestique était respectueux dans ses paroles et son attitude; mais il se tenait carrément devant la grande porte à deux battants de manière à empêcher l'autre d'entrer. Les premiers mots que j'entendis prononcer par le visiteur expliquaient suffisamment la situation.
– Tout cela est bel et bon, mais je vous dis que je dois voir Mr. Trelawny! À quoi cela sert-il de me dire que je ne peux pas quand je vous affirme, moi, que je dois le voir. Vous me renvoyez sans cesse, sans cesse. Je suis arrivé à neuf heures; vous m'avez dit alors qu'il n'était pas levé, qu'il n'était pas bien, et qu'on ne devait pas le déranger. Je suis revenu à midi; vous m'avez dit encore une fois qu'il n'était pas levé. J'ai demandé à voir quelqu'un de la maison; vous m'avez dit que Miss Trelawny n'était pas levée. Je reviens à présent à trois heures, et vous me dites que Mr. Trelawny est encore au lit, et qu'il n'est pas réveillé. Où est Miss Trelawny? «Elle est occupée et elle ne doit pas être dérangée!» Eh bien, elle doit être dérangée. Ou quelqu'un d'autre doit l'être. Je suis venu voir Mr. Trelawny pour une affaire spéciale; et je suis venu d'un endroit où les domestiques commencent toujours par dire «non». «Non» je ne m'en contenterai pas cette fois. J'ai connu cela pendant trois ans, attendre devant les portes et devant les tentes alors qu'il était plus long d'y entrer que de pénétrer dans les tombeaux; et à vous entendre, on dirait qu'à l'intérieur de cette maison tous les habitants sont transformés en momies. J'en ai eu assez comme ça, je vous le dis. Et quand je rentre chez moi et qu'on me défend la porte de l'homme pour qui j'ai travaillé, juste de la même façon et avec les mêmes réponses usées, cela me met en boule. Est-ce que Mr. Trelawny a laissé des ordres d'après lesquels il ne voulait pas me voir quand je viendrais?