Le Fauteuil Hante
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L'Acad?mie fran?aise est le th??tre de drames r?p?t?s. Un ? un les candidats ? la succession de Mgr d'Abbeville s'?croulent, morts, en pronon?ant leur discours de r?ception. Les Immortels ne le sont plus! Ils restent trente-neuf. Un refoul? de l'Acad?mie aurait-il le pouvoir de jeter un mauvais sort? Monsieur le Secr?taire perp?tuel, Hippolyte Patard, et Monsieur Gaspard Lalouette, marchand d'antiquit?s, m?nent leur enqu?te en tremblant de peur… et en nous faisant bien rire. Le quaranti?me fauteuil sera quand m?me occup?…
Dans Le Fauteuil hant?, Gaston Leroux, le p?re de Rouletabille, se moque de l'illustre Acad?mie et, apr?s bien des aventures, nous r?v?le un myst?re incroyable!
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– Point personnellement, répondit sur un ton tout à coup si grave M. Eliphas de La Nox que ses deux interlocuteurs en furent comme gênés… Non, je ne le connaissais pas personnellement, mais j'ai eu l'occasion de m'occuper de lui à la suite d'une enquête que j'ai cru devoir faire pour ma satisfaction personnelle, relativement à certains faits qui ont occupé l'opinion publique dans un temps où l'on mourait beaucoup à l'Académie, monsieur le secrétaire perpétuel…
En entendant cela, M. le secrétaire perpétuel souhaita que le pont des Arts s'entrouvrît pour mettre fin à une conversation qui lui rappelait les heures les plus néfastes de son honnête et triste vie. Il balbutia hâtivement:
– Oui, je me rappelle également vous avoir vu au cimetière… Le grand Loustalot avait bien du chagrin de la mort de son fils…
M. Lalouette ajouta aussitôt:
– Son chagrin n'a point diminué. Nous ne l'avons plus revu à l'Académie depuis ce deuil cruel et il nous laisse, seuls, travailler au Dictionnaire… Ah! le pauvre homme a été bien frappé!…
– Si frappé… si frappé, répliqua soudain l'«Homme de lumière», en penchant sa noble et mystérieuse figure sur les deux académiciens frémissants… si frappé que, depuis la mort de Dédé, il n'a plus rien inventé du tout!
Sur quoi, ayant prononcé la terrible phrase, M. Eliphas de Saint-Elme de Taillebourg de La Nox, tournant le dos à l'Institut, disparut au bout du pont des Arts…
…Cependant que, appuyés maintenant l'un sur l'autre, comme pour se soutenir mutuellement, M. Hippolyte Patard et M. Gaspard Lalouette dirigeaient héroïquement leurs pas chancelants vers le seuil de l'Immortalité.
Tant qu'ils furent dehors, ils ne prononcèrent point un mot, mais aussitôt qu'ils furent enfermés dans le cabinet de M. le secrétaire perpétuel, M. Gaspard Lalouette retrouva soudain ses forces pour déclarer que sa conscience, définitivement éclaircie par les paroles tragiques de M. Eliphas de La Nox, ne lui permettait point de conserver plus longtemps un silence coupable. C'est en vain que M. Patard, des larmes dans la voix, essayait de le faire taire et plaidait encore le doute dont il voulait faire bénéficier l'abominable Loustalot, pour l'honneur de l'Académie; M. Lalouette ne voulait plus rien entendre.
– Non! Non! s'écria-t-il, c'est Martin Latouche qui avait raison! C'est lui qui a entrevu la vérité: il n'y a pas eu de plus grand crime sur la terre!
– Si! répliqua M. le secrétaire perpétuel, éclatant à son tour si! Il y en a eu un plus grand!
– Et lequel, monsieur?
– Celui de faire entrer à l'Académie quelqu'un qui ne sait pas lire! Ce crime, c'est moi qui l'ai commis!
Et il ajouta, tremblant d'une fureur sainte:
– Dénonce-moi donc si tu l'oses!
C'était la première fois que, depuis l'âge de neuf ans, où il avait eu le malheur de perdre sa mère, M. Hippolyte Patard usait, dans le discours, du «tutoiement».
Cette familiarité menaçante, au lieu de calmer la discussion, ne fit que l'exaspérer davantage et les deux Immortels étaient dressés l'un contre l'autre, comme deux coqs de bataille, quand un coup, frappé à la porte, les rappela au sentiment des convenances. M. Lalouette se laissa tomber dans un fauteuil, au coin du feu, et M. Patard alla ouvrir. C'était le concierge qui apportait un pli assez volumineux qu'on lui avait fort recommandé et qu'il devait remettre entre les mains mêmes de M. le secrétaire perpétuel. Le concierge s'en alla et M. Patard prit connaissance du message. D'abord il lut, sur l'enveloppe, ces mots: «A M. le secrétaire perpétuel, pour être ouvert en séance privée de l'Académie française.»
M. Patard reconnut l'écriture et tressaillit.
– Qu'y a-t-il? demanda Lalouette.
Mais, très agité, M. le secrétaire perpétuel ne répondit pas.
Le message dans les mains, il errait dans la pièce comme s'il ne savait plus ce qu'il faisait. Tout à coup, il se décida, fit sauter les cachets et déploya un assez volumineux cahier, en tête duquel il lut: «Ceci est ma confession.»
M. Lalouette le regardait lire, ne comprenant rien au prodigieux émoi qui s'emparait de M. Patard, au fur et à mesure que celui-ci tournait les pages du mystérieux dossier. La figure de l'honorable académicien perdait peu à peu cette belle couleur jaune par laquelle elle avait accoutumé de traduire les émotions funestes de ce cœur dévoué à la plus glorieuse des institutions. M. Patard était maintenant plus pâle que le marbre qui devait, un jour, par-delà le trépas, commémorer ses traits immortels, sur le seuil de la salle du Dictionnaire.
Et M. Lalouette vit soudain M. Patard qui jetait, d'un geste délibéré, tout le dossier au feu.
Après quoi, le dit Patard, ayant assisté, immobile, à son petit incendie, se dirigea vers son complice et lui tendit la main:
– Sans rancune, monsieur Lalouette, lui dit-il, nous ne nous disputerons plus. C'est vous qui aviez raison. Le grand Loustalot était surtout un grand misérable. Oublions-le. Il est mort. Il a payé sa dette, lui! mais vous, mon cher Gaspard, quand paierez-vous la vôtre? Ça n'est pourtant pas bien difficile à apprendre: b a: ba, b e: be, b i: bi, b o: bo, b u: bu!
(1909)