Monsieur Lecoq
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Le pr?curseur, fran?ais, de Sherlock Holmes…
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– À moi!… s’écria-t-elle, à l’aide!… au secours!…
Onze heures sonnaient, tout dormait; la ferme la plus voisine de la Borderie en était distante d’un quart de lieue.
La voix de Mme Blanche devait se perdre dans l’immense solitude de la nuit.
En bas, dans le jardin, tante Médie entendait sans doute, mais elle se fût laissée hacher en morceaux plutôt que d’entrer.
Et cependant, il se trouva quelqu’un pour recueillir ces cris de détresse.
Moins éperdues de douleur et d’épouvante, les deux jeunes femmes eussent remarqué le bruit de l’escalier, craquant sous le poids d’un homme qui montait à pas muets…
Ce n’était pas un sauveur, car il ne se montra pas.
Mais fût-on venu aux appels désespérés de Mme Blanche, il était trop tard.
Marie-Anne comprenait bien qu’il n’était plus d’espoir pour elle, et que c’était le froid de la mort qui peu à peu gagnait son cœur. Elle sentait que la vie lui échappait.
Aussi, quand Mme Blanche parut prête à s’élancer dehors pour courir chercher des secours, elle la retint d’un geste doux, et d’une voix éteinte:
– Blanche!… murmura-t-elle.
L’empoisonneuse s’arrêta.
– N’appelle plus, poursuivit Marie-Anne, reprenant, elle aussi, le tutoiement d’autrefois, à quoi bon! Reste, tiens-toi tranquille, que du moins je puisse finir en paix… va, ce ne sera pas long!…
– Tais-toi! ne parle pas ainsi! Il ne faut pas, je ne veux pas que tu meures!… Si tu mourais, grand Dieu!… quelle serait ma vie, après!
Marie-Anne ne répondit pas… Le poison poursuivait son œuvre de dissolution. Sa respiration sifflait dans sa gorge enflammée; sa langue, lorsqu’elle la remuait, lui causait dans la bouche l’affreuse sensation d’un fer rouge; ses lèvres se tuméfiaient, et ses mains paralysées, inertes, n’obéissaient plus à sa volonté.
Mais l’horreur même de la situation rendit à Mme Blanche une lueur de raison.
– Rien n’est perdu, s’écria-t-elle. C’est dans cette grande boîte-là, sur la table, que j’ai trouvé, que j’ai pris, – elle n’osa pas prononcer le mot: poison, – la poudre que j’ai versée dans la tasse. Tu sais quelle est cette poudre, tu dois connaître le remède…
Marie-Anne secoua tristement la tête.
– Rien ne peut plus me sauver, murmura-t-elle d’une voix à peine distincte, et entrecoupée de hoquets sinistres; mais je ne me plains pas. Qui sait de quelles chutes la mort me préserve peut-être. Je ne regrette pas la vie. J’ai tant souffert depuis un an, j’ai subi tant d’humiliations, j’ai tant pleuré… La fatalité était sur moi!…
Elle eut, en ce moment, cet éclair de seconde vue qui illumine les agonisants. Le sens des événements éclata. Elle comprit qu’elle-même avait fait sa destinée, et qu’en acceptant le rôle de perfidie et de mensonge composé par son père, elle avait rendu possibles et comme préparé les mensonges, les perfidies, les crimes, les erreurs et les trompeuses apparences dont enfin elle était victime.
Sa parole allait s’éteignant comme celle d’une personne qui s’assoupit, ses atroces douleurs faisaient trêve, tout s’apaisait en elle après tant d’agitations; elle s’endormait, pour ainsi dire, dans les bras de la mort…
Elle s’abandonnait, quand une pensée jaillit de ses ténèbres, si terrible qu’elle lui arracha un cri:
– Mon enfant!…
Rassemblant en un effort surhumain tout ce que le poison lui laissait de volonté, d’énergie et de forces, elle s’était redressée sur son fauteuil, le visage contracté par une indicible angoisse…
– Blanche!… prononça-t-elle d’un accent bref dont on l’eût crue incapable, écoute-moi: c’est le secret de ma vie qu’il faut que je te dise… personne ne le soupçonne… J’ai un fils de Maurice… Hélas! voici des mois que Maurice a disparu… S’il était mort, que deviendrait notre fils!… Blanche, tu vas me jurer, toi qui me tues, que tu me remplaceras près de mon enfant…
Mme Blanche était comme frappée de vertige.
– Je jure!… dit-elle, je jure!…
– Eh bien! à ce prix, mais à ce prix seulement, je te pardonne! Mais prends garde! N’oublie pas que tu as juré!… Blanche, Dieu permet parfois que les morts se vengent!… Tu as juré, souviens-toi! Mon fantôme ne t’accordera le sommeil qu’après que tu auras tenu ton serment.
– Je me souviendrai, balbutia Mme Blanche, je me souviendrai. Mais… ton enfant…
– Ah!… j’ai eu peur… Lâche créature que je suis, j’ai reculé devant la honte… puis, Maurice commandait… Je me suis séparée de mon enfant… ta jalousie et ma mort sont le châtiment… Pauvre être… je l’ai livré à des étrangers… Malheureuse que je suis… malheureuse… Ah! c’est trop souffrir… Blanche, souviens-toi!…
Elle bégaya quelques mots encore, mais indistincts, incompréhensibles…
Mme Blanche, hors de soi, eut la force de lui prendre le bras, et de le secouer…
– À qui as-tu confié ton enfant, répéta-t-elle, à qui?… où?… Marie-Anne… un mot encore, un seul, un nom, Marie-Anne!
Les lèvres de l’infortunée s’agitèrent, mais sa gorge ne rendit qu’un râle sourd…
Elle s’était affaissée sur son fauteuil; une convulsion suprême la tordit comme un lien de fagot; elle glissa sur le tapis et tomba tout de son long, sur le dos…
Marie-Anne était morte… morte sans avoir pu prononcer le nom du vieux médecin de Vigano…
Elle était morte, et l’empoisonneuse terrifiée demeurait au milieu de la chambre, livide et plus raide qu’une statue, l’œil démesurément agrandi, le front moite d’une sueur glacée…
Toutes ses pensées tourbillonnaient comme des feuilles au souffle furieux de l’ouragan; il lui semblait que la folie – une folie comme celle de son père – envahissait son cerveau. Elle oubliait tout, elle s’oubliait elle-même, elle ne se rappelait plus qu’un hôte devait arriver à minuit, que l’heure volait, qu’elle allait être surprise si elle ne fuyait pas.
Mais l’homme qui était venu quand elle avait crié au secours, veillait sur elle. Quand il vit que Marie-Anne avait rendu le dernier soupir, il fit un peu de bruit contre la porte et allongea sa figure grimaçante.
– Chupin!… balbutia Mme Blanche, rappelée au sentiment de la réalité.
– En personne naturelle, répondit le vieux maraudeur. C’est une fière chance que vous avez!… Eh! eh!… ça vous a trifouillé l’estomac, toute cette affaire… Bast! ça passera. Mais il s’agit de ne pas moisir ici, on peut venir… Allons, arrivez!…
Machinalement, l’empoisonneuse avança, mais le cadavre de Marie-Anne était en travers de la porte, barrant le passage; pour sortir, il fallait le franchir, elle n’eut pas ce courage et recula toute chancelante…