LEmpire des anges
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Que pensent les anges de nous? Que peuvent-ils faire pour nous aider? Qu'attendent-ils de l'humanit? en g?n?ral? Lorsque Michael Pinson (stupidement tu? dans un accident d'avion percutant un immeuble) a pass? avec succ?s l'?preuve de la «pes?e des ?mes», il a acc?d? au royaume des anges. Mais pass? le premier ?merveillement, il d?couvre l'ampleur de la t?che. Le voil? charg? de trois mortels, qu'il devra d?sormais guider et aider tout au long de leur vie. Ses moyens d'action: les r?ves, les signes, les m?diums, les intuitions, les chats. Cependant, il est oblig? de respecter le libre arbitre des hommes. Il s'aper?oit que ceux-ci essaient de r?duire leur malheur au lieu de construire leur bonheur. Que faire pour leur montrer la voie? Et puis comment s'occuper intelligemment au Paradis, un endroit bien sympathique mais sans cin?ma, sans musique, sans restaurant? Apr?s Les Thanatonautes, Bernard Werber nous donne une fois de plus ? r?fl?chir sur notre statut d'?tre humain, en m?langeant sagesse ancienne, philosophie moderne et humour. En suivant l'initiation d'un ange, on d?couvre une perspective ?tonnante ? notre ?tat de simple mortel. Un livre ?tonnant, foisonnant d'id?es. Un roman l?ger qui porte ? r?fl?chir. Val?rie Colin-Simard, Psychologies.
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Il prend un air que je ne lui connaissais pas, un air sournois.
— Je suis sûr que tu es convaincu que c'est moi qui ai mal agi.
Surtout ne pas répondre à la provocation.
— Tu l'as pensé, hein? Avoue?
Si je dis oui, ça va l'énerver, si je dis non aussi. Se taire. C'est le meilleur choix. En effet, il ne sait plus comment me prendre. Dans le doute, il interprète mon silence comme un acquiescement et m'annonce qu'il accepte mes excuses et que, pas rancunier, il est prêt à nous aider dans l'affaire du cambriolage. Il a même suffisamment de pouvoir pour passer l'éponge.
— Mais attention, dit-il, plus question de jouer les cambrioleurs. Pas de récidive, sinon la prochaine fois je serais obligé de t'emprisonner.
Je lui serre la main et me contente d'articuler un merci le plus neutre possible. Ciao.
— Encore une chose, me dit Vania…
— Oui, quoi?…
Je reste immobile et stoïque, espérant que le prix de son indulgence ne va pas augmenter.
— J'ai une question à te poser, Igor…
— Vas-y…
— Pourquoi tu ne m'as jamais cassé la gueule?
Là, il faut rester bien maître de soi. Ne pas s'énerver. Surtout ne pas s'énerver. Ma main tremble. Dans ma tête, je visualise son visage de petite fouine que j'écrase de mon gros poing rempli de phalanges bien dures. Je sens dans mon bras la puissance du coup que je pourrais porter. Mais j'ai mûri. J'ai toujours dit à mes Loups: «Ne faites pas comme les taureaux qui foncent dès qu'on agite un tissu rouge. Ne vous laissez pas submerger par les émotions. C'est à vous et non à l'adversaire de décider où et quand vous frappez.»
Vania est commissaire, entouré de tous ses collègues de travail armés, je ne pourrais pas tous les avoir. Et puis, s'il veut ma peau, il pourra toujours demander à l'un de ses subalternes de m'abattre. Ce n'est pas à cause de Vania que je vais tout perdre. Ce serait lui accorder, là encore, un grand honneur. J'ai résisté à maman, j'ai résisté au froid, aux maladies, au centre d'isolement neuro-sensoriel, aux balles et aux obus, ce n'est pas pour mourir tué dans un commissariat pour une question de susceptibilité.
Sans me retourner j'arrive à articuler:
— Mmmh… Je ne sais pas. Peut-être que je t'aime bien malgré tout, dis-je en tordant la bouche pour me forcer à prononcer ces mots.
Respirer. Respirer amplement. Il est plus facile d'attaquer un bastion tchétchène que de se retenir de pulvériser mon ex-ami. Allez, encore une dernière phrase:
— Content de t'avoir revu, Vania, ciao.
— Je t'aime, Igor, déclame-t-il.
Je préfère ne pas me retourner.
— Qu'est-ce qu'on fait maintenant? me demande Stanislas.
— On joue aux cartes.
Et, flanqué de Stanislas, je commence à fréquenter tous les cercles de poker de la ville. Je retrouve rapidement mes vieux réflexes. Décrypter les signes sur les visages et les mains, distinguer les vrais des faux, envoyer moi-même de faux messages… Il y a là comme une prolongation logique de mes prouesses de guerrier.
Bientôt ma façon de jouer évolue. Je n'ai plus besoin de guetter les tressaillements les plus infimes, je devine le jeu de mes partenaires sans même les observer. C'est comme s'ils dégageaient des effluves de chance et de malchance par-dessus l'épaisse fumée de cigarettes trop nombreuses. Mais j'essaie de me brancher sur quelque chose de plus subtil. Comme s'il y avait une onde qui traversait tout et me donnait les informations dont j'ai besoin. Parfois, je peux la sentir, et alors je sais pratiquement le jeu de tous mes adversaires.
Grâce au poker, j'amasse un trésor de guerre bien plus conséquent que celui que m'ont valu mes cambriolages. Ici au moins, je n'ai pas besoin d'avoir recours à des receleurs. Mes gains, je peux les étaler au grand jour.
Je gagne et j'empoche.
Je mise contre des adversaires de plus en plus coriaces, mais eux n'ont pas fait la guerre. Ils n'ont pas les nerfs, et puis la peur de perdre les rend si prévisibles… Dès que les enchères montent, ils sont comme des animaux traqués. Ils ne réfléchissent plus, ils prient. Ils sont là à frotter leurs amulettes, leurs grigris, à invoquer leurs anges gardiens, leurs dieux, leurs fantômes. Ils sont pathétiques. Comme des brebis qu'on mène à l'abattoir.
Ma renommée grandissante me donne accès à des parties privées où se pressent les riches et les puissants. J'apprends que mon père y participe et je mets tout en œuvre pour m'asseoir à la même table que lui.
Le voilà.
J'ai longtemps attendu cet instant. Il a le visage caché sous un chapeau. On ne nous présente pas. Dans ce salon opulent où des portraits d'ancêtres vous contemplent sévèrement, je m'installe dans un fauteuil en tissu damassé sous la lumière crue qui éclaire vivement le centre de la table. Les mises sont énormes, mais grâce à mes victoires précédentes, je ne manque pas de munitions. L'un après l'autre, mes partenaires déclarent forfait, leur montagne de jetons laminée, et je me retrouve seul avec papa. Il joue bien.
Je me branche sur l'onde qui traverse tout.
— Combien de cartes? demande le croupier après la distribution.
— Trois.
— Et vous?
— Servi, dit mon père sans me regarder et en ne me présentant que le haut de son chapeau.
J'ai tant de questions à lui poser, je voudrais savoir pourquoi il m'a engendré, pourquoi ils nous a abandonnés maman et moi, surtout pourquoi il n'a jamais cherché à me retrouver.
Nous misons.
— Cinquante.
— Cinquante et je relance de cent.
Je ne suis pas assez concentré. La sanction est immédiate. Le pot monte et je perds. Mon père demeure impassible. Il ne m'a pas encore jeté un seul regard. J'ai envie de lui dire: «Je suis ton fils», mais je me retiens. Nouveau jeu et nouvelle perte. Il est doué. Je comprends que ma force au poker ne me vient pas seulement des enseignements de Vassili, elle est aussi inscrite dans mes gènes. Mon père est un vrai reptile. Apparemment, le cambriolage et la destruction de son domicile ne l'ont pas affecté.
— Combien de cartes?
— Deux.
Même erreur. Même punition.
Nouvelle donne. Je respire très fort. C'est maintenant ou jamais, je décide de jeter dans la bataille l'arme absolue, l'ultime stratagème de Vassili. Je ne retourne pas mes cartes, je ne leur jette pas un seul coup d'œil, j'annonce:
— Servi!
Il a enfin un léger mouvement. Il enlève son chapeau et me dévoile une masse de cheveux gris. Je sais que dans un premier temps il s'est demandé si je n'étais pas fou, et qu'à présent il se demande en quoi consiste ma manœuvre. Quel que soit le cas de figure, il n'est plus maître de la situation. A mon tour de prendre la main.
Il réclame une carte. Une carte, ça veut dire qu'il tient deux paires et qu'il espère un full.
Il prend la carte et la fourre au hasard dans son jeu pour ne pas dévoiler si elle s'accorde avec d'autres. Les signes sont inexistants. Pas le moindre mouvement des doigts. Je branche mon intuition sur l'onde. Je sens qu'il n'a pas eu son full.
— Combien la mise?
— Mille, lance mon père, les yeux rivés sur ses cartes.
Il bluffe. Il veut en finir avec moi. Il place haut la barre pour me contraindre à abandonner. Mais étant donné qu'il s'agit de la partie où je ne regarde pas mes cartes, c'est au contraire le moment de ne pas lâcher. Je surenchéris.
— Mille cinquante.
Le croupier ne peut s'empêcher d'intervenir:
— Heu… Vous montez à mille cinquante sans regarder vos cartes et sans en changer aucune?
— Mille cinquante.
— Deux mille, dit mon père.
— Deux mille cinquante.
— Trois mille.
Imperturbable, malgré la moiteur dans mon dos, je poursuis:
— Trois mille cinquante.
Ça commence à faire une grosse somme, même pour lui. Il ne m'a toujours pas jeté un coup d'œil. Ce doit être son stratagème à lui. Faire croire qu'il n'a même pas besoin d'observer son adversaire pour le vaincre. La tête toujours baissée, ne me présentant que ses cheveux gris, il demande un temps de réflexion. Je sens qu'il va la lever pour me scruter. Mais non, il se contient.