La litterature sans estomac
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Par calcul ou par b?tise, des textes indigents sont promus au rang de chefs d’?uvre. Leur fabrication suit des recettes assez simples. Pierre Jourde en donne quelques-unes. Il montre comment on fait passer le mani?risme pour du style et la pauvret? pour de la sobri?t?. Cette "litt?rature sans estomac m?lange platitudes, niaiseries sentimentales et pr?occupations v?tilleuses chez Christian Bobin, Emmanuelle Bernheim ou Camille Laurens. Il existe aussi des vari?t?s moins ?dulcor?es d’insignifiance, une litt?rature ? l’?pate, chez Darrieusecq, Fr?d?ric Beigbeder ou Christine Angot. La v?h?mence factice y fait prolif?rer le clich?. Ce livre renoue avec le genre du pamphlet et s’enthousiasme pour quelques auteurs qui ne sont pas des fabricants de livres, mais des ?crivains. En pr?lude ? ces vigoureuses relectures, un sort particulier est fait au symbole par excellence de cette confusion des valeurs, Philippe Sollers, ainsi qu’? son "organe officiel", le suppl?ment litt?raire d’un prestigieux journal du soir.
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Bernard Vargaftig fait preuve d'un peu plus d'audace peut-être dans l'incompréhensible, dans la superposition du concret et de l'abstrait. S'il affectionne les mots en -ment, il connaît la nécessité, lui aussi, du silence, du cri et de la déchirure, aucun des accessoires obligatoires ne manque à sa panoplie. On doit ne pas savoir de quoi on parle, mais éperdument, comme en témoignent ces extraits de poèmes publiés dans Conférence n° 10-11, printemps-automne 2000:
Et ce sont, ainsi, des «effleurements» et des «dessaisissements», des «consentements» et des «pressentiments», des «réitérations» et des «stupéfactions». On ne s'ennuie pas une seconde.
Le métaphysique-imagé-sérieux est un modèle qui exige une vraie maîtrise. Veston, chemise ouverte. Lumière, souffle, visage, miroir, vent, masque, vide, silence et ciel. Bernard Noël est un grand maître contemporain:
Mais les petits maîtres, comme Jean-François Mathé, ne déméritent pas:
Et tout cela, forcément, en vers libres. Comme le dit Jacques Roubaud dans La Vieil lesse d'Alexandre, à la question «Qu'est-ce qu'un vers?» le vers libre répond: «Aller à la ligne.» Et quand va-t-on à la ligne? Lorsque la phrase ou le membre de phrase est fini. Le vers libre standard, celui qui se pratique couramment, s'adonne ainsi à ce que l'on appelait autrefois l'«analyse logique», par le découpage syntaxique. Cela facilitera le travail des lycéens du futur. On ne comprend pas toujours bien, mais qu'est-ce que c'est beau. Quel besoin de comprendre, d'ailleurs? Demande-t-on à comprendre la poterie de Vallauris que l'on pose sur le buffet de la salle à manger?
La fortune souriant à l'audacieux, j'ai eu la chance de tomber par hasard sur le paradigme de la poésie académique moderne, harmonieusement compassée. Celui qui pourrait servir de moule à une standardisation de la production. Le moule en question se trouve en dernière page du n° 13 de la revue trimestrielle Chroniques de la Bibliothèque nationale de France. Une référence culturelle. Cette livraison – voyons là un heureux présage – est celle du tournant du millénaire: décembre 2000 -janvier-février 2001, qui sera aussi, si le conservatisme ne l'emporte pas sur l'esprit de novation, celui du renouveau total du mode de création poétique. Je me contente, avant de satisfaire la concupiscence de l'amateur de lignes inégales, de recopier les précisions dispensées par cette gazette digne de confiance sur l'auteur de la merveille:
Patrick Tudoret, né en 1961, est l'auteur de trois romans publiés aux éditions de la Table ronde: Impasse du Capricorne (1992), Les Jalousies de Sienne (1994) et La Nostalgie des singes (1997).
Je demande à présent au lecteur de bien vouloir respecter le silence le plus absolu, car voici la chose:
Mousson
Ce petit chef-d'œuvre suffirait à lui seul à ruiner l'axiome inaugural de Gombrowicz dans Contre les poètes: «Presque personne n'aime les vers, et le monde des vers est fictif et faux.»
Pour le thème, on a là quelque chose comme «Nuit de Chine, nuit câline, nuit d'amour» (même si c'est l'Inde ou la Thaïlande), en plus pathétique, mais le poète académique contemporain se doit d'être légèrement pathétique, comme on l'aura observé (pathétique ou sentencieux, ou les deux). Les détails importent peu et n'apportent guère d'autres informations. Mais enfin, l'expression diffère, et c'est elle qui nous importe, si nous voulons parvenir à nos fins, augmenter la production tout en libérant le poète de ses souffrances.
Nous avons compris le principe du vers libre. Il nous reste à assimiler le fonctionnement sémantique, syntaxique, lexical de la chose, et le tour sera joué. Heureux détenteurs de la formule du Coca-Cola lyrique, nous pourrons inonder le monde de nos produits.
Sémantiquement, rien de très neuf: chaque vers doit contenir une impropriété qui puisse avoir l'air d'une possible métaphore. La métaphore est par excellence ce qui fait poétique. L'impropriété consistera donc à réunir un substantif et un verbe, un substantif et un adjectif, un verbe et un complément, etc., qui ne vont pas ensemble normalement: «L'Orient dessine». «La nuit calque», «Calque des pleurs». «Des croix de silence». Du moment que ça ne se peut pas, c'est bon. Ce n'est quand même pas la peine de faire de la poésie pour parler comme tout le monde.