La litterature sans estomac
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Par calcul ou par b?tise, des textes indigents sont promus au rang de chefs d’?uvre. Leur fabrication suit des recettes assez simples. Pierre Jourde en donne quelques-unes. Il montre comment on fait passer le mani?risme pour du style et la pauvret? pour de la sobri?t?. Cette "litt?rature sans estomac m?lange platitudes, niaiseries sentimentales et pr?occupations v?tilleuses chez Christian Bobin, Emmanuelle Bernheim ou Camille Laurens. Il existe aussi des vari?t?s moins ?dulcor?es d’insignifiance, une litt?rature ? l’?pate, chez Darrieusecq, Fr?d?ric Beigbeder ou Christine Angot. La v?h?mence factice y fait prolif?rer le clich?. Ce livre renoue avec le genre du pamphlet et s’enthousiasme pour quelques auteurs qui ne sont pas des fabricants de livres, mais des ?crivains. En pr?lude ? ces vigoureuses relectures, un sort particulier est fait au symbole par excellence de cette confusion des valeurs, Philippe Sollers, ainsi qu’? son "organe officiel", le suppl?ment litt?raire d’un prestigieux journal du soir.
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Cliché 3: tout recommence à la fin, encore la même chose mais on fait comme si ce n'était pas la même chose, on fait semblant de ne pas voir ce qui est évidemment là, vieille ficelle des récits d'angoisse. L'héroïne repose à l'hôpital après son suicide: «Mes affaires sont rangées, maman va venir. On entend ici un curieux ronronnement. L'infirmière dit qu'il provient du radiateur.»
On ne s'attardera pas trop sur les clichés de détail, du plus pur style collection Harlequin, il y en a trop dans ce genre: «Ce fut pendant que j'étais assise à côté des étudiants […] que je sentis les premières atteintes du désir»; si on subit toujours «les premières atteintes» du désir chez Pascale Zéro, on est aussi forcément «inondé de larmes, de sueur, de sang, de joie» lorsqu'on fait l'amour. Quant à la discipline, elle n'est pas de zinc, elle n'est pas de tungstène, non, la discipline est «de fer». N'oublions pas l'indispensable «ça», accessoire obligé de tout lyrisme du corps: «Ça hurle. Ça rugit. Ça me traverse, me révulse.» L'épreuve passée, gare: «Je prends mon élan. Je deviens forte. Je vais boire un verre de sangria et je danse avec n'importe qui. Je crie ma joie en dansant.» On en reste impressionné. Quant à «cette blessure secrète» pour les règles, on peut y voir un vieux relief d'«écriture des femmes» achevant de rancir dans les magazines pour salon de coiffure.
Il y a certes peu d'honneur à tirer de l'extermination des insectes. On se sent d'abord porté à abandonner les Bernheim et les Roze à leurs préoccupations infimes. On les regarde grouiller distraitement. On s'amuse à observer comment leurs petites forces, leurs microscopiques intelligences se mobilisent pour véhiculer d'insignifiants fétus. Mais aucune œuvre n'est complètement dépourvue de conséquences. Il s'agit d'une question plus grave que la nullité de tel ou tel auteur. L'invasion de ces niaiseries étouffe la littérature française. Celle-ci se confond de plus en plus avec cette nouvelle forme de dignité bourgeoise, le roman décoratif: petit récit, histoire de famille, d'éducation, rencontre amoureuse, mettant en scène un petit personnage sans identité trop définie, protagoniste de petits événements sans trop de poids, le tout rapporté dans un langage pas trop compliqué, encombré de clichés. L'édition produit, la critique défend, sous le masque de l'exigence, de la littérature bas de gamme.
INTERLUDE
On peut dire qu'il ne demeure
dans la pratique majoritaire du vers libre commun
que ce que Réda appelle très justement
le «poteau: ATTENTION POÉSIE».
Jacques Roubaud,
La Vieillesse d'Alexandre
Il y a un siècle, alors que le sonnet faisait fureur en France, Georges Auriol avait eu l'idée de rationaliser la création poétique. Il s'agissait de passer de l'âge artisanal à l'âge industriel. On standardisait la fabrication des voitures, pourquoi pas celle des vers? Auriol avait donc inventé la Manufacture Nationale de Sonnets. Cette utile institution produisait ce genre de texte:
Cela ne voulait rien dire (les poèmes néo-mallarméens publiés à la même époque dans La Phalange n'avaient pas l'air non plus très clairs) mais c'était amusant. Malheureusement, la Manufacture Nationale de Sonnets, conçue pour produire ad libitum de la poésie, n'a pas eu le succès escompté.
Si le précurseur n'a pas été compris, son idée, pourtant, était bonne. Il suffirait de quelques ajustements, d'une petite modernisation, et on pourrait la reprendre utilement. De nos jours, trop de poètes encore produisent, au prix de veilles épuisantes, d'angoisses dont on n'a pas idée, de tortures mentales inouïes, une quantité somme toute assez restreinte de textes compte tenu de l'énergie dépensée. Ces œuvres, ces gouttes de sang extraites par le poète de ses veines, vont se dessécher dans des plaquettes et des revues confidentielles achetées (mais tout de même pas lues) par la femme du poète, la mère du poète et parfois le collègue du poète. En termes économiques, c'est une perte sèche. Du point de vue humain, c'est inadmissible. L'invention de la machine à laver a débarrassé les femmes d'une lourde tâche (lorsque les femmes seules se chargeaient du linge). Le poète est un être fragile et délicat. Inventons-lui la machine qui lui rendra la vie plus légère, sans nous priver de notre indispensable ration de poésie.
Notre tâche sera facilitée par le fait que beaucoup de poèmes s'élaborent selon des recettes identiques. À chaque époque son académisme. Vers 1830, lacs, nacelles, cascatelles proliféraient. Il fallait des larmes, de l'éloquence, du flou, de l'apostrophe (Ô!), des cheveux bouclés, une bonne muse et une grosse potée d'alexandrins. Lamartine avait sévi. De nos jours, l'académisme n'est plus le même. Certains poètes semblent considérer que la poésie est forcément quelque chose de compassé, vague et un peu triste. On doit s'y ennuyer de manière distinguée, en écoutant de jolis mots et quelques métaphores de bon goût. Alain Veinstein est le modèle du poète académique contemporain. Il sait distiller l'ennui par une abstraction assortie d'images discrètes, avec du corps quand même, pour donner un peu de gras. Écoutons son chant, tel qu'il s'élève entre les pages de Tout se passe comme si:
Le poète académique a compris qu'on n'est pas poète sans absence ni obscurité. Alain Veinstein en possède d'importants stocks:
Parmi les divers sous-modèles académiques qui se portent en ce moment, l'amateur peut trouver le caillouteux-métaphysique. Courte méditation sur un bout de montagne. Fulgurances à la campagne. S'écrit en velours côtelé et chapeau de feutre. Arbres, pierre, lumière, ciel, silence, visage, secret. Gilles Lades: