Том 10. Былое и думы. Часть 5
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…En 1835, je traversais par la poste les forêts du gouvernement de Perm, accompagné d'un gendarme et allant en exil. A un relais je priai une jeune paysanne, assise devant sa maison, de me donner du kwass à boire. – «Il est trop aigre chez nous, mais je t'apporterai de la bière, il nous en reste de la fête». Sur cela elle m'apporta une assez grande cruche de terre remplie de cette bière épaisse que les paysans fabriquent eux-mêmes sous le nom de braga. Moi et le gendarme nous bûmes presque tout le contenu. En rendant la cruche à la paysanne, je lui glissai dans la main une pièce de quinze sous; elle me la rendit de suite en disant: «Non, non, nous ne vendons pas, ce n'est pas bien de pren dre de l'argent d'un voyageur, et encore bien moins d'un… qui…» Elle montra des yeux le gendarme. «Mais, chère amie, lui dis-je, – cela ne nous va non plus de boire ta bière sans la payer; prends donc la pièce pour acheter du pain d'épice aux enfants» – «Non, non, je ne prendrai rien, et n'aie pas de scrupules; si tu as trop d'argent, donne-le à un mendiant ou mets un cierge au bon Dieu».
Sur toute la frontière de la Sibérie, de ce côté des monts oura-liens, les paysans ont coutume de mettre devant la fenêtre un morceau de pain avec du sel, quelquefois un petit pot de lait du kwass. C'est pour les malheureux. С est ainsi qu'ils appellent tous les condamnés qui s'évadent de la Sibérie et qui n'oseraient ni frapper à la porte,ni passer le jour par un village. J'ai trouvé quelque chose de pareil en Suisse. Sur les hauteurs, là où le granit perce déjà comme le crâne dénudé d'un homme demi-chauve, et où un vent glacial souffle sur des plantes desséchées et presque mortes, j'ai trouvé des cabanes de chasseurs quelquefois inhabitées, mais ayant la porte non cadenassée. En entrant, on trouvait du pain, du fromage. Le voyageur égaré ou surpris par le mauvais temps y entre, reste pendant la bourrasque, mange et quelquefois laisse un gros sou sur l'assiette, plus souvent rien.
– Et on ne vole jamais? – dis-je à mon guide.
– Non, Herr!
Ce ne sont pas des hommes encore!
Après avoir quitté la vieille – qui avait conscience de prendre cinq francs pour la nourriture de quatre individus et de deux chevaux, y compris une bouteille entière de kirsch – nous continuâmes notre route par une montée plus rapide. Le chemin – mince incision dans le roc – n'avait parfois qu'un mètre de largeur et serpentait sous des rochers suspendus sur nos têtes, frisant la lisière d'un précipice qui devenait de plus en plus profond. Tout en bas s'élançait, avec bruit et fureur, le Wesp, comprimé dans un lit étroit; il se hâtait évidemment de sortir au large. Il y a trop du Salvator Rosa dans ces ascensions. Cela use les nerfs, les fatigue, les accable… Des heures et des heures passent, le spectacle est le même… D'autres rochers froncent les sourcils et sont prêts à vous pousser dans l'abîme; le Wesp mugit; tantôt visible et couvert d'écume blanche, tantôt se perdant derrière des montagnes, des forêts de sapin; les fers du cheval résonnent sur la pierre, les guides répètent les mêmes deux notes: «Oh – Eh! I–Ve!» Les contours s'effacent, une transpira' tion de brouillard se lève des abîmes… Le Wesp mugit, les pas des chevaux résonnent. – «Oh – Eh! – I–Ve!» – Cela agace les nerfs, cela les irrite.
Zermatt est entouré de montagnes, presque adossé au Mont-Rose; il faisait nuit derrière ce paravent colossal. – Lorsque nous entrâmes dans une petite auberge, la seule de l'endroit en 1849, nous y trouvâmes encore un voyageur – c'était un géologue écossais – et la maîtresse de la maison. Nous étions autour d'une table en attendant le souper, lorsque le géologue nous dit: «Messieurs, c'est un bruit de sonnettes de chevaux ou de mulets!» – «Oui, oui, – dit la maîtresse, en écoutant attentivement. – Voilà du fort! grimper cette montagne lorsqu'on ne voit pas sa propre main». Elle prit une lanterne et alla à la rencontre; nous allâmes l'accompagner. – On entendait les sonnettes de plus en pins; quelque chose se détacha du fond noir, et une minute après une Anglaise, raide, haute et en amazone, descendit tranquillement de cheval, comme si elle revenait à la maison après une promenade à Hyde-Park; le second cavalier était son fils, un garçon de treize à quatorze ans. – La dame entra dans la chambre et demanda du thé. Le géologue l'avait déjà rencontrée et lui adressa la parole. Un quart d'heure après, elle dit à son fils d'aller demander aux guides combien de temps il leur fallait pour faire reposer et nourrir les chevaux.
– Comment! – dit l'Ecossais, – vous voulez partir par cette obscurité?
– Nous descendons, – dit-elle, – de l'autre côté, du côté italien du Monte-Rosa.
– Tant pis, vous avez une mauvaise descente. Restez ici jusqu'au matin.
– Je ne le puis, j'ai d'avance disposé du temps et on nous attend.
Deux heures après, l'Anglaise se mit à cheval, son fils monta gaiement le sien, et j'ouvris la fenêtre pour entendre le diminuendo des sonnettes qui s'éloignaient.
Quelle femme! Quelle race!
Le lendemain, avant le lever du soleil, nous prîmes un troisième guide qui connaissait bien les sentiers et sifflait encore ieux des chansons suisses. Nous avions l'intention de monter jusqu'à l'endroit où l'on pouvait encore aller à cheval.
J’avais peur que la journée ne soit manquée, un brouillard blanchâtre couvrait tout, et cela si bien qu'on ne voyait pas même le mont Cervin. Lе maître de l'hôtel vint jeter encore plus de trouble dans mon âme en disant: «Ia, ia, der Wetterhorn s'isch ein grosser Herr, lässt sich nik immer sehe lasse fur Jederman». Heureusement, «le grand seigneur de Cervin» était de bonne humeur et apparût bientôt dans toute sa splendeur.
Une pluie fine et froide remplaça le brouillard, et peu après, pluie et brouillard étaient au-dessous de nous un océan de fumée, un monde en fusion. Au-dessus, le ciel bleu et pur.
Victor Hugo nous raconte «ce que l'on entend sur la montagne» Il faut supposer que la montagne du haut de laquelle il a entendu tant de belles choses n'était pas très haute. La première chose qui me frappa sur ces hauteurs, c'est l'absence de tout bruit de tout son. On n'entend rien, absolument rien.
De temps en temps, le tonnerre éloigné des avalanches qui tombaient du mont Cervin, venait rompre pour un instant ce silence diaphane, visible, sonore, oui, sonore, je n'ai pas d'autre mot. La grande raréfaction de l'air donne une voix à cette tranquillité minérale, à cet éternel sommeil inorganique, à ce mutisme élémentaire.
C'est la vie qui s'agite, qui se démène, qui crie et tapage; ici elle est dépassée; elle est restée là-bas sous le brouillard. Les plantes mêmes, ces sourd-muets de la nature, disparaissent et me sont représentées que par les algues desséchées, grisonnantes, à demi gelées.
Encore quelques pas – le froid devient plus intense, le verglas qui ne dégèle jamais s'épaissit et forme une croûte continue de neige. C'est la frontière de la planète. Plus loin, rien que la glace et le rocher. Au delà rien ne se passe, à l'exception de quelques sons mécaniques, des fissures, des éboulements. Au-delà il n'y a personne. Un seul animal, le plus curieux de tous, y va à travers les périls et les dangers, pour jeter un coup d'œil sur ce vide infini, sur ces points proéminents qui marquent les limites de la terre, pour y respirer la glace et l'immensité et descendre au plus vite dans son milieu plein d'angoisse et de misère, – mais où il est à la maison.
…Nous nous arrêtâmes. Arrivés à la mer glaciale, enlacée par une série de montagnes, elle avait l'air d'un immense Colisée, inondé par des vagues surprises par un froid glacial, qui les arrêta court au milieu du plus grand élan.
Les lignes du mouvement s'arrêtèrent sans avoir eu le temps de se déployer en lignes droites,'en lignes de repos, et portant à tout jamais l'immobile trace du mouvement suspendu.