Том 7. О развитии революционных идей в России
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Il faut avoir observé le paysan russe devant un tribunal pour bien apprécier sa position; il faut avoir vu de ses propres yeux son œil morne et consterné, le profond silence de sa bouche, l'expression scrutatrice de son regard, pour comprendre que c'est là un prisonnier de guerre civile devant un conseil militaire, un voyageur devant une bande de brigands. On s'aperçoit tout d'abord, que la victime n'a pas la moindre confiance dans ces êtres hostiles, acharnés, implacables, qui le questionnent, le torturent et le dépouillent. Il sait que s'il a de l'argent, usera acquitté; s'il est pauvre, il sera condamné sans répit.
Le peuple parle un russe un peu ancien; le greffier, le juge écrivent la langue moderne bureaucratique, dépravée et à peine compréhensible. Ils remplissent des in-folios de fautes grammaticales, et les débitent, le plus vite possible au paysan; c'est son affaire à lui de comprendre ce grondement nasillard, sans accentuation, et d'aviser à son salut. Il le sait, aussi se tient-il sur ses gardes; il ne dira jamais un seul mot de trop, rien ne transpire à travers son agitation, il reste là, l'air hébété, comme un nigaud, comme un muet.
Le paysan sort du tribunal aussi triste lorsqu'il est acquitté qu'après sa condamnation. Il ne voit dans les deux cas que l'arbitraire ou le hasard.
C'est ainsi que cité comme témoin à charge, il est parvenu à mentir sous serment, à nier tout, à nier toujours, même lorsque les preuves sont irrécusables. Aux yeux du peuple russe, un homme condamné n'est pas pour cela flétri. Les déportés, les forçats se nomment dans la langue du peuple les malheureux.
Le peuple russe n'a vécu que de la vie communale; il ne comprend ses droits et ses devoirs que par rapport aux communes et à leurs membres. Hors d'elles, il ne reconnaît pas de devoirs et ne voit que de la violence. Le côté funeste de son caractère, c'est qu'il se soumet à ces violences, et non point qu'il les nie à sa manière, et qu'il cherche à s'abriter derrière la ruse. И y a beaucoup plus de franchise à mentir devant un juge que l'on sait être agent d'un pouvoir inique, que de feindre le respect, pour le verdict d'un jury trié par un préfet, dont l'iniquité révoltante est claire comme le jour. Le peuple ne respecte ses institutions que lorsqu'il y retrouve ses propres notions du droit et de la justice.
Il est un fait incontestable pour tout homme qui a observé de près le peuple russe. Entre eux, les paysans se trompent rarement; ils manifestent les uns pour les autres une confiance presque illimitée, ils ne connaissent ni contrats, ni compromis par écrit.
Les questions d'arpentage sont nécessairement très compliquées, grâce à l'éternel partage des terres d'après le nombre d'ouvriers [58], et pourtant la campagne russe ne retentit jamais ni de plaintes ni de procès. Le seigneur, le gouvernement ne demandent qu'à intervenir; l'occasion, les motifs leur manquent. Les petits différends qui surgissent sont promptement terminés par les anciens ou par la commune; tout le monde se soumet franchement à leur décision. La même chose a lieu dans les communes. mobiles des associations ouvrières (artèl). Il existe des associations, maçons, des charpentiers et autres, formées de plusieurs cen-ines d'individus appartenant à des communes différentes, qui groupent pour un temps donné, pour une année par exemple, t forment ainsi l'artèl. L'année révolue, les ouvriers partagent ie produit selon le travail de chacun et d'après la décision de tous les associés. La police n'a jamais la satisfaction d'intervenir dans leurs comptes. J'ajoute encore, que l'association répond presque toujours pour chaque ouvrier.
Les liens entre les paysans d'une même commune se resserrent davantage quand la population se compose non pas d'orthodoxes mais de sectaires. Le gouvernement exécute parfois une sauvage irruption dans quelque commune sectaire; il emprisonne, il déporte, le tout sans plan arrêté, sans suite, sans provocation, sans nécessité aucune, tout simplement pour répondre aux injonctions du clergé ou aux rapports de la police. C'est dans ces chasses aux sectaires qu'il faut voir réellement ce que c'est que le paysan russe, et quelle solidarité le lie à ses frères. Il faut le voir alors, dis-je, déjouant la police, sauvant ses coreligionnaires, cachant les livres et les vases sacrés, subissant les plus inhumaines tortures sans proférer une seule parole. Qu'on me trouve l'exemple d'une commune sectaire, dénoncée par un paysan, même par un orthodoxe?
Ce caractère du Russe rend les enquêtes policières extrêmement difficiles. Je l'en félicite de tout mon cœur. Le paysan russe n'a d'autre moralité que celle qui découle instinctivement, naturellement de son communisme; elle est profondément nationale; le peu qu'il connaît de l'Evangile le soutient; l'iniquité flagrante du gouvernement et du seigneur le lie encore plus à ses coutumes et à sa commune [59].
La commune a sauvé l'homme du peuple de la barbarie mongole et du tzarisme civilisateur, des seigneurs vernis à l'européenne et de la bureaucratie allemande; l'organisme communal a résisté, quoique fortement atteint, aux empiétements dupouvoir; il s'est heureusement conservé jusqu'au développement du socialisme en Europe.
Pour la Russie c'est là un fait providentiel.
L'autocratie russe entre dans une nouvelle phase. Issue d'une révolution antinationale, elle a rempli sa mission; elle a réalisé empire colossal, un armée nombreuse, une centralisation administrative. Dénuée de principes, de traditions, elle n’a plus rien á faire: elle s’est donne, il est vrai, une autre tâche, celle d’importer en Russie la civilisation occidentale, et elle y éussissait assez tant qu'elle faisait semblant de persister dans ce beau rôle de gouvernement civilisateur.
Ce rôle, elle l'a abdiqué aujourd'hui.
Le gouvernement qui avait rompu avec le peuple au nom de la civilisation, se hâta, un siècle après, de rompre avec la civilisation au nom de l'absolutisme.
Il le fit aussitôt qu'il entrevit à travers les tendances civilisatrices, le spectre tricolore du libéralisme: il essaya alors de revenir vers la nationalité, vers le peuple. C'était impossible; le peuple et le gouvernement n'avaient plus entre eux rien de commun; le premier s'était déshabitué de l'autre, tandis que ce dernier croyait voir surgir du fond des masses un spectre beaucoup plus terrible, le spectre rouge. Tout bien pesé, le libéralisme était encore moins dangereux qu'un autre Pougatcheff. La panique et le dégoût des idées libérales devinrent tels, que le gouvernement ne pouvait plus se réconcilier avec la civilisation.
Dès lors le tzarisme n'a pour but que le tzarisme; il gouverne pour gouverner; ce sont là des forces immences qui s'entre-sou-tiennent pour se neutraliser réciproquement, et gagner ainsi un repos factice.
Faire de l'autocratie pour de l'autocratie, c'est impossible à la longue; c'est par trop absurde et trop stérile.
L'on s'en aperçoit, et l'on cherche de l'occupation en Europe. La diplomatie russe est la plus active; partout elle envoie des notes, des agents, des conseils, des menaces, des promesses, des espions. L'empereur se considère comme tuteur naturel des princes allemands; il se mêle aux moindres intrigues de leur petites cours; с'est lui qui règle les différends, morigène les uns, donne desgrandes-duchesses aux autres. Cela ne suffit pas à son activité, il se fait le premier gendarme de la terre, le soutien de toutes les réactions, de toutes les barbaries; il se pose en représentant du principe monarchique en Europe, se donnant des airs aristocratiques, tout comme s'il était un Bourbon ou un Plantagenet, comme si ses courtisans étaient des Cavendish ou pour le moins des Montmorency.
Malheureusement, il n'y a rien de commun entre la monarchy féodale avec son principe prononcé, son passé, son idée sociale et religieuse, et le despotisme napoléonien de Pétersbourg, qUj n'a pour lui qu'une triste nécessité historique, une utilité passagère, et aucun principe.