Les Quarante-Cinq Tome II
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Les Quarante-Cinq constitue le troisi?me volet du grand triptyque que Dumas a consacr? ? l'histoire de France de la Renaissance. Il ach?ve le r?cit de cette d?cadence de la seigneurie commenc? par La Reine Margot et poursuivi avec La Dame de Monsoreau. A cette ?poque d?chir?e, tout se joue sur fond de guerre : guerres de Religion, guerres dynastiques, guerres amoureuses. Aussi les h?ros meurent-ils plus souvent sur l'?chafaud que dans leur lit, et les h?ro?nes sont meilleures ma?tresses que m?res de famille. Ce qui fait la grandeur des personnages de Dumas, c'est que chacun suit sa pente jusqu'au bout, sans concession, mais avec panache. D'o? l'invincible sympathie qu'ils nous inspirent. Parmi eux, Chicot, le c?l?bre bouffon, qui prend la place du roi. C'est en lui que Dumas s'est reconnu. N'a-t-il pas tir? ce personnage enti?rement de son imagination ? Mais sa v?racit? lui permet d'?voluer avec aisance au milieu des personnages historiques dont il lie les destins. Dumas ayant achev? son roman ? la veille de la r?volution de 1848, Chicot incarne par avance la bouffonnerie de l'histoire.
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– Mais c'est donc ici l'enfer! s'écria Chicot en reconnaissant son hôte à la lueur de sa lanterne.
– Oh! monsieur, s'écria l'hôte en apercevant l'affreux dégât qui venait d'être consommé, oh! monsieur, qu'est-il donc arrivé?
Et il leva les mains et par conséquent sa lanterne au ciel.
Combien y a-t-il de démons logés chez vous, dites-moi, mon ami? hurla Chicot.
– Oh! Jésus! quel temps! répondit l'hôte avec le même geste pathétique.
– Mais les verrous ne tiennent donc pas? continua Chicot; la maison est donc de carton? J'aime mieux sortir d'ici: Je préfère la plaine.
Et Chicot se dégagea de la ruelle du lit, et apparut, l'épée à la main, dans l'espace demeuré libre entre le pied du lit et la muraille.
– Oh! mes pauvres meubles! soupira l'hôte.
– Et mes habits! s'écria Chicot: où sont-ils, mes habits qui étaient sur cette chaise?
– Vos habits, mon cher monsieur? fit l'hôte avec naïveté; mais s'ils y étaient, ils doivent y être encore.
– Comment! s'ils y étaient! mais supposez-vous, par hasard, dit Chicot, que je sois venu hier dans le costume où vous me voyez?
Et Chicot essaya, mais en vain, de se draper dans sa légère tunique.
– Mon Dieu! monsieur, répondit l'hôte assez embarrassé de répondre à un pareil argument, je sais bien que vous étiez vêtu.
– C'est heureux que vous en conveniez.
– Mais…
– Mais quoi?
– Le vent a tout ouvert, tout dispersé.
– Ah! c'est une raison.
– Vous voyez bien, fit vivement l'hôte.
– Cependant, reprit Chicot, suivez mon calcul, cher ami. Quand le vent entre quelque part, et il faut qu'il soit entré ici, n'est-ce pas, pour y faire le désordre que j'y vois?
– Sans aucun doute.
– Eh bien! quand le vent entre quelque part, c'est en venant du dehors?
– Oui, certes, monsieur.
– Vous ne le contestez pas?
– Non, ce serait folie.
– Eh bien! le vent devait donc, en entrant ici, amener les habits des autres dans ma chambre, au lieu d'emporter les miens je ne sais où.
– Ah! dame! oui, ce me semble. Cependant, la preuve du contraire existe ou semble exister.
– Compère, dît Chicot, qui venait d'explorer le plancher avec son œil investigateur, compère, quel chemin le vent a-t-il pris pour venir me trouver ici?
– Plaît-il, monsieur?
– Je vous demande d'où vient le vent?
– Du nord, monsieur, du nord.
– Eh bien! il a marché dans la boue, car voici ses souliers imprimés sur le carreau.
Et Chicot montrait, en effet, sur la dalle les traces toutes récentes d'une chaussure boueuse. L'hôte pâlit.
– Maintenant, mon cher, dit Chicot, si j'ai un conseil à vous donner, c'est de surveiller ces sortes de vents qui entrent dans les auberges, pénètrent dans les chambres en enfonçant les portes, et se retirent en volant les habits des voyageurs.
L'hôte recula de deux pas, afin de se dégager de tous ces meubles renversés, et de se retrouver à l'entrée du corridor.
Puis, lorsqu'il sentit sa retraite assurée:
– Pourquoi m'appeler voleur? dit-il.
– Tiens! qu'avez-vous donc fait de votre figure de bonhomme? demanda Chicot: je vous trouve tout changé.
– Je change, parce que vous m'insultez.
– Moi!
– Sans doute, vous m'appelez voleur, répliqua l'hôte sur un ton encore plus élevé, et ressemblant fort à de la menace.
– Mais je vous appelle voleur parce que vous êtes responsable de mes effets, il me semble, et que mes effets ont été volés; vous ne le nierez pas?
Et ce fut Chicot qui, à son tour, comme un maître d'armes qui tâte son adversaire, fit un geste de menace.
– Holà! cria l'hôte, holà! venez à moi, vous autres!
À cet appel, quatre hommes armés de bâtons, parurent dans l'escalier.
– Ah! voici Eurus, Notus, Aquilo et Boréas, dit Chicot, ventre de biche! puisque l'occasion s'en présente, je veux priver la terre du vent du Nord; c'est un service à rendre à l'humanité; il y aura printemps éternel.
Et il détacha un si rude coup de sa longue épée dans la direction de l'assaillant le plus proche, que si celui-ci, avec la légèreté d'un véritable fils d'Éole, n'eût point fait un bond en arrière, il était percé d'outre en outre.
Malheureusement comme, tout en faisant ce bond, il regardait Chicot, et par conséquent, ne pouvait voir derrière lui, il tomba sur le rebord de la dernière marche de l'escalier, le long duquel, ne pouvant garder son centre de gravité, il dégringola à grand bruit.
Cette retraite fut un signal pour les trois autres qui disparurent par l'orifice ouvert devant eux ou plutôt derrière eux, avec la rapidité de fantômes qui s'abîment dans une trappe.
Cependant, le dernier qui disparut avait eu le temps, tandis que ses compagnons opéraient leur descente, de dire quelques mots à l'oreille de l'hôte.
– C'est bien, c'est bien! grommela celui-ci, on les retrouvera, vos habits.
– Eh bien, voilà tout ce que je demande.
– Et l'on va vous les apporter.
– À la bonne heure: ne pas aller nu, c'est un souhait raisonnable, ce me semble.
On apporta en effet les habits, mais visiblement détériorés.
– Oh! oh! fit Chicot, il y a bien des clous dans votre escalier. Diables de vents, va! mais enfin, réparation d'honneur. Comment pouvais-je vous soupçonner? vous avez une si honnête figure.
L'hôte sourit avec aménité.
– Et maintenant, dit-il, vous allez vous rendormir, je présume?
– Non, merci, non, j'ai dormi assez.
– Qu'allez-vous donc faire?
– Vous allez me prêter votre lanterne, s'il vous plaît, et je continuerai ma lecture, répliqua Chicot, avec le même agrément.
L'hôte ne dit rien; il tendit seulement sa lanterne à Chicot et se retira.
Chicot redressa son armoire contre la porte, et se rengaina dans son lit.