Les Contemplations
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Les 11 000 vers des Contemplations furent ?crits d?s 1834, mais surtout pendant l'exil ? Jersey, puis ? Guernesey, en particulier ? partir de 1853 alors que Hugo composait les Ch?timents. Mettant fin au silence lyrique qu'il observait depuis les Rayons et les Ombres (1840), le recueil, sommet de sa production po?tique, somme de sa vie, de sa sensibilit? et de sa pens?e, se pr?sente comme «les M?moires d'une ?me» (Pr?face). Si «une destin?e est ?crite l? jour ? jour», le recueil s'?rige aussi en expression d'une exp?rience, celle d'un homme qui se veut comme les autres: «Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous.»
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Et vous faites, sans peur, sans pitié, sans regrets,
À la jeunesse, aux cœurs vierges, à l’espérance,
Boire dans votre nuit ce vieil opium rance!
Ô fermoirs de la bible humaine! sacristains
De l’art, de la science, et des maîtres lointains,
Et de la vérité que l’homme aux cieux épèle,
Vous changez ce grand temple en petite chapelle!
Guichetiers de l’esprit, faquins dont le goût sûr
Mène en laisse le beau; porte-clefs de l’azur,
Vous prenez Théocrite, Eschyle aux sacrés voiles,
Tibulle plein d’amour, Virgile plein d’étoiles;
Vous faites de l’enfer avec ces paradis!
Et, ma rage croissant, je reprenais:
– Maudits,
Ces monastères sourds! bouges! prisons haïes!
Oh! comme on fit jadis au pédant de Veïes,
Culotte bas, vieux tigre! Écoliers! écoliers!
Accourez par essaims, par bandes, par milliers,
Du gamin de Paris au grœculus de Rome,
Et coupez du bois vert, et fouaillez-moi cet homme!
Jeunes bouches, mordez le metteur de bâillons!
Le mannequin sur qui l’on drape des haillons
A tout autant d’esprit que ce cuistre en son antre,
Et tout autant de cœur; et l’un a dans le ventre
Du latin et du grec comme l’autre a du foin.
Ah! je prends Phyllodoce et Xanthis à témoin
Que je suis amoureux de leurs claires tuniques;
Mais je hais l’affreux tas des vils pédants iniques!
Confier un enfant, je vous demande un peu,
À tous ces êtres noirs! autant mettre, morbleu!
La mouche en pension chez une tarentule!
Ces moines, expliquer Platon, lire Catulle,
Tacite racontant le grand Agricola,
Lucrèce! eux, déchiffrer Homère, ces gens-là!
Ces diacres! ces bedeaux dont le groin renifle!
Crânes d’où sort la nuit, pattes d’où sort la gifle,
Vieux dadais à l’air rogue, au sourcil triomphant,
Qui ne savent pas même épeler un enfant!
Ils ignorent comment l’âme naît et veut croître.
Cela vous a Laharpe et Nonotte pour cloître!
Ils en sont à l’A, B, C, D, du cœur humain;
Ils sont l’horrible Hier qui veut tuer Demain;
Ils offrent à l’aiglon leurs règles d’écrevisses.
Et puis ces noirs tessons ont une odeur de vices.
Ô vieux pots égueulés des soifs qu’on ne dit pas!
Le pluriel met une S à leurs meas culpas,
Les boucs mystérieux, en les voyant, s’indignent,
Et, quand on dit: «Amour!» terre et cieux! ils se signent.
Leur vieux viscère mort insulte au cœur naissant.
Ils le prennent de haut avec l’adolescent,
Et ne tolèrent pas le jour entrant dans l’âme
Sous la forme pensée ou sous la forme femme.
Quand la muse apparaît, ces hurleurs de holà
Disent: «Qu’est-ce que c’est que cette folle-là?»
Et, devant ses beautés, de ses rayons accrues,
Ils reprennent: «Couleurs dures, nuances crues;
Vapeurs, illusions, rêves; et quel travers
Avez-vous de fourrer l’arc-en-ciel dans vos vers?»
Ils raillent les enfants, ils raillent les poëtes;
Ils font aux rossignols leurs gros yeux de chouettes;
L’enfant est l’ignorant, ils sont l’ignorantin;
Ils raturent l’esprit, la splendeur, le matin;
Ils sarclent l’idéal ainsi qu’un barbarisme,
Et ces culs de bouteille ont le dédain du prisme!
Ainsi l’on m’entendait dans ma geôle crier.
Le monologue avait le temps de varier.
Et je m’exaspérais, faisant la faute énorme,
Ayant raison au fond, d’avoir tort dans la forme.
Après l’abbé Tuet, je maudissais Bezout;
Car, outre les pensums où l’esprit se dissout,
J’étais alors en proie à la mathématique.
Temps sombre! enfant ému du frisson poétique,
Pauvre oiseau qui heurtais du crâne mes barreaux,
On me livrait tout vif aux chiffres, noirs bourreaux;
On me faisait de force ingurgiter l’algèbre;
On me liait au fond d’un Boisbertrand funèbre;
On me tordait, depuis les ailes jusqu’au bec,
Sur l’affreux chevalet des X et des Y;
Hélas! on me fourrait sous les os maxillaires
Le théorème orné de tous ses corollaires;
Et je me débattais, lugubre patient
Du diviseur prêtant main-forte au quotient.
De là mes cris.
Un jour, quand l’homme sera sage,
Lorsqu’on n’instruira plus les oiseaux par la cage,
Quand les sociétés difformes sentiront
Dans l’enfant mieux compris se redresser leur front,
Que, des libres essors ayant sondé les règles,
On connaîtra la loi de croissance des aigles,
Et que le plein midi rayonnera pour tous,
Savoir étant sublime, apprendre sera doux.
Alors, tout en laissant au sommet des études
Les grands livres latins et grecs, ces solitudes
Où l’éclair gronde, où luit la mer, où l’astre rit,
Et qu’emplissent les vents immenses de l’esprit,
C’est en les pénétrant d’explication tendre,
En les faisant aimer, qu’on les fera comprendre.
Homère emportera dans son vaste reflux
L’écolier ébloui; l’enfant ne sera plus
Une bête de somme attelée à Virgile;
Et l’on ne verra plus ce vif esprit agile
Devenir, sous le fouet d’un cuistre ou d’un abbé,
Le lourd cheval poussif du pensum embourbé.
Chaque village aura, dans un temple rustique,
Dans la lumière, au lieu du magister antique,
Trop noir pour que jamais le jour y pénétrât,
L’instituteur lucide et grave, magistrat
Du progrès, médecin de l’ignorance, et prêtre
De l’idée; et dans l’ombre on verra disparaître
L’éternel écolier et l’éternel pédant.
L’aube vient en chantant, et non pas en grondant.
Nos fils riront de nous dans cette blanche sphère;
Ils se demanderont ce que nous pouvions faire
Enseigner au moineau par le hibou hagard.
Alors, le jeune esprit et le jeune regard
Se lèveront avec une clarté sereine
Vers la science auguste, aimable et souveraine;
Alors, plus de grimoire obscur, fade, étouffant;
Le maître, doux apôtre incliné sur l’enfant,
Fera, lui versant Dieu, l’azur et l’harmonie,
Boire la petite âme à la coupe infinie.
Alors, tout sera vrai, lois, dogmes, droits, devoirs.
Tu laisseras passer dans tes jambages noirs
Une pure lueur, de jour en jour moins sombre,
Ô nature, alphabet des grandes lettres d’ombre!
Paris, mai 1831.
XIV. À Granville, en 1836
Voici juin. Le moineau raille
Dans les champs les amoureux;
Le rossignol de muraille
Chante dans son nid pierreux.
Les herbes et les branchages,
Pleins de soupirs et d’abois,
Font de charmants rabâchages
Dans la profondeur des bois.
La grive et la tourterelle
Prolongent, dans les nids sourds,
La ravissante querelle
Des baisers et des amours.
Sous les treilles de la plaine,
Dans l’antre où verdit l’osier,
Virgile enivre Silène,
Et Rabelais Grandgousier.
Ô Virgile, verse à boire!
Verse à boire, ô Rabelais!
La forêt est une gloire;
La caverne est un palais!
Il n’est pas de lac ni d’île
Qui ne nous prenne au gluau,
Qui n’improvise une idylle,
Ou qui ne chante un duo.
Car l’amour chasse aux bocages,
Et l’amour pêche aux ruisseaux,
Car les belles sont les cages
Dont nos cœurs sont les oiseaux.
De la source, sa cuvette,
La fleur, faisant son miroir,
Dit: «Bonjour», à la fauvette,
Et dit au hibou: «Bonsoir.»
Le toit espère la gerbe,
Pain d’abord et chaume après;
La croupe du bœuf dans l’herbe
Semble un mont dans les forêts.
L’étang rit à la macreuse,
Le pré rit au loriot,
Pendant que l’ornière creuse
Gronde le lourd chariot.
L’or fleurit en giroflée;
L’ancien zéphyr fabuleux
Souffle avec sa joue enflée