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Une Fille DEve

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Une Fille DEve
Название: Une Fille DEve
Автор: de Balzac Honor?
Дата добавления: 16 январь 2020
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Une Fille DEve - читать бесплатно онлайн , автор de Balzac Honor?

Deux femmes, Cl?mentine et Marie. Deux mariages, deux ?poux, charmants, convenables, vivant l'amour ? la petite semaine et soign?s comme une petite ma?tresse . Deux femmes, deux mariages, deux ?poux et, bien s?r, deux amants, vigoureux comme des tigres, de chevelure inculte et de regard napol?onien . Deux amants ? En fait un seul, Balzac lui-m?me, prodigieux narcisse et visionnaire amoureux qui ?voque ici une de ses conqu?tes et r?cup?re un de ses plus cuisants ?checs amoureux, toutes les femmes ne lui ayant pas dit, comme Mme de Berny : Adieu didi on t'aime quand m?me… malgr? la corde qui te manque. Et tous les personnages qui apparaissent dans Une fille d'Eve et deviendront les mar?chaux et les grognards de la Grande Arm?e balzacienne font de ce roman le laboratoire central de La Com?die humaine.

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– L’impertinente! s’écria du Tillet en ramassant les fleurs tombées de la coiffure de la comtesse. Vous devriez, dit-il à sa femme, étudier madame de Vandenesse. Je voudrais vous voir dans le monde impertinente comme votre sœur vient de l’être ici. Vous avez un air bourgeois et niais qui me désole.

Eugénie leva les yeux au ciel, pour toute réponse.

– Ah çà! madame, qu’avez-vous donc fait toutes deux ici? dit le banquier après une pause en lui montrant les fleurs. Que se passe-t-il pour que votre sœur vienne demain dans votre loge?

La pauvre ilote se rejeta sur une envie de dormir et sortit pour se faire déshabiller en craignant un interrogatoire. Du Tillet prit alors sa femme par le bras, la ramena devant lui sous le feu des bougies qui flambaient dans des bras de vermeil, entre deux délicieux bouquets de fleurs nouées, et il plongea son regard clair dans les yeux de sa femme.

– Votre sœur est venue pour emprunter quarante mille francs que doit un homme à qui elle s’intéresse et qui dans trois jours sera coffré comme une chose précieuse, rue de Clichy, dit-il froidement.

La pauvre femme fut saisie par un tremblement nerveux qu’elle réprima.

– Vous m’avez effrayée, dit-elle. Mais ma sœur est trop bien élevée, elle aime trop son mari pour s’intéresser à ce point à un homme.

– Au contraire, répondit-il sèchement. Les filles élevées comme vous l’avez été, dans la contrainte et les pratiques religieuses, ont soif de la liberté, désirent le bonheur, et le bonheur dont elles jouissent n’est jamais aussi grand ni aussi beau que celui qu’elles ont rêvé. De pareilles filles font de mauvaises femmes.

– Parlez pour moi, dit la pauvre Eugénie avec un ton de raillerie amère, mais respectez ma sœur. La comtesse de Vandenesse est trop heureuse, son mari la laisse trop libre pour qu’elle ne lui soit pas attachée. D’ailleurs, si votre supposition était vraie, elle ne me l’aurait pas dit.

– Cela est, dit du Tillet. Je vous défends de faire quoi que ce soit dans cette affaire. Il est dans mes intérêts que cet homme aille en prison. Tenez-vous-le pour dit.

Madame du Tillet sortit.

– Elle me désobéira sans doute, et je pourrai savoir tout ce qu’elles feront en les surveillant, se dit du Tillet resté seul dans le boudoir. Ces pauvres sottes veulent lutter avec nous.

Il haussa les épaules et rejoignit sa femme, ou, pour être vrai, son esclave.

La confidence faite à madame du Tillet par madame Félix de Vandenesse tenait à tant de points de son histoire depuis six ans, qu’elle serait inintelligible, sans le récit succinct des principaux événements de sa vie.

Parmi les hommes remarquables qui durent leur destinée à la Restauration et que, malheureusement pour elle, elle mit avec Martignac en dehors des secrets du gouvernement, on comptait Félix de Vandenesse, déporté comme plusieurs autres à la chambre des pairs aux derniers jours de Charles X. Cette disgrâce, quoique momentanée à ses yeux, le fit songer au mariage, vers lequel il fut conduit, comme beaucoup d’hommes le sont, par une sorte de dégoût pour les aventures galantes, ces folles fleurs de la jeunesse. Il est un moment suprême où la vie sociale apparaît dans sa gravité. Félix de Vandenesse avait été tour à tour heureux et malheureux, plus souvent malheureux qu’heureux, comme les hommes qui, dès leur début dans le monde, ont rencontré l’amour sous sa plus belle forme. Ces privilégiés deviennent difficiles. Puis, après avoir expérimenté la vie et comparé les caractères, ils arrivent à se contenter d’un à peu près et se réfugient dans une indulgence absolue. On ne les trompe point, car ils ne se détrompent plus; mais ils mettent de la grâce à leur résignation; en s’attendant à tout, ils souffrent moins. Cependant Félix pouvait encore passer pour un des plus jolis et des plus agréables hommes de Paris. Il avait été surtout recommandé auprès des femmes par une des plus nobles créatures de ce siècle, morte, disait-on, de douleur et d’amour pour lui; mais il avait été formé spécialement par la belle lady Dudley. Aux yeux de beaucoup de Parisiennes, Félix, espèce de héros de roman, avait dû plusieurs conquêtes à tout le mal qu’on disait de lui. Madame de Manerville avait clos la carrière de ses aventures. Sans être un don Juan, il remportait du monde amoureux le désenchantement qu’il remportait du monde politique. Cet idéal de la femme et de la passion, dont, pour son malheur, le type avait éclairé, dominé sa jeunesse, il désespérait de jamais pouvoir le rencontrer.

Vers trente ans, le comte Félix résolut d’en finir avec les ennuis de ses félicités par un mariage. Sur ce point, il était fixé: il voulait une jeune fille élevée dans les données les plus sévères du catholicisme. Il lui suffit d’apprendre comment la comtesse de Granville tenait ses filles pour rechercher la main de l’aînée. Il avait, lui aussi, subi le despotisme d’une mère; il se souvenait encore assez de sa cruelle jeunesse pour reconnaître à travers les dissimulations de la pudeur féminine, en quel état le joug aurait mis le cœur d’une jeune fille: si ce cœur était aigri, chagrin, révolté; s’il était demeuré paisible, aimable, prêt à s’ouvrir aux beaux sentiments. La tyrannie produit deux effets contraires dont les symboles existent dans deux grandes figures de l’esclavage antique: Épictète et Spartacus, la haine et ses sentiments mauvais, la résignation et ses tendresses chrétiennes. Le comte de Vandenesse se reconnut dans Marie-Angélique de Granville. En prenant pour femme une jeune fille naïve, innocente et pure, il avait résolu d’avance, en jeune vieillard qu’il était, de mêler le sentiment paternel au sentiment conjugal. Il se sentait le cœur desséché par le monde, par la politique, et savait qu’en échange d’une vie adolescente, il allait donner les restes d’une vie usée. Auprès des fleurs du printemps, il mettrait les glaces de l’hiver, l’expérience chenue auprès de la pimpante, de l’insouciante imprudence. Après avoir ainsi jugé sainement sa position, il se cantonna dans ses quartiers conjugaux avec d’amples provisions. L’indulgence et la confiance furent les deux ancres sur lesquelles il s’amarra. Les mères de famille devraient rechercher de pareils hommes pour leurs filles: l’Esprit est protecteur comme la Divinité, le Désenchantement est perspicace comme un chirurgien, l’Expérience est prévoyante comme une mère. Ces trois sentiments sont les vertus théologales du mariage.

Les recherches, les délices que ses habitudes d’homme à bonnes fortunes et d’homme élégant avaient apprises à Félix de Vandenesse, les enseignements de la haute politique, les observations de sa vie tour à tour occupée, pensive, littéraire, toutes ses forces furent employées à rendre sa femme heureuse, et il y appliqua son esprit. Au sortir du purgatoire maternel, Marie-Angélique monta tout à coup au paradis conjugal que lui avait élevé Félix, rue du Rocher, dans un hôtel où les moindres choses avaient un parfum d’aristocratie, mais où le vernis de la bonne compagnie ne gênait pas cet harmonieux laissez-aller que souhaitent les cœurs aimants et jeunes. Marie-Angélique savoura d’abord les jouissances de la vie matérielle dans leur entier, son mari se fit pendant deux ans son intendant. Félix expliqua lentement et avec beaucoup d’art à sa femme les choses de la vie, l’initia par degrés aux mystères de la haute société, lui apprit les généalogies de toutes les maisons nobles, lui enseigna le monde, la guida dans l’art de la toilette et de la conversation, la mena de théâtre en théâtre, lui fit faire un cours de littérature et d’histoire. Il acheva cette éducation avec un soin d’amant, de père, de maître et de mari; mais avec une sobriété bien entendue, il ménageait les jouissances et les leçons, sans détruire les idées religieuses. Enfin, il s’acquitta de son entreprise en grand maître. Au bout de quatre années, il eut le bonheur d’avoir formé dans la comtesse de Vandenesse une des femmes les plus aimables et les plus remarquables du temps actuel.

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