Claude Gueux
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Claude Gueux, condamn? ? de la prison pour le vol d'un pain, se retrouve pers?cut? par un gardien de prison. La seule issue que trouve Claude Gueux ? cette injustice est le meurtre de cet homme…
Victor Hugo s'est d?j? engag? dans le combat contre la peine de mort dans un roman pr?c?dent, Les Derniers Jours d'un condamn? ? mort. C'est en lisant, dans la gazette des tribunaux, le proc?s de Claude Gueux que Victor Hugo d?cide d'en ?crire la vie depuis son entr?e en prison jusqu'? son ex?cution, avant de conclure par un plaidoyer contre cette soci?t? implacable avec les victimes de la mis?re humaine.
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On l’entoura. Ce fut une fête. Claude jeta un coup d’œil rapide dans là salle. Pas un des surveillants n’y était.
– Qui est-ce qui a une hache à me prêter? dit-il.
– Pourquoi faire? lui demanda-t-on.
Il répondit:
– C’est pour tuer ce soir le directeur des ateliers.
On lui présenta plusieurs haches à choisir. Il prit la plus petite, qui était fort tranchante, la cacha dans son pantalon, et sortit. Il y avait là vingt-sept prisonniers. Il ne leur avait pas recommandé le secret. Tous le gardèrent.
Ils ne causèrent même pas de la chose entre eux.
Chacun attendit de son côté ce qui arriverait. L’affaire était terrible, droite et simple. Pas de complication possible. Claude ne pouvait être ni conseillé ni dénoncé.
Une heure après, il aborda un jeune condamné de seize ans qui bâillait dans le promenoir, et lui conseilla d’apprendre à lire. En ce moment, le détenu Faillette accosta Claude, et lui demanda ce que diable il cachait là dans son pantalon. Claude dit:
– C’est une hache pour tuer M. D. ce soir.
Il ajouta:
– Est-ce que cela se voit?
– Un peu, dit Faillette.
Le reste de la journée fut à l’ordinaire. À sept heures du soir, on renferma les prisonniers, chaque section dans l’atelier qui lui était assigné; et les surveillants sortirent des salles de travail, comme il paraît que c’est l’habitude, pour ne rentrer qu’après la ronde du directeur.
Claude Gueux fut donc verrouillé comme les autres dans son atelier avec ses compagnons de métier.
Alors il se passa dans cet atelier une scène extraordinaire, une scène qui n’est ni sans majesté ni sans terreur, la seule de ce genre qu’aucune histoire puisse raconter.
Il y avait là, ainsi que l’a constaté l’instruction judiciaire qui a eu lieu depuis, quatrevingt-deux voleurs, y compris Claude.
Une fois que les surveillants les eurent laissés seuls, Claude se leva debout sur son banc, et annonça à toute la chambrée qu’il avait quelque chose à dire. On fit silence.
Alors Claude haussa la voix et dit:
– Vous savez tous qu’Albin était mon frère. Je n’ai pas assez de ce qu’on me donne ici pour manger. Même en n’achetant que du pain avec le peu que je gagne, cela ne suffirait pas. Albin partageait sa ration avec moi; je l’ai aimé d’abord parce qu’il m’a nourri, ensuite parce qu’il m’a aimé. Le directeur, M. D., nous a séparés. Cela ne lui faisait rien que nous fussions ensemble; mais c’est un méchant homme, qui jouit de tourmenter. Je lui ai redemandé Albin. Vous avez vu, il n’a pas voulu. Je lui ai donné jusqu’au 4 novembre pour me rendre Albin. Il m’a fait mettre au cachot pour avoir dit cela. Moi, pendant ce temps-là, je l’ai jugé et je l’ai condamné à mort [2] . Nous sommes au 4 novembre. Il viendra dans deux heures faire sa tournée. Je vous préviens que je vais le tuer. Avez-vous quelque chose à dire à cela?
Tous gardèrent le silence.
Claude reprit. Il parla, à ce qu’il paraît, avec une éloquence singulière, qui d’ailleurs lui était naturelle. Il déclara qu’il savait bien qu’il allait faire une action violente, mais qu’il ne croyait pas avoir tort. Il attesta la conscience des quatrevingt-un voleurs qui l’écoutaient:
Qu’il était dans une rude extrémité;
Que la nécessité de se faire justice soi-même était un cul-de-sac où l’on se trouvait engagé quelquefois;
Qu’à la vérité il ne pouvait prendre la vie du directeur sans donner la sienne propre, mais qu’il trouvait bon de donner sa vie pour une chose juste;
Qu’il avait mûrement réfléchi, et à cela seulement, depuis deux mois;
Qu’il croyait bien ne pas se laisser entraîner par le ressentiment, mais que, dans le cas où cela serait, il suppliait qu’on l’en avertît;
Qu’il soumettait honnêtement ses raisons aux hommes justes qui l’écoutaient;
Qu’il allait donc tuer M. D., mais que, si quelqu’un avait une objection à lui faire, il était prêt à l’écouter.
Une voix seulement s’éleva, et dit qu’avant de tuer le directeur, Claude devait essayer une dernière fois de lui parler et de le fléchir.
– C’est juste, dit Claude, et je le ferai.
Huit heures sonnèrent à la grande horloge. Le directeur devait venir à neuf heures.
Une fois que cette étrange cour de cassation eut en quelque sorte ratifié la sentence qu’il avait portée, Claude reprit toute sa sérénité. Il mit sur une table tout ce qu’il possédait en linge et en vêtements, la pauvre dépouille du prisonnier, et, appelant l’un après l’autre ceux de ses compagnons qu’il aimait le plus après Albin, il leur distribua tout. Il ne garda que la petite paire de ciseaux.
Puis il les embrassa tous. Quelques-uns pleuraient, il souriait à ceux-là.
Il y eut, dans cette heure dernière, des instants où il causa avec tant de tranquillité et même de gaieté, que plusieurs de ses camarades espéraient intérieurement, comme ils l’ont déclaré depuis, qu’il abandonnerait peut-être sa résolution. Il s’amusa même une fois à éteindre une des rares chandelles qui éclairaient l’atelier avec le souffle de sa narine, car il avait de mauvaises habitudes d’éducation qui dérangeaient sa dignité naturelle plus souvent qu’il n’aurait fallu. Rien ne pouvait faire que cet ancien gamin des rues n’eût point par moments l’odeur du ruisseau de Paris.
Il aperçut un jeune condamné qui était pâle, qui le regardait avec des yeux fixes, et qui tremblait, sans doute dans l’attente de ce qu’il allait voir.
– Allons, du courage, jeune homme! lui dit Claude doucement, ce ne sera que l’affaire d’un instant.
Quand il eut distribué toutes ses hardes, fait tous ses adieux, serré toutes les mains, il interrompit quelques causeries inquiètes qui se faisaient çà et là dans les coins obscurs de l’atelier, et il commanda qu’on se remît au travail. Tous obéirent en silence.
L’atelier où ceci se passait était une salle oblongue, un long parallélogramme percé de fenêtres sur ses deux grands côtés, et de deux portes qui se regardaient à ses deux extrémités. Les métiers étaient rangés de chaque côté près des fenêtres, les bancs touchant le mur à angle droit, et l’espace resté libre entre les deux rangées de métiers formait une sorte de longue voie qui allait en ligne droite de l’une des portes à l’autre et traversait ainsi toute la salle. C’était cette longue voie, assez étroite, que le directeur avait à parcourir en faisant son inspection; il devait entrer par la porte sud et ressortir par la porte nord, après avoir regardé les travailleurs à droite et à gauche. D’ordinaire il faisait ce trajet assez rapidement et sans s’arrêter.
Claude s’était replacé lui-même à son banc, et il s’était remis au travail, comme Jacques Clément se fût remis à la prière.
Tous attendaient. Le moment approchait. Tout à coup on entendit un coup de cloche. Claude dit:
– C’est l’avant-quart.
Alors il se leva, traversa gravement une partie de la salle, et alla s’accouder sur l’angle du premier métier à gauche, tout à côté de la porte d’entrée. Son visage était parfaitement calme et bienveillant.
Neuf heures sonnèrent. La porte s’ouvrit. Le directeur entra.
En ce moment-là, il se fit dans l’atelier un silence de statues.
Le directeur était seul comme d’habitude.
Il entra avec sa figure joviale, satisfaite et inexorable, ne vit pas Claude qui était debout à gauche de la porte, la main droite cachée dans son pantalon, et passa rapidement devant les premiers métiers, hochant la tête, mâchant ses paroles, et jetant çà et là son regard banal, sans s’apercevoir que tous les yeux qui l’entouraient étaient fixés sur une idée terrible.
Tout à coup il se détourna brusquement, surpris d’entendre un pas derrière lui.
C’était Claude, qui le suivait en silence depuis quelques instants.
– Que fais-tu là, toi? dit le directeur; pourquoi n’es-tu pas à ta place?
Car un homme n’est plus un homme là, c’est un chien, on le tutoie.
Claude Gueux répondit respectueusement:
– C’est que j’ai à vous parler, monsieur le directeur.
– De quoi?
– D’Albin.
– Encore! dit le directeur.
– Toujours! dit Claude.
– Ah çà! reprit le directeur continuant de marcher, tu n’as donc pas eu assez de vingt-quatre heures de cachot?
Claude répondit en continuant de le suivre:
– Monsieur le directeur, rendez-moi mon camarade.
– Impossible!
– Monsieur le directeur, dit Claude avec une voix qui eût attendri le démon, je vous en supplie, remettez Albin avec moi, vous verrez comme je travaillerai bien. Vous qui êtes libre, cela vous est égal, vous ne savez pas ce que c’est qu’un ami; mais, moi, je n’ai que les quatre murs de ma prison. Vous pouvez aller et venir, vous; moi je n’ai qu’Albin. Rendez-le-moi. Albin me nourrissait, vous le savez bien. Cela ne vous coûterait que la peine de dire oui. Qu’est-ce que cela vous fait qu’il y ait dans la même salle un homme qui s’appelle Claude Gueux et un autre qui s’appelle Albin? Car ce n’est pas plus compliqué que cela. Monsieur le directeur, mon bon monsieur D., je vous supplie vraiment, au nom du ciel!