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Sous Le Soleil De Satan

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Sous Le Soleil De Satan
Название: Sous Le Soleil De Satan
Автор: Bernanos Georges
Дата добавления: 16 январь 2020
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Sous Le Soleil De Satan - читать бесплатно онлайн , автор Bernanos Georges

Ce roman composite alterne r?cit biographique, lettres, digressions philosophiques et narration proprement dite, en un prologue et deux parties.

Prologue. Germaine Malorthy, Mouchette, a seize ans. Elle r?v?le ? ses parents qu'elle est enceinte. Son p?re va demander r?paration au marquis de Cadignan, hobereau local, qu'il soup?onne d'avoir s?duit sa fille. Mais il n'en obtient rien et retourne sa col?re contre Mouchette. Celle-ci s'enfuit, va trouver Cadignan et se heurte aussi ? son incompr?hension. D?sesp?r?e, elle le tue…

Premi?re partie. Au cours de la nuit de No?l, l'abb? Donissan discute avec son sup?rieur, l'abb? Menou-Segrais. Ce dernier, conscient de la valeur du jeune pr?tre, refuse d'acc?der ? la demande de Donissan qui se sent moralement trop faible pour accomplir correctement sa t?che pastorale. Il le maintient dans ses fonctions et lui confie de surcro?t une mission ? ?taples. Sur la route, Donissan s'?gare, et, rencontrant un ?trange maquignon, se trouve face ? face avec lui-m?me – ou le Diable. C'est alors que, errant dans la nuit du c?t? du ch?teau de Cadignan, Mouchette surgit devant lui…

Ce premier v?ritable roman de Georges Bernanos annonce les principaux th?mes auxquels il restera fid?le par la suite: r?volte contre le pharisa?sme bien-pensant, exp?rience du Mal, d?tresse des humbles.

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Mais comme le vieux prêtre le considérait avec une stupeur évidemment sincère, il baissa le ton pour continuer, avec l’empressement des sots à se vider d’un mauvais et tragique récit:

– Ainsi, vous ignorez donc! Vous ne savez pas que la malheureuse s’était glissée dans la chambre, derrière vous? Que s’est-il passé? Vous devez le savoir mieux que moi… Nous avons entendu un cri, un éclat de rire… Puis vous avez traversé la pièce comme un égaré… Elle voulait vous suivre; nous la retenions à grand-peine; c’était un spectacle affreux… Hélas! pourquoi m’étonnerais-je qu’une faible femme dans le malheur ait subi l’entraînement de votre éloquence, la contagion de vos gestes, de votre imagination exaltée, puisque moi-même… un cerveau comme le mien… tout à l’heure… en était à douter du vrai et du faux… Elle répétait: «Il vit! Il vit!… Il va revivre!…» Elle voulait qu’on courût, qu’on vous ramenât… Miséricorde!

Il s’arrête un moment, souffle, et demande, les bras croisés:

– Voici les faits… Qu’en pensez-vous?

– Je suis perdu, répondit le curé de Lumbres, avec calme, se redressant de toute sa hauteur.

Puis il parut poursuivre du regard, dans le ciel vide, son invisible ennemi.

– Je suis perdu, reprit-il… J’étais fou… un dangereux fou… Je m’exécuterai moi-même – oui – je dois me rendre moi-même inoffensif… Une espérance me reste, c’est que le temps m’est mesuré, très mesuré… J’ai senti tout à l’heure, mon ami, la première attaque d’un mal que j’attribuais… enfin une douleur bien étrange et qui, je le sens, redoublera d’une minute à l’autre, pour m’emporter…

Il me décrivit fort nettement , rapporte le curé de Luzarnes dans les notes déjà citées, une crise classique d’angine de poitrine. Je le lui dis sans ménagements. J’aurais désiré ajouter quelques conseils (d’expérience, hélas! ma vénérable mère étant morte de cette redoutable maladie). Mais, après m’avoir fait répéter deux fois ce mot d’angor pectoris qu’il ignorait, je le vis ramasser par terre son chapeau, l’essuyer de sa manche, et partir sans vouloir m’entendre, à grands pas.

IX.

Qu’elle est longue la route du retour, la longue route! Celle des armées battues, la route du soir, qui ne mène à rien, dans la poussière vaine!… Il faut aller, cependant, il faut marcher, tant que bat ce pauvre vieux cœur, – pour rien, pour user la vie, – parce qu’il n’y a pas de repos tant que dure le jour, tant que l’astre cruel nous regarde, de son œil unique, au-dessus de l’horizon. Tant que bat le pauvre vieux cœur.

Voici la première maison du village, puis le raccourci, entre deux haies inégales, à travers prés et pommiers, qui débouche à l’entrée du cimetière, dans l’ombre même de l’église. Voici l’église de Lumbres, comme une ombre.

Le curé de Lumbres est entré, sans être vu, par la petite porte qui s’ouvre dans la sacristie même. Il s’est laissé tomber sur une chaise, le regard aux briques du sol, pétrissant son chapeau dans ses mains, encore incapable de fixer à rien sa mémoire en déroute, écoutant seulement le choc régulier du sang aux artères de son cou, avec une attention stupide.

Certes, il ne reste rien du grand vieillard, en pleine révolte, en plein défi! Pas une seconde, jusqu’à la fin, il ne trouvera la force nécessaire pour rassembler ses souvenirs, ou les démêler. L’idée seule d’un discernement si douloureux lui est odieuse, insupportable. Ah! qu’il entretienne plutôt en lui ce demi-sommeil! L’effort a été trop rude et il est tombé de trop haut; les tentations ordinaires ne sont que des rêves d’enfant, une rumination monotone, un ressassement, pareil au bavardage insidieux d’un juge. Mais lui, c’est le bourreau qui l’a questionné.

Il garde, par un geste inconscient, la main pressée sur sa poitrine, à la place même où la douleur endormie a sa racine. Plus que la terreur, cependant, d’une agonie nouvelle, la crainte l’oppresse d’abord du jugement de ses confrères, de leurs discours, des réprimandes et des sanctions de l’archevêque. Les larmes lui montent aux yeux. Il traîne sa chaise auprès d’une petite table et, la tête vide, le cœur lâche, le dos arrondi sous la menace, il s’efforce d’écrire bien lisiblement, bien proprement, pour une enquête possible, d’une belle écriture d’écolier, cette espèce de rapport dont nous avons cité plus haut quelques lignes.

Il écrit, rature, déchire. Mais, à mesure qu’il en fixe le détail sur le papier, sa miraculeuse aventure se dissipe dans son esprit, s’efface. Il ne la reconnaît plus; il y est comme étranger. L’effort même qu’il fait pour la ressaisir brise en lui la dernière, la fragile trame du souvenir, et le laisse les coudes sur la table, les yeux vagues, insensible.

Combien d’heures restera-t-il ainsi, regardant sans la voir une étroite fenêtre grillée, dans l’épaisseur de la pierre, où repasse au-dehors la branche d’un sureau balancée par le vent, au soleil, tantôt noire et tantôt verte? L’homme qui vint à midi sonner l’Angelus aperçut à travers la petite lucarne de la porte, dans l’ombre, son chapeau tombé à terre, et son bréviaire, dont il vit les images et les signets éparpillés sur le sol. À cinq heures, un élève du catéchisme de Première Communion, Sébastien Mallet, venu pour rechercher un livre oublié, trouva la porte close, mais, n’entendant rien, s’en fut. «Je n’osai pas frapper trop fort, ni appeler, dit-il ensuite, car l’église était déjà pleine de monde, et j’avais bien peur qu’on ne m’interrogeât.» C’était l’heure en effet où la foule des pèlerins que la diligence automobile de Piessis-Baugrenan amène chaque jour à Lumbres se pressait au confessionnal du saint, dans la chapelle des Anges. Foule singulière, où l’on vit coude à coude tant de personnages tragiques ou comiques, tant de marionnettes illustres que la chaleur J’une grande âme élevait un moment au-dessus du banal mensonge, restituait au règne humain! Ce soir-là, plus nombreuse encore, énervée par l’attente, ou peut-être agitée d’un pressentiment obscur, dans la vieille église en rumeur… À chaque battement de la grand-porte, les visages inquiets – ces visages tendus que les familiers du pèlerinage n’oublieront jamais – se tournaient vers le seuil un instant lumineux, puis rentraient dans l’ombre tous ensemble. Les chuchotements discrets, les toux nerveuses qu’on étouffe de la main, mille petits gestes divers d’impatience ou de curiosité, finissaient par se confondre en un seul bruit étrange, comparable au piétinement d’un troupeau dans l’orage et la pluie. Soudain, ce bruit même cessa. Tout se tut. La porte de la sacristie grinçait dans un silence solennel. Le curé de Lumbres parut.

– Dieu, qu’il est pâle! dit une voix de femme, au loin, dans la nef.

Ce cri, entendu nettement, rompit le charme. Le troupeau retrouva son maître et respira.

Déjà le vieux prêtre gagnait son confessionnal, lentement, la tête un peu penchée sur l’épaule droite, la main toujours pressée sur son cœur. Au premier pas, il crut tomber. Mais un remous de la foule l’avait déjà porté au but; elle se refermait sur lui. Encore un coup, il était leur proie.

Il ne leur échappera plus. Il reste debout, dans l’épaisse nuit, sa haute taille pliée en deux, la nuque au plafond de chêne, cherchant son haleine. Il abandonne à la souffrance un corps inerte, humilié, sa dépouille. Sa stupide patience lasserait le bourreau.

Mais qui pourra lasser jamais celui-là qui l’observe, invisible, et se satisfait de son agonie? Il faut que le misérable vieillard, un moment rebelle, presque vainqueur, sente sur lui jusqu’à la fin cette puissance qu’il a bravée… Plût à Dieu qu’il reconnût au moins, face à face, son ennemi! Mais ce n’est pas cette voix qu’il entendra, ce dernier défi… Voici qu’à travers la douleur aiguë la conscience lui revient, par degrés, qu’il écoute… Il écoute un murmure bientôt plus distinct… monotone… inexorable. Il le reconnaît… Ce sont eux. Un par un, hommes et femmes, les voilà tous, dont il sent le souffle monter vers lui, moins détestable que leur parole impure, mornes litanies du péché, mots souillés depuis des siècles, ignoblement ternis par l’usage, passant de la bouche des pères dans celle des fils, pareils aux pages les plus lues d’un mauvais livre, et que le vice a marquées de son signe – contresignées – dans la crasse de milliers de doigts. Elle monte, cette parole; elle recouvre peu à peu le saint de Lumbres encore debout. Comme ils se hâtent! Comme ils vont vite!… Mais, sitôt le souffle revenu, vous les verrez – ah! vous les verrez ces affreux enfants! – chercher, tâter des lèvres la hideuse mamelle que Satan presse pour eux, gonflée du poison chéri!… Jusqu’à la mort, lève la main, pardonne, absous, homme de la Croix vaincu d’avance!

Il écoute, il répond comme en rêve, mais avec une extrême lucidité. Jamais son cerveau ne fut plus libre, son jugement plus prompt, plus net, tandis que sa chair n’est attentive qu’à la douleur grandissante, au point fixe d’où la souffrance aiguë s’irradie, pousse en tous sens ses merveilleux rameaux, ou court sous la trame des nerfs, pareille à une navette agile. Elle a pénétré si avant qu’elle semble atteindre la division du corps et de l’esprit, faire deux parts du même homme… Le saint de Lumbres à l’agonie n’a plus commerce qu’avec les âmes. Il les voit, de ce regard sur lequel la paupière est déjà retombée, – elles seules… Crispé à la cloison sonore, les reins douloureusement pressés sur la stalle où il n’ose s’asseoir, la bouche ouverte pour aspirer l’air épais, ruisselant de sueur, il n’entend que ce murmure à peine distinct, la voix de ses fils à genoux, pleine de honte. Ah! qu’ils parlent ou se taisent, la grande âme impatiente a déjà devancé l’aveu, ordonne, menace, supplie! L’homme de la Croix n’est pas là pour vaincre, mais pour témoigner jusqu’à la mort de la ruse féroce, de la puissance injuste et vile, de l’arrêt inique dont il appelle à Dieu. Regardez ces enfants, Seigneur, dans leur faiblesse! leur vanité, aussi légère et aussi prompte qu’une abeille, leur curiosité sans constance, leur raison courte, élémentaire, leur sensualité pleine de tristesse…, entendez leur langage, à la fois fruste et perfide, qui n’embrasse que les contours des choses, riche de la seule équivoque, assez ferme quand il nie, toujours lâche pour affirmer, langage d’esclave ou d’affranchi, fait pour l’insolence et la caresse, souple, insidieux, déloyal. Pater, dimitte illis, non enim sciunt quid facient!

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