Jean-Christophe Tome V
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Vaste roman cyclique, ce roman fleuve est un signe d'amour et d'espoir adress? ? la g?n?ration suivante. Le h?ros, un musicien de g?nie, doit lutter contre la m?diocrit? du monde. M?lant r?alisme et lyrisme, cette fresque est le tableau du monde de la fin du XIX?me si?cle au d?but du vingti?me.
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Le premier mouvement de Christophe fut de hausser les ?paules et de jurer qu’il n’irait pas. – Mais ? mesure que le jour du concert approchait, il ?tait moins d?cid?. Il ?touffait de ne plus entendre une parole humaine, ni surtout une note de musique. Il se r?p?tait pourtant que jamais il ne remettrait les pieds chez ces gens-l?, Mais, le soir venu, il y alla, tout honteux de sa l?chet?.
Il en fut mal r?compens?. ? peine se retrouva-t-il dans ce milieu de politiciens et de snobs qu’il fut ressaisi d’une aversion pour eux plus violente encore que nagu?re: car dans ses mois de solitude, il s’?tait d?shabitu? de cette m?nagerie. Impossible d’entendre de la musique ici: c’?tait une profanation. Christophe d?cida de partir, aussit?t apr?s le premier morceau.
Il parcourait des yeux tout ce cercle de figures et de corps antipathiques. Il rencontra, ? l’autre extr?mit? du salon, des yeux qui le regardaient et se d?tourn?rent aussit?t. Il y avait en eux je ne sais quelle candeur qui le frappa, parmi ces regards blas?s. C’?taient des yeux timides, mais clairs, pr?cis, des yeux ? la fran?aise, qui, une fois qu’ils se fixaient sur vous, vous regardaient avec une v?rit? absolue, qui ne cachaient rien de soi, et ? qui rien de vous n’?tait peut-?tre cach?. Il connaissait ces yeux. Pourtant, il ne connaissait pas la figure qu’ils ?clairaient. C’?tait celle d’un jeune homme de vingt ? vingt-cinq ans, de petite taille, un peu pench?, l’air d?bile, le visage imberbe et souffreteux, avec des cheveux ch?tains, des traits irr?guliers et fins, une certaine asym?trie, donnant ? l’expression quelque chose, non de trouble, mais d’un peu troubl?, qui n’?tait pas sans charme, et semblait contredire la tranquillit? des yeux. Il ?tait debout dans l’embrasure d’une porte; et personne ne faisait attention ? lui. De nouveau, Christophe le regardait; et, ? chaque fois, il les «reconnaissait»: il avait l’impression de les avoir vus d?j? dans un autre visage.
Incapable de cacher ce qu’il sentait, suivant son habitude, Christophe se dirigea vers le jeune homme; mais, tout en approchant, il se demandait ce qu’il pourrait lui dire; et il s’attardait, ind?cis, regardant ? droite, et ? gauche, comme s’il allait au hasard. L’autre n’en ?tait pas dupe, et comprenait que Christophe venait ? lui; il ?tait si intimid?, ? la pens?e de lui parler, qu’il songeait ? passer dans la pi?ce voisine; mais il ?tait clou? sur place par sa gaucherie m?me. Ils se trouv?rent l’un en face de l’autre. Il se passa quelques moments avant qu’ils r?ussissent ? trouver une entr?e en mati?re. ? mesure que la situation se prolongeait, chacun d’eux se croyait ridicule aux yeux de l’autre. Enfin, Christophe regarda en face le jeune homme, et, sans autre pr?ambule, lui dit en souriant, sur un ton bourru:
– Vous n’?tes pas Parisien?
? cette question inattendue, le jeune homme sourit malgr? sa g?ne, et r?pondit que non. Sa voix faible et d’une sonorit? voil?e ?tait comme un instrument fragile.
– Je m’en doutais, fit Christophe.
Et, comme il le vit un peu confus de cette singuli?re remarque, il ajouta:
– Ce n’est pas un reproche.
Mais la g?ne de l’autre ne fit qu’en augmenter.
Il y eut un nouveau silence. Le jeune homme faisait des efforts pour parler; ses l?vres tremblaient; on sentait qu’il avait une phrase toute pr?te ? dire, mais qu’il ne pouvait se d?cider ? la prononcer. Christophe ?tudiait avec curiosit? ce visage mobile, o? l’on voyait passer de petits fr?missements sous la peau transparente; il ne semblait pas de la m?me essence que ceux qui l’entouraient dans ce salon, des faces massives, de lourde mati?re, qui n’?taient qu’un prolongement du cou, un morceau du corps. Ici, l’?me affleurait ? la surface; il y avait une vie morale dans chaque parcelle de chair.
Il ne r?ussissait pas ? parler. Christophe, bonhomme, continua:
– Que faites-vous ici, au milieu de ces ?tres?
Il parlait tout haut, avec cette ?trange libert?, qui le faisait ha?r. Le jeune homme, g?n?, ne put s’emp?cher de regarder autour d’eux si on ne les entendait pas; et ce mouvement d?plut ? Christophe. Puis, au lieu de r?pondre, il demanda, avec un sourire gauche et gentil:
– Et vous?
Christophe se mit ? rire, de son rire un peu lourd.
– Oui. Et moi? fit-il, de bonne humeur.
Le jeune homme se d?cida brusquement:
– Comme j’aime votre musique! dit-il, d’une voix ?trangl?e.
Puis, il s’arr?ta, faisant de nouveaux et inutiles efforts pour vaincre sa timidit?. Il rougissait; il le sentait; et sa rougeur en augmentait, gagnait les tempes et les oreilles. Christophe le regardait en souriant, et il avait envie de l’embrasser. Le jeune homme leva des yeux d?courag?s vers lui.
– Non, d?cid?ment, dit-il; je ne puis pas, je ne puis pas parler de cela… pas ici…
Christophe lui prit la main, avec un rire muet de sa large bouche ferm?e. Il sentit les doigts maigres de l’inconnu trembler l?g?rement contre sa paume, et l’?treindre avec une tendresse involontaire; et le jeune homme sentit la robuste main de Christophe qui lui ?crasait affectueusement la main. Le bruit du salon disparut autour d’eux. Ils ?taient seuls ensemble, et ils comprirent qu’ils ?taient amis.
Ce ne fut qu’une seconde, apr?s laquelle Mme Roussin, touchant l?g?rement le bras de Christophe avec son ?ventail, lui dit:
– Je vois que vous avez fait connaissance, et qu’il est inutile de vous pr?senter. Ce grand gar?on est venu pour vous, ce soir.
Alors, ils s’?cart?rent l’un de l’autre, avec un peu de g?ne.
Christophe demanda ? Mme Roussin:
– Qui est-ce?
– Comment! fit-elle, vous ne le connaissez pas? C’est un petit po?te, qui ?crit gentiment! Un de vos admirateurs. Il est bon musicien, et joue bien du piano. Il ne fait pas bon vous discuter devant lui: il est amoureux de vous. L’autre jour, il a failli avoir une altercation, ? votre sujet, avec Lucien L?vy-C?ur.
– Ah! le brave gar?on! dit Christophe.
– Oui, je sais, vous ?tes injuste pour ce pauvre Lucien. Cependant, il vous aime aussi.
– Ah! ne me dites pas cela! Je me ha?rais.
– Je vous assure.
– Jamais! Jamais! Je le lui d?fends.
– Juste ce qu’a fait votre amoureux. Vous ?tes aussi fous l’un que l’autre. Lucien ?tait en train de nous expliquer une de vos ?uvres. Ce petit timide que vous venez de voir s’est lev?, tremblant de col?re, et lui a d?fendu de parler de vous. Voyez-vous cette pr?tention!… Heureusement que j’?tais l?. J’ai pris le parti de rien, et il a fini par faire des excuses.
– Pauvre petit! dit Christophe.
Il ?tait ?mu.
– O? est-il pass?? continua-t-il, sans ?couter Mme Roussin, qui lui parlait d’autre chose.
Il se mit ? sa recherche. Mais l’ami inconnu avait disparu. Christophe revint vers Mme Roussin:
– Dites-moi comment il se nomme.
– Qui? demanda-t-elle.
– Celui dont vous m’avez parl?.
– Votre petit po?te? dit-elle. Il se nomme Olivier Jeannin.
L’?cho de ce nom tinta aux oreilles de Christophe comme une musique connue. Une silhouette de jeune fille flotta, une seconde, au fond de ses yeux. Mais la nouvelle image, l’image de l’ami l’effa?a aussit?t.
Christophe rentrait chez lui. Il marchait dans les rues de Paris, au milieu de la foule. Il ne voyait, il n’entendait rien, il avait les sens ferm?s ? tout ce qui l’entourait. Il ?tait comme un lac, s?par? du reste du monde par un cirque de montagnes. Nul souffle, nul bruit, nul trouble. La paix. Il se r?p?tait:
– J’ai un ami.
[1] Voir Le Matin
[2] Oiseau imaginaire, fabuleux. - Conte en l'air, baliverne, sornette, sottise. (Note du correcteur – ELG.)
[3] Lieu de d?sordre et de confusion. Anarchie.
Le roi P?taud ?tait le chef de la corporation des mendiants, au Moyen-?ge. Par d?rision, car P?taud vient du latin peto demander l'aum?ne ou bient p?ter. Moli?re cite dans Tartuffe la cour du roi P?taud: «On n’y respecte rien; chacun y parle haut.» (Note du correcteur – ELG.)
[4] R?f?rence aux Voyages de Gulliver, d?couvrant un monde o? deux peuples s’affrontent ? mort pour savoir par quel bout on doit ouvrir un oeuf dur. (Note du correcteur – ELG.)
[5] Dans la pi?ce Amphitryon de Moli?re, Sosie dit: «Messieurs, ami de tout le monde.» (Note du correcteur – ELG.)
[6] Etre vivant qui par sa forme ressemble ? un homme et en poss?de les qualit?s qui le distinguent des animaux (intellect, parole,…), mais qui n’est pas habit? par une ?me humaine. (Note du correcteur – ELG.)
[7] Mot espagnol qui signifie «pot-pourri» et qui ?tait souvent employ? pour rendre compte de la diversit? nationale de la Mac?doine. (Note du correcteur – ELG.)