Les Freres Karamazov
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Ce chef d'oeuvre de Dosto?evski nous raconte l'histoire d'un p?re et de ses fils dans une petite ville russe, au XIXe si?cle. C'est ? la fois un roman «policier», psychologique, philosophique, c'est avant tout le roman de la Passion, cette passion pleine de violence et de sensualit?, si caract?ristique de l'«?me russe». Ce livre foisonnant vous «prend», vous embarque pour un voyage que vous ne regretterez pas.
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Une sorte de haine et de dégoût perçait à travers ces paroles. Cependant, elle l’avait trahi. «Eh bien! c’est peut-être parce qu’elle se sent coupable envers lui qu’elle le hait par moments», songea Aliocha. Il aurait voulu que ce ne fût que «par moments».
Il avait senti un défi dans les dernières paroles de Katia, mais il ne le releva point.
«Je vous ai prié de venir aujourd’hui pour que vous me promettiez de le convaincre. Mais peut-être d’après vous aussi, serait-ce déloyal et vil de s’évader, ou comment dire… pas chrétien? ajouta Katia avec une provocation encore plus marquée.
– Non, ce n’est rien. Je lui dirai tout… murmura Aliocha… Il vous prie de venir le voir aujourd’hui», reprit-il brusquement, en la regardant dans les yeux.
Elle tressaillit et eut un léger mouvement de recul.
«Moi… est-ce possible? fit-elle en pâlissant.
– C’est possible et c’est un devoir! déclara Aliocha d’un ton ferme. Vous lui êtes plus nécessaire que jamais. Je ne vous aurais pas tourmentée prématurément à ce sujet sans nécessité. Il est malade, il est comme fou, il vous demande constamment. Ce n’est pas pour une réconciliation qu’il veut vous voir; montrez-vous seulement sur le seuil de sa chambre. Il a bien changé depuis cette fatale journée et comprend toute l’étendue de ses torts envers vous. Ce n’est pas votre pardon qu’il veut: «On ne peut pas me pardonner», dit-il lui-même. Il veut seulement vous voir sur le seuil…
– Vous me prenez à l’improviste…, murmura Katia; je pressentais ces jours-ci que vous viendriez dans ce dessein… Je savais bien qu’il me demanderait!… C’est impossible!
– Impossible, soit, mais faites-le. Souvenez-vous que, pour la première fois, il est consterné de vous avoir fait de tels affronts, jamais encore il n’avait compris ses torts aussi profondément! Il dit: «Si elle refuse de venir, je serai toujours malheureux.» Vous entendez: un condamné à vingt ans de travaux forcés songe encore au bonheur, cela ne fait-il pas pitié? Songez que vous allez voir une victime innocente, dit Aliocha avec un air de défi. Ses mains sont nettes de sang. Au nom de toutes les souffrances qui l’attendent, allez le voir maintenant! Venez, conduisez-le dans les ténèbres, montrez-vous seulement sur le seuil… Vous devez, vous devez le faire, conclut Aliocha en insistant avec énergie sur le mot «devez».
– Je dois… mais je ne peux pas…, gémit Katia; il me regardera… Non, je ne peux pas.
– Vos regards doivent se rencontrer. Comment pourrez-vous vivre désormais, si vous refusez maintenant?
– Plutôt souffrir toute ma vie.
– Vous devez venir, il le faut, insista de nouveau Aliocha, inflexible.
– Mais pourquoi aujourd’hui, pourquoi tout de suite?… Je ne puis pas abandonner le malade…
– Vous le pouvez, pour un moment, ce ne sera pas long. Si vous ne venez pas, Dmitri aura le délire cette nuit. Je ne vous mens pas, ayez pitié!
– Ayez pitié de moi! dit avec amertume Katia, et elle fondit en larmes.
– Alors vous viendrez! proféra fermement Aliocha en la voyant pleurer. Je vais lui dire que vous venez tout de suite.
– Non, pour rien au monde, ne lui en parlez pas! s’écria Katia avec effroi. J’irai, mais ne le lui dites pas à l’avance, car peut-être n’entrerai-je pas… Je ne sais pas encore.»
Sa voix se brisa. Elle respirait avec peine. Aliocha se leva pour partir.
«Et si je rencontrais quelqu’un? dit-elle tout à coup, en pâlissant de nouveau.
– C’est pourquoi il faut venir tout de suite; il n’y aura personne, soyez tranquille. Nous vous attendrons», conclut-il avec fermeté; et il sortit.
II. Pour un instant le mensonge devint vérité
Il se hâta vers l’hôpital où était maintenant Mitia. Le surlendemain du jugement, ayant contracté une fièvre nerveuse, on l’avait transporté à l’hôpital, dans la division des détenus. Mais le Dr Varvinski, à la demande d’Aliocha, de Mme Khokhlakov, de Lise et d’autres, fit placer Mitia dans une chambre à part, celle qu’occupait naguère Smerdiakov. À vrai dire, au fond du corridor se tenait un factionnaire, et la fenêtre était grillée; Varvinski pouvait donc être rassuré sur les suites de cette complaisance un peu illégale. Bon et compatissant, il comprenait combien c’était dur pour Mitia d’entrer sans transition dans la société des malfaiteurs, et qu’il lui fallait d’abord s’y habituer. Les visites étaient autorisées en sous-main par le médecin, le surveillant et même l’ispravnik, mais seuls Aliocha et Grouchegnka venaient voir Mitia. À deux reprises, Rakitine avait tenté de s’introduire, mais Mitia pria instamment Varvinski de ne pas le laisser entrer.
Aliocha trouva son frère assis sur sa couchette, en robe de chambre, la tête entourée d’une serviette mouillée d’eau et de vinaigre; il avait un peu de fièvre. Il jeta sur Aliocha un regard vague où perçait une sorte d’effroi.
En général, depuis sa condamnation, il était devenu pensif. Parfois, il restait une demi-heure sans rien dire, paraissant se livrer à une méditation douloureuse, oubliant son interlocuteur. S’il sortait de sa rêverie, c’était toujours à l’improviste et pour parler d’autre chose que ce dont il fallait. Parfois, il regardait son frère avec compassion et semblait moins à l’aise avec lui qu’avec Grouchegnka. À vrai dire, il ne parlait guère à celle-ci, mais dès qu’elle entrait, son visage s’illuminait. Aliocha s’assit en silence à côté de lui. Dmitri l’attendait avec impatience, pourtant il n’osait l’interroger. Il estimait impossible que Katia consentît à venir, tout en sentant que si elle ne venait pas, sa douleur serait intolérable. Aliocha comprenait ses sentiments.
«Il paraît que Tryphon Borissytch a presque démoli son auberge, dit fiévreusement Mitia. Il soulève les feuilles des parquets, arrache des planches; il a démonté toute sa galerie, morceau par morceau, dans l’espoir de trouver un trésor, les quinze cents roubles qu’à en croire le procureur j’aurais cachés là-bas. Sitôt de retour, on dit qu’il s’est mis à l’œuvre. C’est bien fait pour le coquin. Je l’ai appris hier d’un gardien qui est de là-bas.
– Écoute, dit Aliocha, elle viendra, je ne sais quand, peut-être aujourd’hui, ou dans quelques jours, je l’ignore. Mais elle viendra, c’est sûr.»
Mitia tressaillit, il aurait voulu parler, mais garda le silence. Cette nouvelle le bouleversait. On voyait qu’il était anxieux de connaître les détails de la conversation, tout en redoutant de les demander; un mot cruel ou dédaigneux de Katia eût été pour lui, en ce moment, un coup de poignard.
«Elle m’a dit, entre autres, de tranquilliser ta conscience au sujet de l’évasion. Si Ivan n’est pas guéri à ce moment, c’est elle qui s’en occupera.
– Tu m’en as déjà parlé, fit observer Mitia.
– Et toi, tu l’as déjà répété à Grouchegnka.
– Oui, avoua Mitia, avec un regard timide à son frère. Elle ne viendra que ce soir. Quand je lui ai dit que Katia agissait, elle s’est tue d’abord, les lèvres contractées; puis elle a murmuré: «Soit!» Elle a compris que c’était grave. Je n’ai pas osé la questionner. Maintenant elle paraît comprendre que ce n’est pas moi, mais Ivan que Katia aime.