Nanon
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Nanon, n?e en 1775, raconte en 1850 les ?v?nements qu'elle a v?cus dans son enfance et sa jeunesse. La p?riode pr?r?volutionnaire est ?voqu?e comme un temps imm?morial, o? rien ne semble devoir changer. On apprend la prise de la Bastille un jour de march?. George Sand ?voque fort bien la Grande Peur dans ce qu'elle a d'irrationnel et de terrifiant, la f?te de la F?d?ration, moment d'exaltation et de bonheur, puis la vente des biens nationaux. Ainsi, Nanon peut devenir propri?taire de sa maison…
C'est une vue de la R?volution, ?quilibr?e et sans fanatisme, que donne ce grand roman. Paru en 1872 – George Sand a donc soixante-huit ans -, il t?moigne que la capacit? de travail et la force d'invention sont intactes chez la romanci?re. Forte d'une documentation impressionnante, l'auteur conduit le r?cit avec une all?gresse et une c?l?rit? qui nous ?tonnent. Nanon est un des tr?s rares romans qui traite de la R?volution Fran?aise dans les campagnes, vue ? travers les yeux d'une paysanne.
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– Non, c'est contre moi que j'ai été fâché. Je vois bien que je mérite ce qu'on pense de moi, et j'ai fait promesse à moi-même d'apprendre tout ce que les moines pourront m'enseigner.
– À la bonne heure, et alors vous m'enseignerez aussi?
– C'est convenu.
Comme le feu flambait et éclairait la chambre, il vit nos bois de lit et nos paillasses en tas, dans le milieu:
– Où donc coucherez-vous? me dit-il.
– Oh! moi, répondis-je, j'irai dormir avec Rosette, puisque je ne crains plus rien. Mes cousins se moquent d'une nuit à la franche étoile; il n'y a que mon pauvre vieux oncle qui en sera fatigué. Je voudrais avoir la force de lui dresser son lit, car il dormira de bon cœur quand il saura que les brigands ne viennent point.
– Si tu n'as pas la force, je l'ai, moi!
Et il se mit à la besogne. En un tour de main il releva et remmancha le lit du père Jean et ma petite couchette. Je remis la vaisselle en place sur la table et la soupe aux raves fumait dans les écuelles quand mon oncle rentra avec Jacques. Ils n'avaient pu se faire entendre de personne et ils revenaient toujours courant, car ils avaient vu la fumée de mon feu et ils croyaient que la maison brûlait. Ils s'attendaient à nous trouver morts, Pierre, Rosette et moi.
Ils furent contents de souper et de pouvoir dormir sans crainte, et, dans le premier moment, ils ne savaient comment remercier le petit frère. Mais, tout en mangeant, le grand-père redevenait soucieux. Le petit frère partit, il observa que c'était un enfant, qu'il avait bien pu ne pas comprendre ce que disaient les moines, et que, puisque tout le monde avait la grand'peur, il fallait bien qu'il y eût un grand danger. Il refusa de se coucher, et, pendant que nous dormions, il veilla, assis sur le banc de pierre de la cheminée.
Le lendemain tout le monde fut étonné de se trouver sain et sauf. Les gars de la paroisse montèrent sur les plus grands arbres au faîte du ravin, et ils virent au loin des troupes de monde qui marchaient en ordre dans le brouillard du matin. Vitement chacun rentra chez soi et tout le monde parla d'abandonner ce qu'on avait et d'aller se cacher dans les bois et dans les creux de rochers. Mais il nous arriva bientôt des messagers qui eurent peine à se faire entendre, car, au premier moment, on les prenait pour des ennemis et on voulait les attaquer à coups de pierres. C'était pourtant des gens des environs, et, quand on les eût reconnus, on se pressa autour d'eux. Ils nous apprirent qu'à la nouvelle de l'approche des brigands, dont personne ne doutait dans le pays et dans tous les autres pays, on avait fait accord pour se défendre. On s'était armé comme on avait pu et on s'était mis en bandes pour battre la campagne et arrêter les mauvaises gens. On comptait que nous allions nous armer aussi et nous joindre aux autres paroisses.
Personne de chez nous ne s'en souciait. On disait qu'on n'avait point d'armes et que, d'ailleurs, les moines ne croyaient point aux brigands, car le petit frère était là qui, sans trahir l'opinion des moines, tâchait de faire entendre la vérité. Mais le grand Repoussat de la Foudrasse et le borgne de Bajadoux, qui étaient des hommes très hardis, se moquèrent de nous et même nous firent honte d'être si patients.
– On voit bien, disaient-ils, que vous êtes des enfants de moines, et que la peur vous tient en même temps que la malice. Vos cafards de maîtres veulent livrer le pays aux brigands et ils vous empêchent de le défendre; mais, si vous aviez un peu de cœur, vous seriez déjà armés. Il y a dans le moutier plus qu'il ne faut pour vous et pour les voisins. Il y a aussi des provisions en cas de siège. Or çà, nous allons rejoindre nos camarades et leur dire votre couardise; et alors, nous viendrons tous en bataille nous emparer du couvent et des armes, puisque vous n'en voulez point et ne sauriez vous en servir.
Ces paroles-là mirent le feu dans la paille. On se prit à craindre les gens d'alentour plus que les brigands, et on décida en grand tumulte qu'on voulait être maître chez soi et faire ses affaires entre paroissiens. On s'appela les uns les autres, on se réunit devant la place du moutier, qui était une grosse pente de gazon toute bossuée, avec une fontaine aux miracles dans le milieu. Le grand Repoussat, qui prétendait à l'honneur d'avoir réveillé nos courages, commença par dire qu'il fallait d'abord épeurer les moines, en cassant la Bonne Dame de la fontaine. Mon grand-oncle, qui se trouvait là, se fâcha beaucoup. Il était bien toujours d'avis qu'il fallait réclamer la protection du couvent et s'y mettre en sûreté; mais il ne voulait point souffrir de profanation, et il parla, tout vieux qu'il était, de fendre la tête avec sa bêche au premier qui ferait des sottises. On l'écouta, parce qu'il était le plus ancien de la paroisse et très estimé.
Pendant ce temps, le petit frère, s'étant bien mis au courant de ce qui se passait, rentra au moutier par les brèches qu'il connaissait mieux que pas un. Il trouva les moines très effrayés et ne songeant qu'à se barricader. Il leur fit comprendre que leurs paysans ne leur voulaient pas tant de mal que ceux des autres endroits, et que le plus sage était de se confier à eux.