Les Pardaillan – Livre V – Pardaillan Et Fausta
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1590. ? Rome, Fausta, apr?s avoir mis au monde le fils de Pardaillan, b?n?ficie de la gr?ce du pape Sixte Quint, qui se pr?pare ? intervenir aupr?s du roi d'Espagne Philippe II dans le conflit qui l'oppose ? Henri IV roi de France. Fausta est investie d'une mission aupr?s de Philippe II: lui faire part d'un document secret par lequel le roi de France Henri III reconnaissait formellement Philippe II comme son successeur l?gitime sur le tr?ne de France. En France, le chevalier de Pardaillan est investi par Henri IV, absorb? par le si?ge de Paris, d'une double mission: d?jouer les manoeuvres de Fausta et obtenir de Philippe II la reconnaissance de la l?gitimit? d'Henri de Navarre comme roi de France. Pardaillan et Fausta s'affrontent ? S?ville. Pardaillan est aid? dans sa lutte par Cervant?s, qui reconna?t en lui le vrai Don Quichotte. Sortira-il vivant des traquenard tendus par le Grand Inquisiteur Don Espinoza et Fausta?
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– Expliquez-moi un peu cela, madame… si toutefois ce n’est pas être trop curieux.
– Tu mourras par la faim et par la soif.
– Diable! c’est assez hideux cela, madame, et, voyez ma naïveté, j’aurais eu honte de vous croire capable d’une pareille monstruosité… Comme on se trompe!…
– Je sais, Pardaillan, c’est une mort lente et horrible. Aussi ai-je voulu te l’éviter, et c’est pourquoi j’ai eu recours au poison. Prie Dieu que ce poison agisse sur toi, c’est la seule chance qui te reste d’échapper au supplice de la faim.
– Bon! goguenarda le chevalier, je reconnais là votre habituelle circonspection. Vous avez si grand-peur de me manquer que vous vous êtes dit que deux précautions valent mieux qu’une.
– C’est vrai, Pardaillan. Aussi ai-je pris non pas deux mais toutes les précautions possibles. Vois-tu cette porte de fer qui ferme ta tombe?
– Je ne la vois pas, madame, parbleu! Je n’ai pas des yeux de hibou pour voir dans la nuit. Mais si je ne la vois pas, je l’ai reconnue avec mes doigts.
– Cette porte, dont la clé a été jetée dans le fleuve, dans quelques heures sera murée… Le mécanisme actionnant le plafond par où tu es descendu sera détruit, la chambre où je suis aura ses portes et sa fenêtre murées… Alors tu seras isolé du monde, alors tu seras muré vivant, nul ne soupçonnera que tu es là, nul ne pourra t’entendre si tu appelles, nul ne pourra pénétrer jusqu’à toi, même pas moi… Comprends-tu, Pardaillan, que tu es bien condamné et que rien au monde ne peut te sauver, maintenant?
– Bah! vous avez beau entasser les obstacles, j’échapperai au poison, je ne mourrai pas de faim et je sortirai d’ici vivant… Le seul avantage que vous retirerez de cette nouvelle marque d’affection qu’il vous a plu de me donner… car c’est pour me témoigner votre amour, n’est-ce pas, que vous voulez à toute force me retrancher du nombre des vivants?…
– Oui, Pardaillan, c’est parce que je t’aime qu’il faut que tu meures, râla la voix de Fausta.
– Je disais bien, railla Pardaillan, et que la peste m’étrangle si je comprends rien à cette manière d’affectionner les gens… Je disais donc que le seul avantage que vous retirerez de cette nouvelle marque d’amour sera d’allonger un peu plus le compte que nous aurons à régler un jour… et que nous réglerons en effet, ou j’y perdrai mon nom de Pardaillan.
Ces derniers mots furent dits sur un ton qui ne laissait aucun doute sur les intentions du chevalier, intentions peu bienveillantes, on le conçoit aisément.
Fausta, comédienne géniale par certains côtés, était, par certains autres, ardemment sincère et convaincue. C’était en quelque sorte une illuminée. La foi vibrante qu’elle avait eue en son œuvre s’était, sous le choc des revers répétés, peu à peu effacée. Elle persistait pourtant, mais c’était maintenant l’orgueil qui la guidait; c’était cet esprit de domination qu’elle tenait du sang des Borgia, dont elle était issue, qui présidait à toutes ses décisions.
Précipitée du haut des cimes inaccessibles où sa foi l’avait élevée et longtemps maintenue, elle s’était relevée meurtrie, désemparée, étonnée d’un étonnement prodigieux de se voir ramenée brutalement à terre elle qui se proclamait «la Vierge», elle qui sincèrement se croyait l’Envoyé et l’Élue de Dieu.
Et qui l’avait ainsi abattue? Pardaillan.
Dès lors, la superstition s’empara d’elle, l’effroi entra dans ce cœur jusque-là indompté, et superstition et terreur unies exercèrent sur elle leur action dissolvante.
Longtemps elle avait cru qu’en tuant Pardaillan elle tuerait du même coup ces sentiments nouveaux qui la choquaient et ne pouvaient pas ne pas la choquer, car elle était trop véritablement artiste raffinée, éprise de toute beauté, d’où qu’elle jaillit, fût-ce l’horreur.
Pardaillan avait résisté à tous ses coups. Comme le phénix de la légende, cet homme réapparaissait alors qu’elle se croyait certaine de l’avoir tué, bien définitivement tué. Et chaque fois qu’il réapparaissait ainsi, c’était pour anéantir irrémédiablement ses combinaisons les plus savantes, longuement et patiemment échafaudées.
Sa stupeur avait fait place à la terreur. Et la superstition s’en mêlant, elle n’était pas éloignée de croire que cet homme était invincible, plus qu’invincible: immortel. De là à croire que Pardaillan était son mauvais génie contre lequel elle s’épuiserait vainement, de là à croire que Pardaillan échapperait fatalement à toutes ses embûches jusqu’au jour où elle succomberait sous ses coups, il n’y avait qu’un pas qui fut vite franchi.
Fausta poursuivait la lutte âprement, obstinément. Mais elle n’avait plus foi en elle, mais le doute était entré en elle et elle n’était pas éloignée de croire que rien ne lui servirait de rien, qu’elle aurait beau faire, Pardaillan, l’infernal Pardaillan, toujours ressuscité, sortirait une dernière fois de la tombe où elle croirait l’avoir cloué pour la frapper mortellement.
On conçoit aisément, dans de telles conditions, l’effet que durent faire les paroles de Pardaillan, affirmant avec une paisible assurance qu’il échapperait au poison et au supplice de la faim.
Ce n’était nullement une gasconnade de sa part, comme on pourrait le croire. Par une suite d’impressions opposées à celles de Fausta, voyant qu’il échappait toujours, comme par miracle, à ses tentatives d’assassinat les mieux ourdies, il en était arrivé, lui, à croire sincèrement que dans ce tragique et long duel, il devait, lui, Pardaillan, avoir le dessus sur sa terrible et opiniâtre adversaire.
Dès lors, et si précaire que fût la situation à laquelle Fausta l’acculait, il devait nécessairement croire qu’il en sortirait au moment voulu, puisqu’il devait finalement avoir le dessus.
Lorsque Pardaillan eut affirmé qu’il sortirait vivant de son actuel tombeau, Fausta frémit et commença à se demander avec angoisse si elle avait bien pris toutes les précautions nécessaires, si quelque moyen de fuite inconnu n’avait pas échappé à son minutieux examen des lieux. Ce fut donc d’une voix mal assurée qu’elle demanda:
– Tu crois donc, Pardaillan, que tu échapperas cette fois-ci comme les autres?
– Parbleu? assura Pardaillan.
– Pourquoi? haleta Fausta.
Alors, d’une voix mordante qui la glaça:
– Parce que, je vous l’ai dit, nous avons un compte terrible à régler… Parce que je vois enfin que vous n’êtes pas un être humain, mais un monstre de perversité et de malfaisance, et que vous épargner, comme je l’ai fait jusqu’à ce jour, serait plus que de la folie, serait un crime… Parce que vous avez lassé ma patience et que je suis résolu enfin à vous écraser… Parce qu’il est écrit, je le vois, que Pardaillan domptera Fausta et la réduira à l’impuissance… Vous voyez bien que vous ne sauriez me tuer comme vous le souhaitez, et que je dois sortir d’ici vivant. Or, maintenant que j’ai reconnu que vous n’êtes pas une femme, mais un monstre suscité par l’enfer, je vous le dis en toute loyauté: gardez-vous, madame, gardez-vous bien, car, aussi vrai que je vous le dis, le jour où cette main s’appesantira sur Fausta, c’en sera fait d’elle, elle expiera tous ses crimes et le monde sera délivré d’un tel fléau.
Tant que Pardaillan s’était contenté d’expliquer pourquoi il se sentait sûr d’échapper à ses coups, Fausta avait écouté en frémissant, d’autant plus que, sous l’obsession de la superstition, pendant qu’il parlait, dans son cerveau affolé, elle se répétait:
– Oui, il se sauvera comme il le dit, c’est écrit, c’est inéluctable… Fausta ne saurait atteindre Pardaillan, puisque Pardaillan doit tuer Fausta!…
Mais lorsque Pardaillan, justement exaspéré et s’animant au fur et à mesure, assura qu’un jour prochain viendrait où il aurait sa revanche et lui ferait expier ses crimes, le caractère indomptable de cette femme extraordinaire reprit le dessus.
La menace d’un tel homme, qui ne menaçait que très rarement et jamais en vain, cette menace, qui eût, à juste raison, affolé l’esprit le plus ferme et le plus courageux, loin de l’abattre ou de l’effrayer, ne fit que retremper sa nature exceptionnellement combative.
Elle retrouva à l’instant sa lucidité et son sang-froid. Ce fut d’une voix très calme qu’elle répondit:
– Soyez tranquille, chevalier, je me garderai bien et je ferai en sorte que votre main ne s’appesantisse plus jamais sur personne.
– Voire, grommela Pardaillan, je ne saurais trop vous y engager… Mais, excusez-moi, madame, si j’en use sans façon avec vous… je ne sais si c’est le poison que vous m’avez libéralement dispensé, mais il est de fait que je tombe de sommeil. Brisons donc cet intéressant entretien et souffrez que je me couche sur ces dalles qui n’ont rien de moelleux, et dont il faut bien que je me contente, puisque Votre Sainteté n’a pas daigné octroyer même une humble botte de paille au condamné à mort que je suis, ce qui eût été tout de même moins inhumain, soit dit sans reproche… Sur ce, bonsoir!…
Et Pardaillan qui, sous l’influence des miasmes délétères émanés de la pastille empoisonnée, sentait effectivement ses forces l’abandonner et tout tourner dans sa tête endolorie, Pardaillan s’enroula dans son manteau et s’étendit du mieux qu’il put sur les dalles froides.