Les Quarante-Cinq Tome I
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Les Quarante-Cinq constitue le troisi?me volet du grand triptyque que Dumas a consacr? ? l'histoire de France de la Renaissance. Il ach?ve le r?cit de cette d?cadence de la seigneurie commenc? par La Reine Margot et poursuivi avec La Dame de Monsoreau. A cette ?poque d?chir?e, tout se joue sur fond de guerre : guerres de Religion, guerres dynastiques, guerres amoureuses. Aussi les h?ros meurent-ils plus souvent sur l'?chafaud que dans leur lit, et les h?ro?nes sont meilleures ma?tresses que m?res de famille. Ce qui fait la grandeur des personnages de Dumas, c'est que chacun suit sa pente jusqu'au bout, sans concession, mais avec panache. D'o? l'invincible sympathie qu'ils nous inspirent. Parmi eux, Chicot, le c?l?bre bouffon, qui prend la place du roi. C'est en lui que Dumas s'est reconnu. N'a-t-il pas tir? ce personnage enti?rement de son imagination ? Mais sa v?racit? lui permet d'?voluer avec aisance au milieu des personnages historiques dont il lie les destins. Dumas ayant achev? son roman ? la veille de la r?volution de 1848, Chicot incarne par avance la bouffonnerie de l'histoire.
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XXVI Les Guises
Le soir même du jour où Chicot partait pour la Navarre, nous retrouverons dans la grande chambre de l'hôtel de Guise où nous avons déjà, dans nos précédents récits, conduit plus d'une fois nos lecteurs; nous retrouverons, disons-nous, dans la grande chambre de l'hôtel de Guise, ce petit jeune homme à l'œil vif, que nous avons vu entrer dans Paris en croupe sur le cheval de Carmainges, et qui n'était autre, nous le savons déjà, que la belle pénitente de dom Gorenflot.
Cette fois elle n'avait pris aucune précaution pour dissimuler sa personne ou son sexe. Madame de Montpensier, vêtue d'une robe élégante, le col évasé, les cheveux tout constellés d'étoiles de pierreries, comme c'était la mode à cette époque, attendait avec impatience, debout dans l'embrasure d'une fenêtre, quelqu'un qui tardait à venir.
L'ombre commençait à s'épaissir, la duchesse ne distinguait plus qu'à grand'peine la porte de l'hôtel, sur laquelle ses yeux étaient constamment attachés.
Enfin le pas d'un cheval se fit entendre, et dix minutes après la voix de l'huissier annonçait mystérieusement chez la duchesse M. de Mayenne.
Madame de Montpensier se leva et courut au devant de son frère avec une telle précipitation, qu'elle oublia de marcher sur la pointe du pied droit, comme c'était son habitude lorsqu'elle tenait à ne pas boiter.
– Seul, mon frère? dit-elle, vous êtes seul?
– Oui, ma sœur, dit le duc en s'asseyant après avoir baisé la main de la duchesse.
– Mais, Henri, où donc est Henri? Savez-vous bien que tout le monde l'attend ici?
– Henri, ma sœur, n'a que faire encore à Paris, tandis qu'au contraire il a encore fort à faire dans les villes de Flandre et de Picardie. Notre travail est lent et souterrain; nous avons de l'ouvrage là-bas: pourquoi quitterions-nous cet ouvrage pour venir à Paris, où tout est fait?
– Oui, mais où tout se défera si vous ne vous hâtez.
– Bah!
– Bah! tant que vous voudrez, mon frère. Je vous dis, moi, que les bourgeois ne se contentent plus de toutes ces raisons, qu'ils veulent voir leur duc Henri, que voilà leur soif, leur délire.
– Ils le verront au bon moment. Mayneville ne leur a-t-il donc point expliqué tout cela?
– Sans contredit; mais vous le savez, sa voix ne vaut pas les vôtres.
– Au plus pressé, ma sœur. Et Salcède?
– Mort.
– Sans parler?
– Sans souffler une parole.
– Bien. Et l'armement?
– Achevé.
– Paris?
– Divisé en seize quartiers.
– Et chaque quartier a le chef que nous avons désigné?
– Oui.
– Vivons donc en repos. Pâque-Dieu! c'est ce que je viens dire à nos bons bourgeois.
– Ils ne vous écouteront pas.
– Bah!
– Je vous dis qu'ils sont endiablés.
– Ma sœur, vous avez un peu trop l'habitude de juger la précipitation d'autrui d'après vos propres impatiences.
– M'en ferez-vous un reproche sérieux?
– À Dieu ne plaise! mais ce que dit mon frère Henri doit être exécuté. Or, mon frère Henri veut qu'on ne se hâte aucunement.
– Que faire alors? demanda la duchesse avec impatience.
– Quelque chose presse-t-il, ma sœur?
– Tout, si l'on veut.
– Par quoi commencer, à votre avis?
– Par prendre le roi.
– C'est votre idée fixe; je ne dis pas qu'elle soit mauvaise, si l'on pouvait la mettre à exécution; mais projeter et faire sont deux: rappelez-vous combien de fois nous avons échoué déjà.
– Les temps sont changés; le roi n'a plus personne pour le défendre.
– Non, excepté les Suisses, les Écossais, les gardes françaises.
– Mon frère, quand vous voudrez, moi, moi qui vous parle, je vous le montrerai sur une grande route, escorté de deux laquais seulement.
– On m'a dit cela cent fois, et je ne l'ai pas vu une seule.
– Vous le verrez donc si vous restez seulement à Paris trois jours.
– Encore un projet!
– Un plan, voulez-vous dire.
– Veuillez me le communiquer, en ce cas.
– Oh! c'est une idée de femme, et par conséquent elle vous fera rire.
– À Dieu ne plaise que je blesse votre amour-propre d'auteur! Voyons le plan.
– Vous vous moquez de moi, Mayenne.
– Non, je vous écoute.
– Eh bien! en quatre mots, voici…
En ce moment l'huissier souleva la tapisserie.
– Plaît-il à Leurs Altesses de recevoir M. de Mayneville? demanda-t-il.
– Mon complice? dit la duchesse, qu'il entre.
M. de Mayneville entra en effet, et vint baiser la main du duc de Mayenne.
– Un seul mot, monseigneur, dit-il; j'arrive du Louvre.
– Eh bien! s'écrièrent à la fois Mayenne et la duchesse.
– On se doute de votre arrivée.
– Comment cela?
– Je causais avec le chef du poste de Saint-Germain-l'Auxerrois, deux Gascons passèrent.
– Les connaissez-vous?
– Non; ils étaient tout flambants neufs. Cap de bious! dit l'un, vous avez là un pourpoint qui est magnifique, mais qui, dans l'occasion, ne vous rendrait pas les mêmes services que votre cuirasse d'hier.
– Bah! bah! si solide que soit l'épée de M. de Mayenne, dit l'autre, gageons qu'elle n'entamera pas plus ce satin qu'elle n'eût entamé la cuirasse.
Et là-dessus le Gascon se répandit en bravades qui indiquaient que l'on vous savait proche.
– Et à qui appartiennent ces Gascons?
– Je n'en sais rien.
– Et ils se sont retirés?
– Oh! pas ainsi, ils criaient haut; le nom de Votre Altesse fut entendu: quelques passants s'arrêtèrent et demandèrent si effectivement vous arriviez. Ils allaient répondre à la question, quand tout à coup un homme s'approcha du Gascon et lui toucha l'épaule: ou je me trompe bien, monseigneur, ou cet homme, c'était Loignac.