Les Pardaillan – Livre VII – Le Fils De Pardaillan – Volume I
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Nous sommes ? Paris en 1609. Henri IV r?gne, sous la menace permanente des attentats. Le chevalier de Pardaillan, qui n'a pas retrouv? son fils, rencontre un jeune truand, Jehan-le-Brave, en qui il ne tarde pas ? reconna?tre l'enfant de Fausta. Or, Jehan-le-Brave, qui ignore tout de ses origines, est amoureux de Bertille de Saugis, fille naturelle d'Henri IV. Pour prot?ger sa bien-aim?e et le p?re de celle-ci, c'est-?-dire le roi, il entre en conflit avec tous ceux qui complotent sa mort: Concini et son ?pouse, L?onora Galiga?, Aquaviva, le sup?rieur des j?suites qui a recrut? un agent pour ses intentions criminelles, le pauvre Ravaillac. Le chevalier de Pardaillan s'engage dans la lutte aux c?t?s de son fils, aussi bien pour l'observer que pour prot?ger le roi. Or, Fausta jadis avait cach? ? Montmartre un fabuleux tr?sor que tout le monde convoite, les j?suites, les Concini, et m?me le ministre du roi Sully. Seule Bertille conna?t par hasard le secret de cette cachette, ainsi que le chevalier de Pardaillan…
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III
La cour est dans le marasme. Le roi ne dort plus… Le roi ne mange plus… Le roi, si débordant de vie, ne traite plus les affaires de l’État avec ses ministres. Il fuit la société de ses intimes, il s’enferme des heures durant dans sa petite chambre à coucher du premier…
Le roi est malade: de qui est-il donc amoureux?
Voilà ce que disent les courtisans ordinaires.
Voici maintenant ce que savent et gardent pour eux cinq ou six intimes de Sa Majesté:
Le roi a vu une jeune fille de seize ans à peine. Et il a éprouvé le coup de foudre.
Comme toujours, chez lui, ce nouvel amour a altéré son humeur et sa santé. D’autant plus profondément que, chose inouïe, et qui prouve combien cette fois-ci il est bien assassiné d’amour, lui, si entreprenant et si expéditif en pareille occurrence, devenu plus timide que le plus timide des jouvenceaux, il n’a pas osé «déclarer sa flamme».
Et tous les soirs, sous des déguisements divers, le roi s’en va rue de l’Arbre-Sec soupirer sous le balcon de sa belle…
Les confidents du roi se sont empressés d’aller rôder autour du logis de celle qui peut devenir la grande favorite…
Tout ce qu’ils ont appris, c’est que la jeune fille est couramment désignée sous le nom de «demoiselle Bertille». Demoiselle Bertille ne sort jamais, si ce n’est le dimanche, pour aller assister à la messe à la chapelle des Cinq-Plaies. Alors elle est accompagnée par sa propriétaire, respectable matrone qui répond au nom de dame Colline Colle. Quelques-uns cependant ont pu apercevoir demoiselle Bertille. Ceux-là sont revenus enthousiasmés de son idéale beauté.
L’après-midi de ce jour où se sont déroulés les différents incidents que nous venons de narrer, le roi était dans sa petite chambre. Il était assis sur sa chaise basse, et du bout des doigts il tambourinait machinalement sur l’étui de ces lunettes. De temps en temps, il poussait un soupir lamentable et gémissait:
– Que fait donc La Varenne?
Et il reprenait le cours de ses pensées:
– Jamais femme ne m’a produit l’effet que me produit cette jeune fille!… Bertille!… Le joli nom, si clair, si frétillant!… Bertille!… Jarnidieu! d’où vient donc que je suis troublé à ce point? Est-ce la candeur, l’innocence de cette jeune fille?… Je ne me reconnais plus!… Ce cuistre de La Varenne ne viendra donc pas!…
Brusquement Henri IV frappa ses deux cuisses et se leva en murmurant:
– J’ai beau chercher, je ne trouve pas… qui donc ce doux visage me rappelle-t-il? Qui donc?… Voyons, parmi les belles que j’ai eues autrefois, cherchons…
Il fit plusieurs fois le tour de la chambre, de ce pas accéléré qui faisait le désespoir du vieux Sully, obligé de le suivre quand il expédiait les affaires avec lui, et tout à coup:
– Ventre-saint-gris! J’ai trouvé!… Saugis!…
L’air rêveur, il revint s’asseoir sur sa chaise et poursuivit:
– C’est à la demoiselle de Saugis que ressemble mon doux cœur de Bertille… Saugis!… Heu! c’est bien loin cela!… Ma conduite ne fut peut-être pas très nette vis-à-vis de cette demoiselle… Dieu me pardonne, je crois que je l’ai quelque peu violentée… J’avais sans doute trop bien soupé ce jour-là!… Hé! mais, j’y songe… C’est curieux comme les souvenirs se lèvent nombreux et précis quand on fouille sérieusement le passé. Cette pauvre Saugis, je crois bien qu’elle est morte en donnant le jour à un enfant qui aurait bien, oui, ma foi, seize ans… l’âge de Bertille!…
Pour la première fois, un soupçon vint l’effleurer, car il répéta:
– L’âge de Bertille!…
Il rejeta la pensée qui se faisait obscurément jour dans son cerveau:
– Était-ce un garçon ou une fille?… Du diable si je le sais… Je n’aurais jamais pensé à cela sans cette vague ressemblance… Est-elle si vague?… Heu!…
Et pour se remonter soi-même:
– Par Dieu! je suis content d’être sorti de ce souci… Me voilà plus tranquille… Je veux, pour les beaux yeux de Bertille, faire rechercher cet enfant de la pauvre Saugis et, garçon ou fille, je lui ferai un sort raisonnable. C’est dit, et je ne m’en dédirai pas… Après tout, c’est un enfant à moi… Mais que fait donc ce bélître de La Varenne?…
Comme il se posait cette question pour la centième fois, La Varenne fut introduit. Le confident paraissait radieux et, tout de suite, avec cette familiarité qu’Henri IV encourageait dans son entourage et savait d’ailleurs royalement réprimer lorsqu’elle allait trop loin, il s’écria:
– Victoire! Sire, victoire!
Le roi devint très pâle, porta la main à son cœur et chancela en murmurant:
– La Varenne, mon ami, ne me donne pas de fausse joie… je me sens défaillir.
Et, en effet, il paraissait sur le point de s’évanouir.
– Victoire, vous dis-je!… Ce soir, vous entrez dans la place! Du coup, le roi fut debout et, radieux:
– Dis-tu vrai?… Ah! mon ami, tu me sauves!… Je me mourais… Ce rôle d’amoureux transi commençait à peser. Ce soir, dis-tu, qu’as-tu fait?… Tu l’as vue?… Tu lui as parlé?… M’aime-t-elle un peu, au moins?… Ne me cache rien, La Varenne… Ce soir, je la verrai, je lui parlerai, enfin!… Jarnidieu! qu’il fait bon vivre et quel radieux jour que ce jour!… Parle. Raconte-moi tout… Mais parle donc!…, Il faut t’arracher les paroles du ventre!
– Eh, mordieu! Vous ne me laissez pas placer un mot!… S’il faut vous dire les choses tout à trac: j’ai acheté la propriétaire, qui nous ouvrira la porte ce soir.
– Cette matrone qui paraissait incorruptible? La Varenne haussa les épaules:
– Le tout était d’y mettre le prix, dit-il. Il m’en a coûté vingt mille livres, pas moins.
Et en même temps, il étudiait du coin de l’œil l’effet produit par l’énoncé de la somme.
Henri IV savait se montrer généreux en amour. Il n’en était plus de même quand il s’agissait de lâcher la forte somme à ceux qui servaient ses amours:
– Tu m’as demandé la place de contrôleur général des postes, dit-il. Tu l’as.
La Varenne se cassa en deux et, avec une grimace de jubilation, il supputait à part lui:
– Allons, j’ai fait un bon placement! La place me remboursera au centuple les dix mille livres que j’ai dû donner à cette sorcière de Colline Colle, que le diable l’étrangle!
– Raconte-moi tout par le menu, fit joyeusement le roi, qui avait retrouvé toute sa vivacité.
Pendant que l’homme à tout faire du roi, l’ancien cuisinier créé marquis de La Varenne, expliquait à son maître comment il pourrait s’introduire subrepticement chez une innocente enfant qu’il s’agissait de déshonorer, il se passait dans une autre partie du Louvre une scène qui a sa place ici.
Une jeune femme était nonchalamment étendue sur une sorte de chaise longue appelée lit d’été. Une carnation de ce blanc laiteux particulier à certaines brunes, des cheveux naturellement ondulés et d’un beau noir, des traits réguliers, des lèvres pourpres, sensuelles, des yeux noirs mais froids, des formes imposantes, la splendeur d’une Junon en son plein épanouissement.
C’est Marie de Médicis, reine de France.
Sur un pliant de velours cramoisi, une autre jeune femme dont le corps est maigre et contrefait, le teint plombé, la bouche trop grande, une épaule plus haute que l’autre, une femme dont la laideur semble avoir été choisie pour servir de repoussoir à l’imposante beauté de l’autre. La seule supériorité de cette disgraciée de la nature résidait dans ses yeux: des yeux noirs, immenses, brillant d’un feu sombre, reflet d’une âme forte que consume une flamme dévorante.
C’était Léonora Doré, plus connue sous le nom de la Galigaï. Elle est dame d’atours de la reine… Elle est aussi la femme légitime du signor Concino Concini, qui n’est pas encore marquis, pas encore maréchal, pas encore Premier ministre, mais qu’elle «veut» voir devenir tout cela… et même plus, si possible… car il est dès maintenant – elle le sait – l’amant de la reine… Et c’est sur cet amour insensé qu’elle compte et qu’elle échafaude l’avenir.
Cette énigmatique créature n’a jamais eu qu’un sentiment réellement profond: son amour pour Concini; qu’une seule et unique ambition: la grandeur de Concini. Peut-être espère-t-elle qu’en le hissant, par la seule puissance de son mâle génie, jusqu’à ces sommets accessibles à ceux-là seuls qui sont nés sur les marches d’un trône, peut-être espère-t-elle ainsi l’éblouir et faire jaillir en lui l’étincelle qui embrasera ce cœur jusque-là fermé pour elle – car il ne l’aime pas, il ne l’a jamais aimée – peut-être!…
Quoi qu’il en soit, elle a résolu de pousser Concini jusqu’à la toute-puissance, et c’est dans ce but qu’elle a jeté l’homme qu’elle adore dans les bras de la reine… la reine, qui peut le faire grand. C’est dans ce but qu’elle a écarté ou supprimé tous les obstacles. De ces obstacles, il n’en reste plus qu’un: le plus terrible, le plus puissant… le roi! Et cet obstacle, Léonora a résolu de le supprimer comme tous les autres. Et ce qu’elle veut, de sa volonté implacablement tenace, c’est amener Marie de Médicis, caractère faible et indécis qu’elle pétrit lentement à sa guise, à accepter la complicité du meurtre de son royal époux. Ce qu’elle veut, c’est amener la reine qui ne «veut» pas se séparer de Concini, qui ne «peut» pas se passer de lui, à couvrir le régicide.